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et les perles appellent l'œil du plongeur à des profondeurs immenses, sous les flots transparents de l'abîme.

Or, si notre siècle littéraire est inférieur à celui de Louis XIV, n'en cherchons d'autre cause que notre religion. Nous avons déjà montré combien Voltaire eût gagné à être chrétien: il disputerait aujourd'hui la palme des Muses à Racine. Ses ouvrages auraient pris cette teinte morale sans laquelle rien n'est parfait; on y trouverait aussi ces souvenirs du vieux temps, dont l'absence y forme un si grand vide. Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères; les tombeaux sont sans intérêt pour lui; les institutions de ses aïeux ne lui semblent que des coutumes barbares; il n'a aucun plaisir à se rappeler les sentences, la sagesse et les goûts de sa mère.

Cependant il est vrai que la majeure partie du génie se compose de cette espèce de souvenirs. Les plus belles choses qu'un auteur puisse mettre dans un livre sont les sentiments qui lui viennent, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse. Voltaire a bien péché contre ces règles critiques (pourtant si douces !), lui qui s'est éternellement moqué des mœurs et des coutumes de nos ancêtres. Comment se fait-il que ce qui enchante les autres hommes soit précisément ce qui dégoûte un incrédule?

La religion est le plus puissant motif de l'amour de la patrie; les écrivains pieux ont toujours répandu ce noble sentiment dans leurs écrits. Avec quel respect, avec quelle magnifique opinion, les écrivains du siècle de Louis XIV ne parlent-ils pas toujours de la France! Malheur à qui insulte son pays! Que la patrie se lasse d'être ingrate avant que nous nous lassions de l'aimer; ayons le cœur plus grand que ses injustices.

Si l'homme religieux aime sa patrie, c'est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l'habitude de son cœur. Il donne la main à ses pères et à ses enfants; il est planté dans le sol natal, comme le chêne qui voit au-dessous de lui ses vieilles racines s'enfoncer dans la terre, et à son sommet des boutons naissants qui aspirent vers le ciel.

Rousseau est un des écrivains du dix-huitième siècle dont le style a le plus de charme, parce que cet homme, bizarre à dessein, s'était au moins créé une ombre de religion. Il avait foi en quelque chose qui n'était pas le Christ, mais qui pourtant était l'Evan

gile; ce fantôme de christianisme, tel quel, a quelquefois donné beaucoup de grâces à son génie. Lui qui s'est élevé avec tant de force contre les sophistes, n'eût-il pas mieux fait de s'abandonner à la tendresse de son âme, que de se perdre, comme eux, dans des systèmes, dont il n'a fait que rajeunir les vieilles erreurs 1?

Il ne manquerait rien à Buffon s'il avait autant de sensibilité que d'éloquence. Remarque étrange, que nous avons lieu de faire à tous moments, que nous répétons jusqu'à satiété, et dont nous ne saurions trop convaincre le siècle : sans religion, point de sensibilité. Buffon surprend par son style; mais rarement il attendrit. Lisez l'admirable article du chien; tous les chiens y sont : le chienchasseur, le chien-berger, le chien sauvage, le chien grand-seigneur, le chien petit-maître, etc. Qu'y manque-t-il enfin ? le chien de l'aveugle. Et c'est celui-là dont se fût d'abord souvenu un chrétien.

En général, les rapports tendres ont échappé à Buffon. Et néanmoins rendons justice à ce grand peintre de la nature son style est d'une perfection rare. Pour garder aussi bien les convenances, pour n'être jamais ni trop haut ni trop bas, il faut avoir soi-même beaucoup de mesure dans l'esprit et dans la conduite. On sait que Buffon respectait tout ce qu'il faut respecter. Il ne croyait pas que la philosophie consistât à afficher l'incrédulité, à insulter aux autels de vingt-quatre millions d'hommes. Il était régulier dans ses devoirs de chrétien, et donnait l'exemple à ses domestiques. Rousseau, s'attachant au fond et rejetant les formes du culte, montre dans ses écrits la tendresse de la religion avec le mauvais ton du sophiste; Buffon, par la raison contraire, a la sécheresse de la philosophie avec les bienséances de la religion. Le christianisme a mis au dedans du style du premier le charme, l'abandon et l'amour; et au dehors du style du second, l'ordre, la clarté et la magnificence. Ainsi les ouvrages de ces hommes célèbres portent, en bien et en mal, l'empreinte de ce qu'ils ont choisi et de ce qu'ils ont rejeté eux-mêmes de la religion.

En nommant Montesquieu, nous rappelons le véritable grand homme du dix-huitième siècle. L'Esprit des Lois et les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, vivront aussi longtemps que la langue dans laquelle ils sont écrits.

1 Voyez la note 32, à la fin du volume.

Si Montesquieu, dans un ouvrage de sa jeunesse, laissa tomber sur la religion quelques-uns des traits qu'il dirigeait contre nos mœurs, ce ne fut qu'une erreur passagère, une espèce de tribut. payé à la corruption de la Régence 1. Mais dans le livre qui a placé Montesquieu au rang des hommes illustres, il a magnifiquement réparé ses torts, en faisant l'éloge du culte qu'il avait eu l'imprudence d'attaquer. La maturité de ses années et l'intérêt même de sa gloire lui firent comprendre que, pour élever un monument durable, il fallait en creuser les fondements dans un sol moins mouvant que la poussière de ce monde; son génie, qui embrassait tous les temps, s'est appuyé sur la seule religion à qui tous les temps sont promis.

Il résulte de nos observations que les écrivains du dix-huitième siècle doivent la plupart de leurs défauts à un système trompeur de philosophie, et qu'en étant plus religieux, ils eussent approché davantage de la perfection.

Il y a eu dans notre âge, à quelques exceptions près, une sorte d'avortement général des talents. On dirait même que l'impiété, qui rend tout stérile, se manifeste aussi par l'appauvrissement de la nature physique. Jetez les yeux sur les générations qui succédèrent au siècle de Louis XIV. Où sont ces hommes aux figures çalmes et majestueuses, au port et aux vêtements nobles, au langage épuré, à l'air guerrier et classique, conquérant et inspiré des arts? On les cherche, et on ne les trouve plus. De petits hommes inconnus se promènent comme des pygmées sous les hauts portiques d'un autre âge. Sur leur front dur respirent l'égoïsme et le mépris de Dieu; ils ont perdu et la noblesse de l'habit et la pureté du langage; on les prendrait, non pour les fils, mais pour les baladins de la grande race qui les a précédés.

Les disciples de la nouvelle école flétrissent l'imagination avec je ne sais quelle vérité, qui n'est point la véritable vérité. Le style de ces hommes est sec, l'expression sans franchise, l'imagination sans amour et sans flamme; ils n'ont nulle onction, nulle abondance nulle simplicité. On ne sent point quelque chose de plein et de nourri dans leurs ouvrages; l'immensité n'y est point, parce que la divinité y manque. Au lieu de cette tendre religion, de cet instrument harmonieux dont les auteurs du siècle de Louis XIV se ser

1 Voyez la note 33, à la fin du volume.

vaient pour trouver le ton de leur éloquence, les écrivains modernes font usage d'une étroite philosophie qui va divisant toute chose, mesurant les sentiments au compas, soumettant l'âme au calcul, et réduisant l'univers, Dieu compris, à une soustraction passagère du néant.

Aussi le dix-huitième siècle diminue-t-il chaque jour dans la perspective, tandis que le dix-septième semble s'élever à mesure que nous nous en éloignons; l'un s'affaisse, l'autre monte dans les cieux. On aura beau chercher à ravaler le génie de Bossuet et de Racine, il aura le sort de cette grande figure d'Homère qu'on aperçoit derrière les âges : quelquefois elle est obscurcie par la poussière qu'un siècle fait en s'écroulant; mais aussitôt que le nuage s'est dissipé, on voit reparaître la majestueuse figure, qui s'est encore agrandie pour dominer les ruines nouvelles 1.

1 Voyez la note 34, à la fin du volume.

LIVRE CINQUIÈME

HARMONIES DE LA RELIGION CHRÉTIENNE

AVEC LES SCÈNES DE LA NATURE ET LES PASSIONS DU COEUR HUMAIN

CHAPITRE PREMIER

DIVISION DES HARMONIES

Avant de passer à la description du culte, il nous reste à examiner quelques sujets que nous n'avons pas suffisamment développés dans les livres précédents. Ces sujets se rapportent au côté physique ou au côté moral des arts. Ainsi, par exemple, les sites des monastères, les ruines des monuments religieux, etc, tiennent à la partie matérielle de l'architecture, tandis que les effets de la doctrine chrétienne, avec les passions du cœur de l'homme et les tableaux de la nature, rentrent dans la partie dramatique et descriptive de la poésie.

Tels sont les sujets que nous réunissons dans ce livre, sous le titre général d'Harmonies, etc.

CHAPITRE II

HARMONIES PHYSIQUES

SITES DES MONUMENTS RELIGIEUX, COUVENTS MARONITES, COPHTES, ETC.

Il y a dans les choses humaines deux espèces de nature, placées l'une au commencement, l'autre à la fin de la société. S'il n'en était ainsi, l'homme, en s'éloignant toujours de son origine, serait devenu une sorte de monstre; mais, par une loi de la Providence,

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