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» nécessairement l'idée d'un séjour de peines; et quand on » espère l'un, sans craindre l'autre, les lois civiles n'ont plus » de force. »>

Il n'est pas difficile de prouver que l'homme intelligent, ou l'âme dégagée des sens, ne peut ni mériter ni démériter, c'està-dire qu'elle est fixée dans l'état dans lequel elle se trouve au moment de sa séparation d'avec les sens. L'âme juste est en société d'amour avec Dieu; l'âme coupable est, si je puis m'exprimer ainsi, en société de haine avec Dieu. L'amour comme la haine se produisent dans un être libre par la force ou l'action extérieure des sens donc l'âme qui n'est plus unie aux sens ne peut plus faire ni actes d'amour, si elle hait, ni actes de haine, si elle aime; donc son état d'amour ou de haine est immuable.

1° Le dogme des peines et des récompenses dérive nécessairement de la distinction du bien et du mal: or, la distinction du bien et du mal est nécessaire, parce qu'elle est un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres donc les peines et les récompenses futures sont un rapport nécessaire, une loi; mais un rapport nécessaire est un rapport immuable, éternel donc les peines et les récompenses de l'autre vie seront éternelles; c'est-à-dire que la vertu sera récompensée, et le crime puni, tant que le bien sera distingué du mal.

2o Toutes les récompenses qu'accorde la société politique, toutes les peines qu'elle inflige, durent autant que l'homme politique ou que la famille. L'honneur d'une récompense personnelle, et la honte d'une peine afflictive, s'étendent par le souvenir au-delà même de la durée de la famille. Des récompenses ou des peines pécuniaires accroissent ou diminuent pour toujours sa propriété. Donc les récompenses ou les peines de la société religieuse dureront autant que l'homme intelligent; car, comme je l'ai dit ailleurs, s'il y a une autre vie, elle est nécessairement heureuse ou malheureuse.

3o Si les peines et les récompenses de l'autre vie ne sont pas éternelles, il n'y a plus de Dieu; puisqu'il n'y a plus de justice

en Dieu, puisque le bien et le mal, nécessairement et essentiellement distingués, finiront par être confondus et obtenir le même traitement: il n'y a plus de société; car il n'y a plus de frein pour le crime heureux, plus de dédommagement pour la vertu persécutée.

4° Je vais plus loin, et persuadé de ce principe, que tout ce qui est utile à la conservation de la société est nécessaire, c'està-dire, est tel qu'il ne puisse être autrement, je dis : Le dogme de l'éternité des peines et des récompenses est utile à la conservation de la société civile, puisqu'il est l'encouragement le plus puissant de la vertu qui la conserve, le frein le plus efficace du crime qui la détruit donc le dogme de l'éternité des peines et des récompenses futures est vrai; car, s'il n'était pas vrai, la société manquerait d'un moyen de conservation: donc elle pourrait ne pas se conserver; donc elle ne serait pas nécessaire: ce qui est absurde.

La philosophie rejette les peines éternelles, et elle voudrait des crimes inexpiables. 1° Il y a contradiction entre des crimes qui ne peuvent être expiés, et des peines qui peuvent finir. 2. J'ai prouvé que la certitude que son crime ne peut être expié, ferait d'un homme coupable par faiblesse, un scélérat par désespoir; et il est aisé de sentir que la certitude que ses peines auront un terme, après lequel il jouira d'un bonheur sans fin, ferait, d'un homme faible par nature, un homme criminel par calcul. En effet, les objets qui affectent les sens, ayant bien plus d'empire sur l'homme que ceux qui n'affectent que ses facultés spirituelles, l'homme ne trouverait pas un motif suffisant pour se priver d'un plaisir présent, et vers lequel son penchant l'entraîne, dans la crainte d'une peine éloignée, d'un genre qu'il ne peut connaître, qui ne se présente pas à son esprit avec la certitude d'un objet sensible et éprouvé; d'une peine qui, plus ou moins longue, aboutirait toujours à une éternité de bonheur. Pour juger de l'effet que produirait dans la société, le dogme des peines temporaires dans l'autre vie, il n'y a qu'à voir les dangers et les fatigues qu'un

homme, passionné pour quelque objet, brave pour se satisfaire.

Philosophe, qui admets l'immortalité de l'âme, et qui nies l'éternité des peines, multiplie les siècles par les siècles, élève le temps à la puissance infinie de l'éternité; et ose dire après combien de temps d'expiation, Robespierre, expirant avec le seul regret d'avoir laissé vivre quatre cent mille têtes innocentes, jouira du même bonheur que la vertueuse Elisabeth, mourant en pardonnant à ses bourreaux (1).

C'est vous même, me dira le philosophe, qui ôtez tout frein au crime, en supposant qu'un instant de repentir peut expier une vie entière de forfaits. La religion, il est vrai, me dit qu'un acte d'amour peut tout effacer; et j'en trouve la raison dans la nature des êtres, en considérant qu'amour est pouvoir, et que rien n'est impossible au pouvoir: mais la raison me dit aussi que le crime est haine de la Divinité, et qu'il est comme impossible de passer subitement de la haine à l'amour. Ecoutez sur cet important sujet Montesquieu : « La religion païenne, >> qui ne défendait que quelques crimes grossiers, qui arrêtait la > main et abandonnait le cœur, pouvait avoir des crimes inex>> piables mais une religion qui enveloppe toutes les passions; >> qui n'est pas plus jalouse des actions que des désirs et des » pensées ; qui ne nous tient point attachés par quelques chaî→ »nes, mais par un nombre innombrable de fils ; qui laisse der» rière elle la justice humaine, et commence une autre justice; » qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l'amour et » de l'amour au repentir; qui met entre le juge et le criminel >> un grand médiateur, entre le juste et le médiateur un grand » juge; une telle religion ne doit pas avoir de crimes inexpia»bles. Mais quoiqu'elle donne des craintes et des espérances à » tous, elle fait assez sentir que, s'il n'y a point de crime qui, » par sa nature, soit inexpiable, toute une vie peut l'être ; qu'il

(1) Ce n'est pas le dogme de l'éternité des peines qu'il est pénible de croire, quand on voit à quels forfaits les passions peuvent conduire l'homme; c'est bien plutôt celui de la possibilité du pardon.

serait très-dangereux de tourmenter sans cesse la miséricorde › divine par de nouveaux crimes et de nouvelles expiations; » qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le Seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, » de combler la mesure, d'aller jusqu'au terme où la bonté pa» ternelle finit. »

Les philosophes ont commencé par nier l'éternité des peines, et puis ils ont déclamé contre les expiations. En effet, si les gouvernements abolissent la peine de mort, il est évident qu'ils n'ont plus besoin de lettres de grâces.

J'ai remarqué que les mêmes hommes qui attaquent le dogme de l'éternité des peines et des récompenses éternelles, abolissent dans la société politique la peine de mort et la récompense héréditaire de la noblesse. Tout se tient dans la société civile; et il ne se fait pas un changement dans une des deux sociétés qui la composent, qu'il ne se fasse bientôt dans l'autre un changement correspondant.

L'homme est essentiellement faible; mais Dieu est essentiellement bon: donc le pardon est dans la nature de Dieu, comme la passion est dans la nature de l'homme. Mais Dieu est essentiellement juste, et toute faute est essentiellement punissable: donc la peine pour la faute commise est dans la nature du Dieu juste, comme elle est dans la nature du délit. Le pardon accordé suppose donc la peine infligée, et le délit effacé suppose la peine accomplie : donc le dogme d'un lieu destiné à accomplir la peine infligée au délit pardonné est un rapport nécessaire qui dérive de la nature des êtres qui composent la société religieuse, aussi nécessairement que la loi civile qui ordonne qu'un homme banni pour un temps, doit garder son ban avant de rentrer dans sa patrie, dérive de la nature des êtres qui composent la société politique.

Le dogme d'un lieu destiné aux expiations est donc un développement nécessaire de la loi des expiations: donc il est virtuellement, implicitement compris dans l'Evangile, qui établit la loi des expiations. Le fond, dit Spanheim, ministre ré

formé, est certain; mais la manière et les circonstances ne le sont pas. Aussi le concile de Trente, en établissant la certitude du fait, a formé, selon Bossuet, son décret avec une expression générale; car, dit cet illustre auteur, la nature des peines n'est pas expliquéc de la même sorte par les saints Docteurs.

CHAPITRE VI.

Sacrifice perpétuel de la religion chrétienne.

Il est temps de parler du sacrifice perpétuel, offert dans la société religieuse constituée, ou la religion chrétienne. Je n'entreprends pas d'en expliquer le mystère; mais j'ose en démontrer la nécessité, c'est-à-dire, faire voir qu'il est une loi, un rapport nécessaire, ou tel qu'il ne pourrait être autrement qu'il n'est, sans choquer la nature des êtres qui composent la société religieuse. J'emploierai, selon mon usage, la méthode la plus didactique et le raisonnement le moins orné. On veut nous ramener sans cesse à la pure raison; c'est à la seule raison que je m'adresse : on rejette l'autorité de la théologie et la certitude de la foi; je n'invoque que l'autorité de l'histoire et le témoignage de nos sens: et la raison aussi conduit l'homme à la foi (1).

J'ai considéré l'homme-Dieu comme médiateur de l'alliance ou de la société entre Dieu et l'homme; je vais le considérer comme victime du sacrifice que la société offre à l'Etre suprême.

J'ai dit que la religion dans l'homme social, ou la société, était sentiment, c'est-à-dire, amour et crainte.

(1)

La raison, dans mes vers, conduit l'homme à la foi.
(RACINE, Poème de la Religion.)

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