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lange de fictions et de réalités historiques, s'unissant sans se dénaturer, peut être transporté du roman dans le drame. Et pourquoi non ? Qui empêche de former avec des personnages d'invention, mais vrais comme types de mœurs, une intrigue dramatique propre à exciter dans l'ame des spectateurs la curiosité, la terreur, l'admiration, la pitié, selon la tournure d'esprit ou la capacité du poète? Ne semble-t-il pas au contraire que. grâce à la liberté dont il jouit de créer ses acteurs, il doive trouver plus et mieux que l'histoire, puisque tout ce qui arrive sur cette terre est fini, et que l'imagination seule peut rêver l'infini? Et quand il faudra, comme cela me semble nécessaire dans le drame sérieux, placer les libres fictions du génie sous la majestueuse égide du passé, le poète ne pourrra-t-il pas, à l'exemple du romancier Écossais, supposer quelques communications naturelles et vraisemblables entre ses héros imaginaires et les hommes héroïques de son pays?

Au reste, la possibilité d'arriver à cette solution du problême est rendue singulièrement vraisemblable par l'exemple des grands poètes dramatiques de l'Espagne. Dans toutes celles de leurs pièces que l'on désigne sous le nom de drames historiques proprement dits, pour les distinguer des comédies de cape et d'épée consacrées exclusivement aux intrigues de la vie ordinaire et à la peinture des mœurs contemporaines, le fond même du sujet n'est que très-rarement fourni par l'histoire. La fable est de la pure invention du poète, à moins qu'il ne l'emprunte à une nouvelle inventée par un autre, ce qui revient absolument au même pour la question. Les personnages imaginaires sont placés dans une grande complication d'intérêts divers et qui se croisent de mille manières : quand l'embarras est à son comble, quand l'intrigue est si fortement nouée, qu'on ne prévoit pas de dénouement possible dans les simples données du drame, arrive à la voix du poète ou un héros national, ou, plus souvent, un roi Espagnol, qui fait l'office des dieux dans la tragédie Grecque, et termine le débat par sa toute-puissance.

Si ce personnage historique était plus fortement lié à l'action principale; si, au lieu d'apparaître sur la scène comme une utilité, comme un Dieu-machine de l'opéra, il exerçait une influence convenable et bien préparée sur la marche et le dénouement du drame, sa présence jetterait sur la partie fictive des pièces Espagnoles quelque chose de la dignité de l'histoire.

Mais il faudrait que ce personnage ne fut pas affublé de ce seul titre, beaucoup trop vague, « le roi ; » il faudrait que, descendant de la sphère métaphysique où le place le poète, il restât plus longtemps en scène et permit au spectateur de faire connaissance avec lui; il faudrait enfin que la partie historique ne fût pas rejetée comme un simple accessoire à la fin de la partie fictive, mais qu'elles s'unissent toutes deux par un hymen vraisemblable et légitime.

Alors serait résolue en fait, comme elle parait l'être en droit, la question de savoir comment et avec quelles précautions il convient d'employer dans le drame les matériaux fournis par l'histoire.

THÉOP. LODIN DE LALAIRE.

UN SUICIDE.

NOUVELLE.

LP

A nuit du 17 novembre 1831 fut une bonne fortune pour les laquais, les journalistes, les bonnes d'enfants, les marchands de vin, pour tous ceux enfin qui vivent de caquets.

Cette nuit-là le banquier d'Elmonce donna une fête où tout Paris était invité. La rue était illuminée : deux cents voitures l'encombraient, les cochers juraient ou riaient, les chevaux piaffaient, en sorte que tous les voisins de l'hôtel ne purent dormir ; ils eurent ainsi leur part de la fête.

Il n'arriva du reste que peu d'accidents; au dehors, il est vrai, le cocher de madame Sanval en ramenant à minuit les enfans à l'hôtel, broya contre une porte une pauvre petite fille qui mendiait encore à cette heure-là; mais cette petite fille n'ayant rien mangé de la journée, serait probablement morte de faim le jour suivant. Ainsi le mal n'était pas aussi grand qu'on se l'imaginerait d'abord.

Au dedans plusieurs dames, pour s'être laissé presser la main, perdirent leurs bagues, et un ou deux manteaux disparurent : il arriva encore ceci; que M. Neville, en s'approchant sans précaution d'une embrasure de fenêtre, entendit la conversation d'un jeune sous-lieutenant avec sa femme, ce qui le força le lendemain à se battre en duel, avec l'amant de madame, qui lui mit une balle dans la poitrine. Mais à part cela, la fête fut charmante; ces petites infortunes ne gâtent rien; la douleur des autres assaisonne si bien nos plaisirs; philantropes que nous sommes !

Trois maisons plus bas que celle de M. d'Elmonce, et au moment où l'orchestre donnait le signal de la danse, un jeune homme, habillé pour le bal, mais dont la pâleur contrastait avec ses habits de fête, s'arrachant à une longue réflexion, se précipita sur son pistolet placé devant lui, et se le tirant dans la tête qui fut presque partagée par la violence du coup, tomba sans vie sur le parquet. Au même instant une jeune et belle personne traversait les salons du banquier, recueillant sur son passage tous les hommages muets, toutes les acclamations étouffées que méritaient ses charmes ; doux tribut qui faisait battre son cœur de joie et répandait sur tous ses traits une rougeur de plaisir, ressemblant prodigieusement à une pudique modestie.

Le jeune homme qui venait de se tuer était monsieur Derval, chef de bureau au ministère de l'intérieur.

Cette belle personne qui jouissait d'une si douce ovation, s'appelait Caroline Demange, la seule femme que Derval eût aimée d'amour et à l'occasion de la quelle il venait de se tuer si inopinément. De la rue à l'anti-chambre et de l'anti-chambre au salon, les nouvelles circulent vite; l'on apprit chez le banquier d'Elmonce, la mort du jeune chef de bureau deux heures après la catastrophe, ce qui avec le punch qui commençait à circuler, ranima singulièrement la conversation. La cause de ce fatal événement était inconnue, Derval, n'étant point de

ces gens dont l'amour prend le public pour confident. - Mais conçoit-on pareille chose, disait un élégant médecin, plus savant sur la pathologie du corps que sur celle de l'ame ; je ne croyais pas Derval monomane: avait-il donc la bosse du suicide? - Docteur, croyez-moi, il n'y a point de bosse sans cause; et sa bosse fut probablement la disgrâce du ministre son protecteur, reprit un monsieur à face blême, qui suait l'intrigue par tous les pores de sa figure, plus immuable que ses opinions. Peut-être une perte au jeu, peut-être une peine secrète, une tristesse de l'ame, fis-je en m'éloignant des interlocuteurs qui sourirent à mon observation; c'étaient des gens sensés et positifs, et, dans notre société les gens sensés ne croient point à l'ame, et pourtant je disais vrai, c'était tristesse de l'ame, amour malheureux, qui avait ainsi détruit une si belle existence.

C'était

pour avoir nourri dans son cœur cette folie sérieuse, cet amour profond, anomalie dans notre vie égoïste, que Derval avait cessé de vivre.

Pauvre jeune homme, qui ne savait pas que la tête doit dominer le cœur! fasciné par une passion fatale, il avait attaché la mort à la vie, le feu à la glace, son ame toute palpitante de poésie à l'ame toute prosaïque d'une jeune fille, qui se pâmait d'aise devant une parure et n'admirait dans un homme que la richesse de sa taille ou la beauté de ses moustaches.

Caroline, brillante et animée, dansait dans une pièce reculée; il était impossible qu'elle connût le fatal résultat de cet amour; aussi se livrait-elle avec ivresse aux plaisirs du bal, aux empressemens des danseurs, aux applaudissemens de la foule. Cela faisait mal à voir; aux pieds de cette folle enfant du plaisir, il me semblait apercevoir Derval, le crâne entr'ouvert; son sang ruisselait sur le parquet, et dans ce sang glissaient les pieds légers de Caroline, et son sourire accompagnait la dernière convulsion de la courte agonie de son

amant.

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