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belle urne en marbre blanc, dont des serpens entrelacés forment les anses, le plan de l'abbaye qui n'est plus, quelques tronçons de colonnes et des fragments de tombeaux!

Les tombeaux aussi couvraient la surface sacrée. (1) On y montrait surtout, outre ce que nous avons déjà dit, ceux du pape Gélase, de 26 abbés de Cluny, d'une foule d'archevêques, d'évêques, de princes et de personnages de distinction, dont les noms et les épitaphes, en vers ou en prose latine, bien qu'intéressans à l'œil de l'antiquaire, doivent pourtant être négligés par l'historien. Je ne veux nommer, avec les illustres morts de la maison de Bourgogne, avec les Soubise et les ducs de Pondevaux, qu'une sœur de St-Louis, Pernette, qui, devenue veuve, en 1270, de Hugues Guichard d'Hauteville, fils de Tancrède, bâtard de Roger, duc de Pouille, lequel mourut dans l'expédition de Tunis, vint mourir à Cluny en 1286. D'autres sépulcres célèbres, placés hors de l'église, ornaient St-Pierre-le-Vieux, les cloîtres et les cimetières de l'abbaye.

Aucune charpente n'apparaissait dans l'édifice gigantesque. On n'apercevait partout que des voûtes pleines, immédiatement recouvertes d'une toiture revêtue de tuiles creuses, telles qu'on les emploie encore dans la Haute Bourgogne, à Milan et

à Rome.

Le lecteur me pardonnera, j'espère, les détails, trop scrupuleux, et cependant trop incomplets, sans doute, que j'ai voulu consacrer à la mémoire d'un grand monument qui n'est plus. Il ne serait pas facile, quand l'église de Cluny serait debout encore, d'écrire à leur date le détail des constructions ou des ornemens qui s'ajoutèrent successivement au luxe des siècles. De pareilles descriptions, qui entraînent toujours le récit hors de l'ordre naturel des temps, ne tardent point a devenir fatigantes, même pour un édifice vivant. Quelle difficulté,

(1) Les principaux sont indiqués dans le plan. Le tombeau dont nous avons donné le dessin était probablement celui de Pierre-le-Vénérah!e.

TOME II,

20.

quelle impossibilité de décrire avec intérêt, avec exactitude, le temple dont les pierres sont dispersées! (2)

l'on

peut

Je veux donc que l'immense basilique de Cluny reste pour tous dans toute la nudité de son type austère et primordial. Je ne parlerai pas même des belles et nombreuses fenêtres gothiques qui éclairaient, dit-on, les appartemens des étrangers, et que admirer encore au côté occidental des bâtimens de l'abbaye. Le monastère doit demeurer essentiellement roman, avec le portique roman que j'ai cité, avec toutes les maisons romanes si remarquables, que l'on rencontre aujourd'hui même, à Cluny, près de l'enceinte monastique, et autour des autres églises de la ville. Les temps de l'époque romane furent les temps de la véritable splendeur de l'illustre couvent de Bourgogne : laissons d'accord ensemble sa grandeur morale et sa grandeur matérielle, dans le même caractère artistique et historique.

le

Comment une telle œuvre put-elle s'accomplir en si peu d'années, et avec des frais si nécessairement énormes ? On le comprendrait difficilement, si nous n'avions donné déjà les principaux traits de la vie morale de l'abbaye. Tous les rois de l'Europe, dont les relations furent si intimes et si fréquentes avec S. Hugues, y contribuèrent sans doute par leurs offrandes; mais celui que l'histoire surtout désigne comme le principal édificateur du temple de Cluny, c'est, je l'ai dit, roi Alphonse VI, d'Espagne. Il fit passer beaucoup d'argent à cette pieuse destination, sans compter les autres donations dont il combla le monastère. Aussi, dès la vie du roi espagnol, et après sa mort, faisait-on des prières et des aumônes dans tous les couvens de la dépendance de Cluny, pour le salut de l'ame d'Alphonse et de sa femme, qui l'avaient ordonné dans leurs actes de libéralité. A Cluny, on servait, chaque jour, à la

(2) Je dois un remerciment public à M. Ochier, docteur-médecin à Cluny, qni a bien voulu m'aider de sa science, de ses conseils et de ses manuscrits. J'y aurai reconrs plus d'une fois encore.

première table du réfectoire, le dîner d'Alphonse, comme si le roi le devait manger, puis on le donnait à un pauvre. En sa mémoire, le jeudi saint, on lavait les pieds de trente indigens, puis on leur donnait à manger, suivant l'ancienne coutume. Le jour de pâques, on en nourrissait cent autres. Alphonse avait dans l'église un des principaux autels, et devait avoir part à toutes les messes qui s'y célébraient. Pendant un an entier, on y dut offrir le saint sacrifice, chaque jour aussi, à l'heure même de la mort d'Alphonse : et son anniversaire devait enfin s'y renouveller, tous les ans, avec autant de solennité que ceux de l'empereur Henri-le-Noir et de l'impératrice Agnès, autres célèbres bienfaiteurs de l'abbaye.

Outre les générosités royales ou seigneuriales, le zèle des simples chrétiens concourait à la création de ces merveilles pieuses. Tous voulaient contribuer à la construction de l'église ; les ouvriers eux-mêmes, chacun selon son art, offraient une part de leur travail, comme une aide gratuite: et l'église, ainsi achevée, devait être chère à tous, car elle était l'œuvre de tous. Ainsi put s'élever, en ces temps de croyauce, la basilique clunisoise; et l'on aurait peine à en comprendre l'exécution rapide, sans les efforts combinés d'une pensée unanime et d'un concours universel.

Qui en fut l'architecte ? On en attribue le principal honneur à un moine du lieu, Hézelon, duquel on vante beaucoup l'érudition et l'éloquence. Si la chose est vraie, l'église romane du 11° siècle a été plus heureuse que tant de monumens magnifiques des temps postérieurs qui ont perdu à jamais le nom de leurs architectes. Mais aussi les moines écrivaient et se souvenaient.

Une chronique de l'abbaye place encore dans la vie de St.Hugues la construction d'un immense réfectoiré, au midi de l'église. Ce réfectoire long de 100 pieds, et large de 60, contenait six longs rangs de tables, sans compter trois autres tables transversales, destinées aux fonctionnaires de la commu

nauté. Il était orné de peintures qui retraçaient les histoires mémorables de l'ancien et du nouveau testament, les portraits des principaux fondateurs et bienfaiteurs de l'abbaye. On y voyait surtout un immense tableau représentant le Christ et le jugement dernier : on lisait au bas ces quatre vers latins:

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Ecce dies magnus, quo judex præsidet agnus,
Spontè vel ingratum cui subditur omne creatum.
Infelix verè cui non datur ista timere!

Nam præsens ignis domus est æterna malignis.

« Voilà le jour solennel où l'agneau va siéger en juge souverain, l'agneau de Dieu, à qui toute créature est soumise,

qu'elle le veuille, ou qu'elle résiste : profondément malheu« reux est celui auquel il n'est pas donné de redouter la sen<< tence suprême! car les flammes que vous voyez sont la «demeure éternelle des méchants. >>

Les peintures, l'artiste, le poète, tout est inconnu, tout a disparu pour nous. J'aime à croire que le peintre valait mieux que le poète. Je remarque pourtant dans ces vers latins la rime, non pas des derniers mots de chaque vers, mais de chaque première syllabe du 3o pied avec la dernière syllabe de chaque vers. Ces bizarreries, ces tours de force, qui ont préludé à la rime des nations modernes, se rencontrent dans les vers latins, et jusque dans la simple prose, bien avant le 11° siècle. Chose remarquable! ces siècles de basse latinité avaient mis à la mode précisément ce qui était regardé comme un défaut dans l'âge d'or de la littérature latine, qui évitait ces consonnances avec autant de soin que nous évitons encore nous-mêmes de faire rimer l'hémistiche de notre vers français avec sa désinence finale. - La rime est née peut-être dans la psalmodie des cloîtres, parce que le retour périodique des mêmes consonnances devoit singulièrement faciliter les chants d'église.

A présent que le monument bénédictin répond au nombre des frères et à l'importance historique de la congrégation clunisoise, il est temps de reprendre la suite des événemens. Mon récit touche à une crise morale qui faillit compromettre l'avenir et la prospérité du premier monastère des Gaules.

que

C'était un noble et beau jeune homme que Pontius de Melgueil, élu en 1109, et consacré par l'archevêque de Vienne, en remplacement du vénérable St.-Hugues. Issu d'une opulente famille d'Auvergne, filleul de Pascal II qui vivait encore, et l'avait fait élever à Cluny, il se montra d'abord digne de ses hautes fonctions, par sa modestie, ses mœurs religieuses et ses habitudes littéraires. Il fut l'un de ceux que l'empereur d'Allemagne députa vers le pape pour conclure la paix entre le sacerdoce et l'empire dont la querelle continuait. Ce fut lui qui défendit avec succès et talent, au célèbre concile de Rheims, en 1110, les priviléges de son monastère, dans un discours le moine Orderic Vital nous a conservé. Pascal II lui envoya sa propre dalmatique, lui permit de porter les ornemens pontificaux, en même temps qu'il confirma tous les priviléges de l'abbaye. Louis VII, lui-même, roi de France, sanctionna, entre les mains de Pontius, tous les droits du monastère, par une charte expresse dans laquelle il donne au glorieux monastère de Cluny le nom du membre le plus noble de son royaume: nobilius membrum regni nostri. On a remarqué aussi une lettre de Pascal II à Pontius, qui prouve qu'à cette époque on communiait encore sous les deux espèces : ita sumenda eucharistia, dit le saint pontife, ut corpus et sanguis seorsùm sumantur, exceptis infirmis et infantibus. Il paraît que les vieillards et les enfans pouvaient communier avec du pain trempé dans le vin.

Pontius obtint encore quelques concessions favorables à l'abbaye: mais un fait plus remarquable prouva que Cluny continuait d'être comme un second chef-lieu de la chrétienté.

Pascal était mort, après avoir renouvelé sa lutte avec l'em

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