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Alors il me vint une pensée cruelle, une pensée impolie et que pour cette raison la bonne société ne tolérera pas sans doute; si elle n'eût été que méchante et cruelle, à la bonne heure. J'obtins la main de mademoiselle Demange pour une contre-danse puis, dans un intervalle de repos, je lui dis du ton le plus dégagé que je pus prendre : j'ai une nouvelle à vous apprendre, Derval vient de se brûler la cervelle, on ignore le motif de ce suicide. Vous qui le connaissiez, en soupçonneriez-vous la cause ?

En voyant mademoiselle Demange pâlir subitement et ses paupières se baisser lentement sur ses yeux naguères si brillants de plaisir, j'allais me repentir de ma cruauté, et faire amende honorable à la sensibilité de Caroline, quand heureusement pour ma justification, la voix claire et sonore d'un beau et jeune lord, placé derrière elle, fit arriver jusqu'à son oreille ces mots flatteurs : « Si c'est par amour que s'est tué << M. Derval, il fallait pour commander un pareil amour, à un << tel homme, une femme adorable. » Alors la vanité chassa le saisissement, et la jeune fille reprit tout son éclat, et la foule la retrouva aussi vive, aussi légère, aussi belle; pour moi elle était hideuse.

Je m'éloignai. Hé bien! me dit d'un air contrit Alfred de Surville, l'un des amis intimes de Derval, quel malheur ! je ne m'en consolerai jamais.

Le bal se passa, puis l'enterrement, où tous les assistans prirent un air décent comme il convient à des gens de bonne compagnie. Peu à peu la cause de la mort de Derval, s'ébruita: cela valut à Mademoiselle Demange, l'effet de la plus brillante toilette.

Les demoiselles pour qui personne ne s'était tué séchèrent de dépit. Elle fit sensation dans tous les salons, le cortège de ses admirateurs s'en accrut; et le bel Anglais, qui lui avait sauvé un évanouissement, trop riche pour qu'on le laissât se suicider, la rendit lady et duchesse d'Angleterre. Pour l'ami de

Derval, Alfred de Surville, afin sans doute de songer toujours à son ami, il sollicita et obtint, au bout de huit jours, sa place au ministère. Le reste du monde l'oublia presqu'aussitôt que le banquier qui fit banqueroute, huit jours après.

De ceci je conclus que se tuer et se tuer d'amour est chose profitable; on fait marier sa maîtresse, on place ses amis, on fait hériter ses parens et on fournit aux vieilles un soupir de sensibilité et de regret, quand elles lisent dans le journal : un jeune homme de 25 ans s'est suicidé hier, rue de la Chaussée d'Antin: on attribue sa mort à une passion malheureuse. Hélas! elles ont eu plus de courage, et elles ont survécu à plusieurs passions malheureuses!

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DON était réservé à devenir la gloire et le restaurateur de l'ordre de St-Benoît. Il était d'une noble famille franque, comme son nom seul l'indique, ex militari Francorum prosapiá, disent les contemporains. Cette circonstance n'est pas indifférente; car elle prouve, avec tant d'autres exemples, combien la race conquérante, en se plaçant à la tête des établissemens religieux, s'était déjà profondément mêlée aux populations et aux sentimens généraux du pays. Elle prouve encore combien, étendue hors des premières origines de notre histoire, la distinction entre les Francs et les Gaulois est chose vaine et forcée. On comprend aussi quel empire dut exercer sur l'esprit des peuples le double ascendant des idées religieuses et de la haute naissance réuni dans un seul homme; à une époque surtout où le défaut absolu d'unité et de force gouvernementales laissait à toutes les puissances locales une liberté complète d'influence et d'extension. L'institut monastique devenait une société à part dans la société générale, de même que, dans un autre sens, chaque contrée devenait féodalement le centre d'une société partielle. La nécessité des choses conduisait là.

Louis IV (d'outre-mer), en 939, le pape Agapet, en 946,

et avant lui Jean XI, confirmèrent, il est vrai, par des chartes expresses les origines et l'existence du monastère de Cluny: mais, à ce moment, l'autorité royale était sans vigueur, la puissance pontificale ne faisait encore que préluder à son agrandissement moral; et la splendeur de Cluny devait venir alors, non pas tant de la consécration du pouvoir public, civil ou religieux, que de la science et de la sainteté de ses premiers habitans.

Odon ne manqua point à son rôle de fondateur. Son éducation avait été grande. Il avait passé plusieurs années de sa jeunesse à la cour de Guillaume, duc d'Aquitaine; son père, Abbon, fort versé lui-même dans l'histoire et la jurisprudence, l'avait nourri de bonnes traditions domestiques. Mais Odon ne tarda point à préférer aux sciences du siècle les méditations religieuses. Après avoir étudié la grammaire à Tours, la dialectique et la musique à Paris, il revint se livrer à l'étude et aux pieuses pratiques, près du tombeau de St-Martin de Tours, auquel sa mère l'avait voué, dès son enfance. Le respect des peuples ne manqua point aux austérités de sa vie. Il couchait à terre, il jeûnait sans cesse, il jeta plus d'une fois sa tunique aux enfans nus abandonnés dans le vestibule des temples. On remarquait avec admiration qu'il ne mangeait qu'une demi-livre de pain par jour, et qu'il buvait peu de vin, contre la coutume des Francs (extrà naturam francorum), dit naïvement sa chronique.

L'imagination populaire l'entoure de merveilleux événemens, et de traits naturels qui peignent au vif cette époque à demi civilisée. Dans une de ces nuits qu'il passait si fréquemment en prières au tombeau de St-Martin, Odon fut attaqué par une multitude de renards qui le couvraient de morsures. Il ne savait guère comment se débarrasser, lorsqu'un énorme loup survint, mit en fuite les renards, et devint désormais l'assidu compagnon et le gardien du saint homme en prières.

C'est à ce tombeau de St-Martin que la renommée lui arri

va d'abord. Toute la population était avide de l'entendre, de recevoir ses conseils, ses réprimandes, ses prédications. Il s'attacha par des liens cléricaux à la cathédrale de Tours; il y dirigeait les chants religieux; il en composa quelques-uns que l'église chante encore, et mérita la réputation de premier musicien de son siècle. Il avait 30 ans, lorsqu'il vint se placer à Cluny sous les ordres de Bernon.

Odon ne se contentait pas d'abord de la lecture de St-Augustin, des autres pères et de l'Écriture sainte. Son éducation l'avait habitué au charme des livres profanes; mais un jour qu'il lisait Virgile, il s'endormit, et vit en songe un admirable vase antique, rempli de serpens. Le saint comprit l'avertissement céleste, et ne lut plus de livres païens. Cette circonstance, qui se retrouve sans cesse dans la vie des auteurs chrétiens des vieux siècles, explique assez pourquoi les ouvrages d'Odon qui nous restent n'empruntent rien, ne se permettent même aucune allusion, à la littérature antique.

Cependant il écrivait sur Jérémie, par les ordres de l'archevêque de Besançon qui le fit prêtre. Il était encore à Tours lorsqu'on le pressa aussi de travailler sur un ouvrage de St-Grégoire-le-Grand (Moralia). Odon résistait humblement : mais sa résistance fut vaincue par une apparition miraculeuse. Un soir qu'il priait à l'église, il s'y endormit, les portes se fermèrent, la nuit vint. Dans cette nocturne solitude, il vit descendre du ciel un grand nombre d'anges, qui tous s'allèrent lentement et solennellement placer dans les stalles du chœur. Après eux vint St-Grégoire lui-même qui ne descendit point jusqu'au pavé du chœur, mais qui s'assit sur le trône de l'évêque. Un des anges s'avança vers Grégoire, et lui dit : Saint Père, que désirez-vous? - Prenez cette plume d'or, répondit Grégoire, en tirant une plume cachée dans ses cheveux, portez-la à Odon, et qu'il écrive sur mon livre.

Sous un tel homme, environné de tant de sainteté, la maison de Cluny devait prospérer et grandir. Quand il en devint

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