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l'habit de moine, et le saluèrent roi. Odilon fit quelque résistance pour rendre Casimir à la Pologne. Il fallut que le pape Benoît IX le relevât de ses vœux de moine et de diacre. Il retourna alors en Pologne, se marier et régner. Mais en mémoire de son ancien état monastique, il créa et dota en Pologne plusieurs couvens qu'il peupla de religieux de Cluny. Il persévéra lui-même jusqu'à sa mort dans les pratiques les plus religieuses; et ses sujets, pour reconnaître la grâce qu'ils avaient obtenue du souverain pontife, s'engagèrent à payer tous les ans un écu au saint Siége, et à couper leurs cheveux en forme de couronne, symbole de la tonsure monastique.

Odilon ne cessa point d'être estimé et recherché par les papes Sylvestre II, Benoît VIII, Benoît IX, Jean XVIII, Jean XIX et Clément II. Les empereurs Othon III, S. Henri, Conrad le Salique, Henri le Noir, l'impératrice Ste. Adélaïde, les rois de France Hugues Capet et Robert, ceux d'Espagne Sanche, Ramir et Garcias, St. Étienne roi de Hongrie, Guillaumele-Grand, comte de Poitiers, l'honorèrent de faveurs égales. Ce fut lui qui empêcha le roi Robert de tourner ses armes contre St. Germain d'Auxerre, lors de son expédition de Bourgogne. Il est encore le premier qui ait cherché à fonder la trève de Dieu, dans une grande assemblée de Bourges : cette trève de Dieu, singulière et sublime transaction de l'église avec les mœurs brutales et guerrières du temps, par laquelle, ne pouvant mieux faire, elle réservait une partie de la semaine à la paix et à Dieu, abandonnant le reste à l'humeur querelleuse et barbare des maîtres du territoire!

C'est aussi à Odilon que l'abbaye de Cluny dut la construction d'un nouveau cloître, orné de colonnes de marbre qu'il fit venir à grands frais, par la Durance et par le Rhône. J'ai trouvé une abbaye de bois, disait-il dans sa joie naîve, et je la laisse de marbre.

Plusieurs évêques, entr'autres Sanche de Pampelune, et Gauthier de Mâcon, l'aimèrent si tendrement qu'ils renonce

rent à l'épiscopat, pour aller vivre à Cluny sous sa conduite. Le clergé et le peuple de Lyon l'élurent archevêque; mais toutes les prières mêmes du pape Jean XIX ne purent le décider à accepter. Le pape envoya l'anneau et le pallium, menaça de sa disgrâce. L'abbé fut inflexible : le pallium et l'anneau demeurèrent à Cluny.

Au lieu de recevoir des dignités, Odilon aima mieux visiter le monastère du Mont-Cassin, père des couvens de St. Benoît. Objet de la vénération de tous les frères, il voulut laver les pieds de tous. A son retour, il institua à Cluny la fête des morts, commémoration touchante, qui plus tard fut adoptée par toute l'église. Ce jour là, l'abbaye de Cluny devait offrir le pain et le vin à tous les pauvres qui se présentaient.

On donne encore à cette institution morale une merveilleuse origine. Un moine de Cluny se trouvait un jour sur les mers de Sicile, aux environs de l'Etna. De quel pays êtes-vous, lui demandèrent quelques passagers, et comme il répondit qu'il était de Bourgogne, connaissez-vous, dirent-ils, l'abbé Odilon? Tous les jours nous entendons les démons hurler au milieu de leurs fournaises ardentes, des flammes et des tremblemens de terre, et s'écrier qu'Odilon leur enlève par ses prières les ames des pécheurs. Le Bourguignon, de retour, ne manqua point de raconter à son abbé la conversation du vaisseau, ce qui donna au saint homme l'idée de la fête des morts qu'il imagina.

Enfin, pour que rien ne manquàt aux mérites d'une si belle et si longue vie, une disette affreuse survint en 1030 ; les pauvres abondèrent. La famine fit commettre alors en Bourgogne les plus horribles crimes. On brûla vif, par ordre du comte de Mâcon, un aubergiste qui faisait manger de la chair humaine à ses hôtes. On trouva dans sa maison 48 têtes d'hommes ou d'enfans qu'il avait massacres. Le même supplice punit un marchand qui exposait aussi publiquement en vente de la chair humaine dans les marchés de Tournus. On fit inhumer les res

tes des cadavres qu'il vendait. Une femme, mourant de faim, les déterra pour les manger. Pour soulager et nourrir les malheureux, Odilon vendit ses ornemens d'église et jusqu'à une couronne d'or qu'il avait reçue en présent de l'empereur d'Allemagne. C'était dans le même temps que son ami, Guillaume, devenu abbé de St. Bénigne de Dijon, donnait aussi aux pauvres le prix des vases sacrés, et méritait par ses évangéliques vertus, par 40 monastères qu'il fonda, par les études qu'il fit fleurir partout et qui rendirent célèbre au loin l'école de St. Bénigne de Dijon, une haute et sainte renommée, dont les municipalités modernes ont trop perdu le souvenir. (1)

Avec quelle autorité une piété si vraie, un savoir si étendu, une bonté si tendre, ne devaient-ils pas gouverner les hommes? Les écrits mêmes d'Odilon ont un caractère à

part. Les quatorze sermons qu'il a laissés sur les principaux dogmes de la religion chrétienne se recommandent à la fois par l'intelligènce des saintes écritures et par une éloquente douceur. Il aimait surtout les livres de St. Ambroise, et avait du penchant pour les doctrines douces et une morale persuasive. Son latin est bien supérieur à celui de St. Odon, et il fait un usage fréquent des pères Grecs que celui-ci paraît avoir négligés ou ignorés. Il a même eu cette honneur que les éditeurs de St. Augustin ont mêlé un sermon d'Odilon à ceux de l'évêque d'Hippone.

Odilon composa encore dans l'un de ses monastères, à Roman, la vie de l'impératrice Ste. Adélaïde. C'est là qu'il se nomme humblement frère Odilon, le plus misérable de tous les pauvres de Cluny; c'est là qu'il raconte la touchante aventure de cette sainte femme, fille, mère, épouse de rois, obligée de fuir, la nuit, avec une seule servante, pour échapper en Italie à ses persécuteurs, et de se cacher tout un jour, après mille dangers, dans l'eau fangeuse et dans les roseaux, heu

(1) En 1830, à Dijon, la rue Guillaume et la rue Condé ont échangé leurs noms anciens contre celui de rue de la Liberté. Deux grands noms historiques, l'un religieux et l'autre militaire, et tous deux provinciaux et Bourguignons, ont ainsi fait place à l'expression métaphysique et générale d'une réaction politique.

TOME II.

4.

reuse d'ètre recueillie, le soir, par un pauvre pêcheur qui la réchauffe à son foyer, nourrit d'eau et de poissons cette reine affamée, la reconnait et la sauve.

Une autre biographie, celle de St. Mayeul, des lettres, des hymnes, des vers latins; voilà ce qu'on a pu recueillir des œuvres de cet abbé de Cluny, à qui une vie de 87 ans a permis d'être l'un des hommes les plus éminens et les plus vénérables de son siècle.

Avant de passer à Hugues, disciple bien-aimé et digne héritier d'Odilon, celui qui, avec Pierre le Vénérable, complète l'illustre série des plus grands chefs de l'abbaye de Cluny, il faut que je m'arrête : car sous Odilon éclate un fait grave que je dois signaler.

On n'aperçoit pas alors que l'autorité civile ou papale veuille s'opposer à l'essor monastique. Le pouvoir royal, dans les désastres et les langueurs de la race Carlovingienne, était trop faible et trop lointain pour peser sur Cluny : il était d'ailleurs trop empreint de l'opinion religieuse des peuples, pour qu'il se hasardat à lutter contre l'opinion publique. La royauté féodale et circonscrite ne pouvait non plus ni protéger, ni opprimer, dans la Bourgogne qui, nous l'avons vu, n'appartenait pas même à un pouvoir général, et ne faisait point encore partie de la France. Cluny n'avait guère alors à craindre que des violences brutales et privées, des ruines, des pillages, qui n'étaient point rares, dans l'absence de presque toute organisation de pouvoir public protecteur.

La papauté, bien qu'aspirant à son indépendance spirituelle et civile, était encore le jouet des mille passions, des mille violences de la féodalité Italienne. Charlemagne n'était plus là pour imposer un temps d'arrêt à la conquête barbare ou au morcèlement territorial. Dans le ge et le 10° siècle, il ne se passe guère d'années que de misérables intrigues, la force de quelques familles puissantes, ou d'effroyables tumultes populaires, n'anéantissent ou ne déshonorent la mission morale du

pontificat chrétien. Un peu plus tard, quand les empereurs d'Allemagne vinrent se poser en Italie comme les successeurs de Charlemagne, et lutter tour-à-tour contre les souvenirs démocratiques du peuple Romain et contre les prétentions nouvelles de l'aristocratie militaire, la papauté, placée maintenant sous la main de l'empire, pour être plus pure et mieux protégée, n'en fut ni plus libre, ni plus influente. Les empereurs s'attribuaient, par le droit du glaive, l'élection de l'évêque de Rome, comme dans le reste de la chrétienté l'autorité militaire et laïque intervint trop souvent par la force et la simonie dans les elections catholiques. La grande querelle allait éclater entre le sacerdoce et l'empire. Jusque là le pontificat romain recueillait ses forces, préparait son avenir, et ne songeait point à mettre des limites à la rapide et si merveilleuse exécution du testament de Guillaume, duc d'Aquitaine.

Il n'en était pas de même des évêques de Mâcon. L'épiscopat était alors la vraie, et presque l'unique puissance des églises provinciales. C'était à l'évêque qu'appartenait originairement la distribution, et comme la possession, de toutes les richesses ecclésiastiques d'un diocèse ; c'était lui qui d'abord répartissait les prêtres et les biens cléricaux, librement et sans contrôle, sur toute la surface de son territoire épiscopal. Les synodes, les conciles locaux, fortifiaient incessamment l'influence des évêques. Les traditions de l'église primitive, les faveurs mêmes de l'empire Romain à ses derniers momens, puis les complaisances nouvelles et les largesses des dynasties conquérantes, tout avait habitué l'épiscopat à se croire le représentant de l'opinion publique et religieuse, et le protecteur de toute la partie non militaire du pays. La faiblesse et la confiance des vaincus s'était placée à l'abri du pouvoir moral et modérateur de l'église cathédrale; et les héritiers des vainqueurs eux-mêmes ne tardèrent point à sentir la nécessité de plier le genou devant les chefs de la religion chrétienne. Les débiles descendans de Charlemagne en firent plus d'une fois

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