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c'est-à-dire, dans les sociétés qui ont embrassé la religion réformée. Mais 1o l'accroissement de la population n'est pas toujours un bien; 2o l'accroissement immodéré du commerce est toujours un grand mal : mal moral, car l'amour de la propriété éteint dans la société tout amour de Dieu et de l'homme; mal physique, car il ôte à la société toute force intérieure de résistance ou de conservation. Les souverains, qui placent la suprême félicité de leurs peuples et la gloire de leur règne dans l'extension du commerce, ne font pas attention qu'il n'y a peutêtre pas aujourd'hui en Europe une seule ville dont les habitants, pour conserver la fidélité qu'ils doivent à leur légitime souverain, fussent disposés à soutenir les périls et les incommodités d'un siége, et que ces exemples de courage et de dévouement étaient extrêmement communs dans les siècles précédents.

C'est surtout dans les troubles intérieurs qu'on peut juger la force de conservation des diverses sociétés. On verra la France. se retirer de l'abîme le plus profond dans lequel une société puisse être tombée, par la seule force de son principe intérieur ou religieux. D'autres sociétés placées dans les mêmes circonstances n'auraient pas les mêmes ressources, et c'est une comparaison que l'Europe pourra faire avant cent ans.

Il ne faut donc pas détruire les ordres religieux, comme ont fait quelques souverains, pour établir à leur place des fabriques

si fréquents dans quelques Etats d'Italie; et parce qu'un pouvoir sans force ne peut réprimer les actes, une religion toute extérieure ne peut réprimer les volontés. Il n'y a de mœurs publiques, que là où il y a des hommes publics; il n'y a des hommes publics, que là où il y a une profession sociale ou publique. La révolution française prouvera cette grande vérité, que les prêtres sont la force conservatrice de la société religieuse, et les nobles, de la société politique; et c'est en sacrifiant leurs vies et leurs propriétés pour demeurer fidèles au pouvoir de l'une et de l'autre société, qu'ils les rétabliront en France. C'est la véritable raison pour laquelle les prètres et les nobles sont les premières victimes dans les révolutions religieuses et politiques. Les factieux, qui veulent établir leur pouvoir particulier à la place du pouvoir général, cherchent à anéantir sa force ou son action, parce qu'un pouvoir sans force n'est plus un pouvoir.

d'objets superflus, qui font renchérir les bras pour l'agriculture, sans rendre moins chères les productions mêmes de ces fabriques; des fabriques qui altèrent le moral de l'homme, en réunissant les individus de tous les âges et de tous les sexes, en allumant dans son cœur le goût du luxe et des besoins factices qui altèrent son physique, en l'occupant à des travaux sédentaires pour lesquels la nature ne l'a pas fait. Mais il faut rendre les ordres religieux utiles à la société, en les maintenant dans la destination pour laquelle ils ont été fondés, ou en leur en donnant de nouvelles que les développements de la société peuvent demander; il faut surtout maintenir dans leur sein la subordination, et ne pas permettre que tout religieux mécontent trouve auprès des tribunaux séculiers un recours assuré contre son supérieur: cet abus était commun en France, et tenait, plus qu'on ne pense, aux principes de liberté et d'égalité, qui s'avançaient peu à peu dans la société. Cet abus est destructif de tout ordre, de toute règle; il dissout les corps pour protéger les membres; et encore le recours aux tribunaux séculiers ne sert jamais qu'aux mauvais sujets, car un bon religieux doit souffrir et se taire. Les supérieurs immédiats et naturels des corps religieux doivent être les évêques, et je crois que l'exemption de la juridiction de l'ordinaire est contraire à la saine discipline de l'Eglise, à l'intérêt de l'Etat, à l'intérêt des ordres religieux eux-mêmes.

Il n'est pas hors de propos d'observer que ces grandes fondations sociales ont presque toutes pris naissance en France, en Espagne, en Italie, dans les pays où l'homme est plus aimant, parce que la constitution politique et religieuse y est plus amour, ou plus constituée; comme les premiers réformateurs se sont élevés en Angleterre et en Allemagne, c'est-à-dire, dans les pays où la constitution politiqueet religieuse est plus opinion et système. A voir l'état présent de la France, on peut conjec » turer, sans trop de témérité, qu'il s'y prépare l'établissement de quelque corps dont la destination soit à la fois religieuse et politique, tel que serait un corps consacré à l'éducation publique,

parce qu'un établissement de ce genre est nécessaire à la conservation de la société civile (1).

CHAPITRE V.

Effets de l'autorité des Papes.

La société civile était arrivée à la fin du xve siècle. Jusqu'alors, l'Europe pouvait être considérée comme une seule famille, troublée quelquefois, il est vrai, par les passions de ses membres, parce qu'il ne peut pas plus exister d'hommes sans passions, que de sociétés sans hommes, mais réunie par un intérêt commun, je veux dire, par la même religion publique et les mêmes sentiments de respect et de déférence pour un chef commun, que sa dignité séculière rendait l'égal des rois, que son caractère spirituel et ses fonctions religieuses rendaient supérieur à tous les chrétiens.

Plus d'une fois, le père commun des fidèles avait interposé sa médiation, son autorité même, dans les sanglantes querelles de ses enfants. Plus d'une fois, la religion avait fait parler l'humanité éplorée; et quelquefois aussi la politique aux abois s'était couverte du manteau de la religion. « Les conciles d'une » certaine époque, dit l'auteur des Mémoires pour servir à » l'histoire des égarements de l'esprit humain, sont pleins » d'exhortations et de menaces faites aux souverains qui trou>> blaient la paix, qui abusaient de leur pouvoir et de leur au»torité contre l'Eglise, contre les fidèles, contre le bien pu»blic; on y rappelait les souverains et les hommes puissants

(1) Les administrations catholiques sont bien éloignées de soupçonner le parti, mème politique, qu'elles peuvent tirer des ordres religieux.

» au moment de la mort. Les papes rappelaient les souverains » à la paix, et lâchaient de tourner contre les usurpateurs, les » injustes, contre les oppresseurs des peuples, contre les infi» dèles, cette passion générale pour les armes et pour la » guerre. Leibnitz, qui avait étudié l'histoire en philosophe et » en politique, reconnaît que cette puissance des papes a sou» vent épargné de grands maux. » Si cette question se décidait par l'autorité des noms, on pourrait opposer le nom de Leibnitz à celui d'une foule d'écrivains inconsidérés ou prévenus, qui ont déclamé à tort et à travers contre la puissance des papes, parce que les déclamations sont commodes, et qu'elles dispensent l'écrivain de prouver, comme le lecteur de réfléchir.

Ce n'était pas seulement des passions guerrières de leurs chefs que la religion cherchait à préserver les peuples; elle cherchait encore à les défendre des passions voluptueuses de leurs rois. On voit fréquemment, dans l'histoire des temps anciens, des rois repris, pour avoir contracté des mariages illégitimes, pour ne pas renoncer à un commerce scandaleux, pour donner enfin à leurs peuples des exemples aussi funestes à la société politique que contraires à la société religieuse. La société était alors un enfant, que la religion, sa mère, corrigeait avec la verge; devenu plus grand et plus raisonnable, l'autorité est la même; mais les moyens sont différents. Au reste, quels que soient ceux que l'Eglise emploie, et qui doivent con venir aux temps et aux hommes, les rois chrétiens ne doivent pas oublier qu'ils n'auront de puissance réelle sur leurs peuples, qu'autant que les peuples seront persuadés que la religion en a sur eux; l'homme ne doit pas dépendre de l'homme, mais du pouvoir général de la société, qui n'est lui-même que l'agent de sa volonté générale. Depuis que la philosophie a affaibli le frein de la religion et ébranlé le sentiment d'un Etre suprême, c'est à-dire, depuis que les peuples ne voient plus rien au-dessus des rois, ils s'y sont mis eux-mêmes; et le principe monstrueux de la souveraineté du peuple a succédé à la doctrine erronée de l'autorité des papes sur le temporel des

T. II.

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les

rois. Si les rois ont fondé la puissance temporelle des papes, papes ont affermi la puissance spirituelle des rois; car si l'excommunication faisait trembler des rois injustes, elle avait encore plus d'effet sur les peuples rebelles.

Je n'ignore pas l'abus que les papes ont fait quelquefois de ces moyens, que M. l'abbé Fleury prouve très-bien que les papes n'employaient jamais contre les souverains, dans les premiers temps de l'Eglise les papes sont hommes, et ils ont leurs passions et leurs erreurs. Ils ont quelquefois méconnu ce développement successif et simultané de la société religieuse et de la société politique, parce que ce n'est pas au pape (1), mais à l'Eglise en corps qu'appartient l'infaillibilité. Ce sont les vrais principes (2), et c'est la doctrine de l'Eglise de France. Aussi il est essentiel d'observer que les justes droits du saintsiége sont plus affermis, en France, que dans aucun autre royaume de la chrétienté, parce que son autorité y est renfermée dans de justes bornes. En France, le pouvoir général de l'Eglise est plus reconnu et plus respecté, parce que le pape ne peut pas, par les lois du royaume, y exercer de pouvoir particulier; au lieu que dans d'autres Etats chrétiens, et par

(1) Dans les principes de l'Eglise gallicane, principes dont je crois avoir démontré la nécessité, le souverain pontife est dans la société rel gieuse ce que le connétable était dans la société politique. Il était le chef né et naturel de toute la force publique de l'Etat, il était tribunal et avait une juridiction: la société ou son pouvoir ne pouvait le priver de sa dignité ni lui interdire l'usage de ses fonctions sans lui faire son procès. La suppression de la dignité de connétable a pu accroitre la force offensive de la société politique, mais comme toutes les suppressions du même genre, elle a diminué la force de résistance et de conservation.

(2) Les opinions de l'auteur étaient bien changées, lorsqu'il écrivait à M. de Frenilly, pair de France : « Les libertés de l'Eglise gallicane, qu'on a >> exhumées de la poussière des écoles, et dont on a fait tant de bruit, ont >> merveilleusement servi à tous ceux qui ont voulu opprimer l'Eglise, et aux » magistrats jaloux du pouvoir du clergé, et à Bonaparte, à cheval, disait» il, sur les quatre Articles, pour faire la guerre au saint-siége... Ces » libertés, si bien connues des magistrats, étaient ignorées des fidèles; et » l'abbé Fleury, qui en était le zélé défenseur, disait qu'on pourrait faire » un traité des servitudes de l'Eglise, comme un traité de ses libertés. » (Réponse à M. de Frenilly, 1829; pag. 21, 22.) (Note de l'éditeur.)

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