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vons la fondation des colléges et des hôpitaux. Défrichements des terres, ouvertures des chemins, agrandissements des hameaux et des villes, établissements des messageries et des auberges, arts et métiers, manufactures, commerce intérieur et extérieur, lois civiles et politiques; tout enfin nous vient originairement de l'Église. Nos pères étaient des barbares à qui le christianisme était obligé d'enseigner jusqu'à l'art de se nourrir.

La plupart des concessions faites aux monastères dans les premiers siècles de l'Église, étaient des terres vagues, que les moines cultivaient de leurs propres mains. Des forêts sauvages, des marais impraticables, de vastes landes, furent la source de ces richesses que nous avons tant reprochées au clergé.

Tandis que les chanoines Prémontrés labouraient les solitudes. de la Pologne et une portion de la forêt de Coucy en France, les Bénédictins fertilisaient nos bruyères. Molesme, Colan et Citeaux, qui se couvrent aujourd'hui de vignes et de moissons, étaient des lieux semés de ronces et d'épines, où les premiers religieux habitaient sous des huttes de feuillages, comme les Américains au milieu de leurs défrichements.

Saint Bernard et ses disciples fécondèrent les vallées stériles que leur abandonna Thibaut, comte de Champagne. Fontevrault fut une véritable colonie, établie par Robert d'Arbrissel, dans un pays désert, sur les confins de l'Anjou et de la Bretagne. Des familles entières cherchèrent un asile sous la direction de ces Bénédictins: il s'y forma des monastères de veuves, de filles, de laïques, d'infirmes et de vieux soldats. Tous devinrent cultivateurs, à l'exemple des pères, qui abattaient eux-mêmes les arbres, guidaient la charrue, semaient les grains, et couronnaient cette partie de la France de ces belles moissons qu'elle n'avait point encore portées.

La colonie fut bientôt obligée de verser au dehors une partie de ses habitants, et de céder à d'autres solitudes le superflu de ses mains laborieuses. Raoul de la Futaye, compagnon de Robert, s'établit dans la forêt du Nid-du-Merle, et Vital, autre bénédictin, dans les bois de Savigny. La forêt de l'Orges, dans le diocèse d'Angers, Chaufournois, aujourd'hui Chantenois, en Touraine, Bellay dans la même province, la Puie en Poitou, l'Encloitre dans la forêt de Gironde, Gaisne à quelques lieues de Loudun, Luçon dans les bois du même nom, la Lande dans les landes de Garna

aux dieux du Capitole et qu'il souillait par mépris les statues des dieux ?

Tacite prétend qu'il y avait encore des mœurs au fond des provinces 2; mais ces provinces commençaient à devenir chrétiennes 3, et nous raisonnons dans la supposition que le christianisme n'eût pas été connu, et que les Barbares ne fussent pas sortis de leurs déserts. Quant aux armées romaines, qui vraisemblablement auraient démembré l'empire, les soldats en étaient aussi corrompus que le reste des citoyens, et l'eussent été bien davantage s'ils n'avaient été recrutés parmi les Goths et les Germains. Tout ce que l'on peut conjecturer, c'est qu'après de longues guerres civiles, et un soulèvement général qui eût duré plusieurs siècles, la race humaine se fût trouvée réduite à quelques hommes errants sur des ruines. Mais que d'années n'eût-il point fallu à ce nouvel arbre des peuples pour étendre ses rameaux sur tant de débris! Combien de temps les sciences oubliées ou perdues n'eussent-elles point mis à renaître, et dans quel état d'enfance la société ne serait-elle point encore aujourd'hui !

De même que le christianisme a sauvé la société d'une destruction totale en convertissant les Barbares et en recueillant les débris de la civilisation et des arts, de même il eût sauvé le monde romain de sa propre corruption si ce monde n'eût point succombé sous des armes étrangères : une religion seule peut renouveler un peuple dans ses sources. Déjà celle du Christ rétablissait toutes les bases morales. Les anciens admettaient l'infanticide, et la dissolution du lien du mariage, qui n'est en effet que le premier lien social; leur probité et leur justice étaient relatives à la patrie: elles ne passaient pas les limites de leurs pays. Les peuples en corps avaient d'autres principes que le citoyen en particulier. La pudeur et l'humanité n'étaient pas mises au rang des vertus. La classe la plus nombreuse était esclave; les sociétés flottaient éternellement entre l'anarchie populaire et le despotisme: voilà les maux aux

1 TACIT., Ann., lib. XIV; SUET., in Ner. Religionum usquequaque contemptor, præter unius deæ Syriæ. Hanc mox ita sprevit, ut urina contaminaret. 2 TACIT., Ann., lib. XVI, 5. 3 DIONYS. et IGNAT.. Epist. ap. Eus., iv, 23; CHRYS., Op., t. VII, p. 658 et 810, edit. Savil.; PLIN., epist. x ; LUCIEN, in Alexandro, c. xxv. Pline, dans sa fameuse lettre ici citée, et que nous avons insérée dans le premier volume, p. 375, se plaint que les temples sont déserts, et qu'on ne trouve plus d'acheteurs pour les victimes sacrées, etc.

religieuses étant alors fort multipliées, tant d'hommes qui ne vivaient que de poissons, d'œufs, de lait et de légumes, durent favoriser singulièrement la propagation des races de bestiaux. Ainsi nos campagnes, aujourd'hui si florissantes, sont en partie redevables de leurs moissons et de leurs troupeaux au travail des moines et à leur frugalité.

De plus, l'exemple, qui est souvent peu de chose en morale, parce que les passions en détruisent les bons effets, exerce une grande puissance sur le côté matériel de la vie. Le spectacle de plusieurs milliers de religieux cultivant la terre, mina peu à peu ces préjugés barbares, qui attachaient le mépris à l'art qui nourrit les hommes. Le paysan apprit, dans les monastères, à retourner la glèbe et à fertiliser le sillon. Le baron commença à chercher dans son champ des trésors plus certains que ceux qu'il se procurait par les armes. Les moines furent donc réellement les pères de l'agriculture, et comme laboureurs eux-mêmes, et comme les premiers maîtres de nos laboureurs.

Ils n'avaient point perdu de nos jours ce génie utile. Les plus belles cultures, les paysans les plus riches, les mieux nourris et les moins vexés, les équipages champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient dans les abbayes. Ce n'était pas là, ce nous semble, un sujet de reproches à faire au clergé.

CHAPITRE VIII

VILLES ET VILLAGES, PONTS, GRANDS CHEMINS, ETC.

Mais si le clergé a défriché l'Europe sauvage, il a aussi multiplié nos hameaux, accru et embelli nos villes. Divers quartiers de Paris, tels que ceux de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain l'Auxerrois, se sont élevés, en partie, aux frais des abbayes du même nom1. En général, partout où il se trouvait un monastère, là se formait un village: la Chaise-Dieu, Abbeville, et plusieurs autres lieux portent encore dans leurs noms la marque de leur origine. La ville de Saint-Sauveur, au pied du mont Cassin, en

1 Histoire de la ville de Paris.

n'y aura en cela rien d'affligeant pour un grand esprit : les vérités du christianisme, loin de demander la soumission de la raison, en réclament, au contraire, l'exercice le plus sublime.

Cette remarque est si juste, la religion chrétienne, qu'on a voulu faire passer pour la religion des Barbares, est si bien le culte des philosophes, qu'on peut dire que Platon l'avait presque devinée. Non-seulement la morale, mais encore la doctrine du disciple de Socrate, a des rapports frappants avec celle de l'Évangile. Dacier la résume ainsi :

<< Platon prouve que le Verbe a arrangé et rendu visible cet univers; que la connaissance de ce Verbe fait mener ici-bas une vie heureuse, et procure la félicité après la mort ;

«Que l'âme est immortelle; que les morts ressusciteront; qu'il y aura un dernier jugement des bons et des méchants, où l'on ne paraîtra qu'avec ses vertus ou ses vices, qui seront la cause du bonheur ou du malheur éternel.

« Enfin, ajoute le savant traducteur, Platon avait une idée si grande et si vraie de la souveraine justice, et il connaissait si parfaitement la corruption des hommes, qu'il a fait voir que, si un homme souverainement juste venait sur la terre, il trouverait tant d'opposition dans le monde qu'il serait mis en prison, bafoué, fouetté, et enfin CRUCIFIÉ par ceux qui, étant pleins d'injustice, passeraient cependant pour justes 1. »

Les détracteurs du christianisme sont dans une position dont il leur est difficile de ne pas reconnaître la fausseté s'ils prétendent que la religion du Christ est un culte formé par des Goths et des Vandales, on leur prouve aisément que les écoles de la Grèce ont eu des notions assez distinctes des dogmes chrétiens; s'ils soutiennent, au contraire, que la doctrine évangélique n'est que la doctrine philosophique des anciens, pourquoi donc ces philosophes la rejettent-ils ? Ceux même qui ne voient dans le christianisme que d'antiques allégories du ciel, des planètes, des signes, etc., ne détruisent pas la grandeur de cette religion: il en résulterait toujours qu'elle serait profonde et magnifique dans ses mystères, antique et sacrée dans ses traditions, lesquelles, par cette nouvelle route, iraient encore se perdre au berceau du monde. Chose étrange, sans doute, que toutes les interprétations de l'in

1 DACIER, Discours sur Platon, p. 22.

crédulité ne puissent parvenir à donner quelque chose de petit ou de médiocre au christianisme !

Quant à la morale évangélique, tout le monde convient de sa beauté; plus elle sera connue et pratiquée, plus les hommes seront éclairés sur leur bonheur et leurs véritables intérêts. La science politique est extrêmement bornée : le dernier degré de perfection où elle puisse atteindre est le système représentatif, né, comme nous l'avons montré, du christianisme; mais une religion dont les préceptes sont un code de morale et de vertu est une institution qui peut suppléer à tout, et devenir, entre les mains des saints et des sages, un moyen universel de félicité. Peut-être un jour les diverses formes de gouvernement, hors le despotisme, paraîtront-elles indifférentes, et l'on s'en tiendra aux simples lois morales et religieuses, qui sont le fond permanent des sociétés et le véritable gouvernement des hommes.

Ceux qui raisonnent sur l'antiquité, et qui voudraient nous ramener à ses institutions, oublient toujours que l'ordre social n'est plus ni ne peut être le même. Au défaut d'une grande puissance morale, une grande force coercitive est du moins nécessaire parmi les hommes. Dans les républiques de l'antiquité, la foule, comme on le sait, était esclave; l'homme qui laboure la terre appartenait à un autre homme : il y avait des peuples, il n'y avait point de nations.

Le polythéisme, religion imparfaite de toutes les manières, pouvait donc convenir à cet état imparfait de la société, parce que chaque maître était une espèce de magistrat absolu, dont le des potisme terrible contenait l'esclave dans le devoir, et suppléait par des fers à ce qui manquait à la force morale religieuse : le paganisme, n'ayant pas assez d'excellence pour rendre le pauvre vertueux, était obligé de le laisser traiter comme un malfaiteur.

Mais dans l'ordre présent des choses pourrez-vous réprimer une masse énorme de paysans libres et éloignés de l'œil du magistrat ; pourrez-vous, dans les faubourgs d'une grande capitale, prévenir les crimes d'une populace indépendante, sans une religion qui prêche les devoirs et la vertu à toutes les conditions de la vie? Détruisez le culte évangélique, et il vous faudra dans chaque village une police, des prisons et des bourreaux. Si jamais, par un retour inouï, les autels des dieux passionnés du paganisme se relevaient chez les peuples modernes, si dans un ordre de société où

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