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J'ai dit que l'homme ne pouvait avoir le sentiment, c'est-àdire, aimer ou craindre que ce qui existe; car, avoir le sentiment de ce qui n'existe pas, c'est avoir le sentiment du néant, c'est n'avoir aucun sentiment, c'est n'aimer ni ne craindre. Or l'homme, esprit et.corps, ne peut pas plus exister sans pensée et sans sentiment, c'est-à-dire sans amour ou sans crainte, qu'il ne peut exister sans action ou sans mouvement.

Penser est produire : or, penser à ce qui ne peut pas exister, ce serait produire ce qui ne peut pas être ; ce qui est absurde. Aimer est reproduire ou conserver: or, aimer ce qui n'existe pas, serait reproduire ou conserver ce qui n'est pas produit ; ce qui est absurde.

Les hommes pensent à Dieu; donc Dieu peut exister. Les hommes ont le sentiment de Dieu; donc Dieu existe.

CHAPITRE III.

Suite du même sujet.

Je dois répondre à quelques objections.

Tous les hommes, me demande le philosophe, ont-ils le sentiment de la Divinité? Oui, et la preuve de cette assertion me paraît évidente. Je ne puis connaître le sentiment de l'individu, sentiment particulier et qu'il peut ne pas manifester au dehors; mais je connais infailliblement les sentiments de la société, sentiments sociaux, c'est-à-dire extérieurs et publics: or, on a vu dans toutes les sociétés le sentiment de la Divinité manifesté par un acte extérieur et semblable, par le sacrifice : donc tous les hommes ont le sentiment de la Divinité; parce que tous les hommes sont membres du corps social, et qu'en qualité de membres d'un corps, ils en partagent nécessairement

tous les sentiments. Existence d'un Etre supérieur à l'homme, qui l'a créé et qui le conserve: loi fondamentale de toute société humaine, sentiment que l'homme tient de sa nature d'homme social. Unité de Dieu, rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres loi religieuse, conséquence nécessaire de la loi fondamentale, et fondamentale elle-même; car s'il existe un Etre infini, tout-puissant, il ne peut en exister qu'un. C'est ce que l'homme apprend de ses maîtres; fides ex auditu; mais c'est ce qu'il apprend aussi de sa raison. Ainsi, dans la société politique, l'existence du pouvoir général est une loi fondamentale; et l'existence d'un seul homme appelé monarque, exerçant le pouvoir général, est une loi politique, rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres, conséquence nécessaire de la loi fondamentale, et loi fondamentale elle-même. Si Dieu n'existait pas, le mot Dieu n'existerait dans aucune langue, le sentiment de Dieu n'existerait chez aucun peuple; l'élève ne pourrait pas entendre, parce que le maître ne pourrait pas parler. Le missionnaire n'apprend pas au sauvage que la Divinité existe, car il lui en parlerait en vain, si le sauvage n'en avait pas le sentiment; il lui apprend seulement qu'il n'existe qu'un Dieu; parce que l'unité de Dieu est un rapport nécessaire, dérivé de la nature des êtres, rapport sur lequel la nature éclaire l'homme sauvage comme l'homme policé.

Les hommes peuvent découvrir des rapports entre les êtres, et ils travaillent sans cesse à en découvrir de nouveaux, c'està-dire, à étendre et perfectionner leurs connaissances; mais l'hornme n'invente pas des êtres, car inventer un être ce serait le créer, et l'homme ne peut pas plus créer un être qu'il ne peut le détruire. Quand Néper découvrit les logarithmes, il ne fit que mettre au jour de nouveaux rapports entre les nombres; Archimède trouva le rapport du diamètre à la circonférence, mais il n'inventa ni le diamètre, ni la circonférence; Pascal n'inventa pas les courbes, ni Newton les couleurs, quoiqu'ils découvrissent, l'un de nouvelles propriétés des courbes, l'autre de nouveaux effets de la lumière.

Oui, tous les hommes ont le sentiment de la Divinité, soit positif qui est l'amour, soit négatif qui est la haine. Philosophe, tu penses à Dieu, quand tu en nies l'existence; et, malgré toi-même, tu en as le sentiment, c'est-à-dire la haine, quand tu la combats. L'homme parfaitement libre, l'homme vertueux, celui dont l'amour est réglé, a nécessairement le sontiment, c'est-a-dire 'amour de la Divinité : Thomme esclave de ses passions, l'homme dont l'amour est déréglé, et qui n'a que l'amour de soi, a aussi le sentiment de la Divinité, mais ce sentiment est la crainte sans amour, ou la haine : il voudrait anéantir un être dont l'existence l'importune; et ce n'est pas dans son esprit, mais dans son cœur, que l'impie a dit : il n'y a point de Dieu (1).

Done l'athée, ou l'homme qui hait la Divinité, car il n'y en à pas d'autre, est un homme nécessairement vicieux, esclave de ses passions. Mais il faut observer que l'athée sera plutôt livré à l'amour déréglé de soi, ou à la passion spirituelle de l'orgueil, qu'à l'amour déréglé de ses semblables, ou aux passions des sens; car l'amour déréglé des autres n'est pas dans la nature d'un être qui n'aime que soi et qui hait tout le reste. C'est pour cette raison que quelques athées en imposent, par des dehors de régularité, à ceux qui, ne faisant consister la vertu que dans l'absence des passions sensuelles, croient voir la force de vaincre là où il n'y a que la triste impuissance de combattre. C'est à cette même cause qu'il faut attribuer la prétendue pureté de mœurs qu'on croit remarquer dans quelques gouvernements et dans quelques sectes.

On demande si un homme élevé dans les forêts, sans communication avec ses semblables, aurait la pensée et le sentiment de la Divinité: il est aussi absurde de supposer un homme hors de la société pour lui demander ensuite s'il a la connaissance de Dieu, qu'il le serait d'arracher un enfant naissant à sa famille pour lui demander, dans un âge avancé, s'il connaît

(1) Dixit insipiens in corde suo: Non est Deus. Psalm. x.

ses parents. C'est changer l'état de la question, puisque je parle de l'homme social, et qu'on me parle de l'homme sauvage. Or, s'il a existé, s'il existe encore des peuples sauvages, il n'a jamais existé, il ne peut même exister d'hommes sauvages. L'homme n'est pas une plante qui puisse croître uniquement à l'aide des sucs de la terre et des influences de l'air. Les seuls hommes sauvages que l'on ait connus, l'homme des forêts d'Hanovre, et la fille trouvée dans les bois de Picardie, ont été rendus à la société; et leur existence jusque-là ne peut être regardée que comme une enfance prolongée, ou un état d'imbécillité.

On a trouvé, dit-on, des peuples qui ne manifestaient aucun sentiment de la Divinité, c'est-à-dire qu'on en a cherché, et qu'on a vu peut-être quelques peuplades en état de société naturelle dans laquelle le culte est purement domestique, et renfermé dans l'intérieur de la famille (1).

On a sous les yeux un exemple récent du peu de fond qu'il faut faire sur les aperçus des voyageurs, même les plus éclairés, lorsqu'ils nous parlent de la religion des peuples sauvages. En 1767, le capitaine Wallis, après un séjour de quelques semaines à l'île d'Otahiti, dans la mer du Sud, déclare formellement qu'il n'a pu découvrir parmi ces insulaires la moindre trace de culte religieux, quoiqu'il les ait observés avec une attention particulière. Deux ans après, en 1769, le célèbre Cook aborde à la même ile. Dans le long séjour qu'il y fait, il observe, il décrit, avec la sagacité et l'impartialité qui le caractérisent, les traditions religieuses et même les coutumes politiques de ce peuple singulier. Ecoutons cet observateur profond: dans la recherche des croyances religieuses du genre humain, les sentiments conservés chez des peuples simples sont d'un autre poids que les opinions inventées par les philosophes.

(1) Un voyageur dit que les Hottentots n'ont aucune religion; et ailleurs il dit qu'ils reconnaissent un esprit malfaisant, et qu'ils lui adressent des prières. Les Hottentots sont des peuples en société naturelle, et ils ont la religion idolâtre de la société naturelle, ou l'idolâtrie dans son premier état.

« Les Otahitiens croient un Dieu créateur, le genre humain » venu d'un homme allié à sa fille; ils connaissent une Divinité >> suprême, qui est chez eux la puissance, puisqu'ils la désignent » par le mot de producteur des tremblements de terre; mais ils » adressent leurs prières à une autre divinité appelée Tané, » qui est la Bonté, puisqu'elle prend une plus grande part aux >> affaires des humains. Ils croient l'âme immortelle, soumise à » deux états, l'un plus heureux, l'autre moins. Ils ont des prê» tres; ils font des offrandes à la Divinité, et lui prodiguent >> des témoignages d'adoration et de respect... Les cimetières, » qu'ils appellent moraï, sont des lieux où ils vont rendre une >> sorte de culte religieux. Ils récitent des prières quand ils enter>> rent leurs morts: ils y vont adorer une divinité invisible, et ils >> expriment leurs adorations et leurs hommages de la manière la » plus respectueuse et la plus humble. Leurs regards et leur >> attitude montrent assez que la disposition de l'âme répond à » son extérieur.... Ces Indiens sont plus jaloux de ce qu'on fait » aux morts qu'aux vivants; et le seul cas où ils se soient >> permis d'user de violence envers les gens des équipages, ç'a » été lorsqu'ils ont voulu violer leurs enclos funéraires, en en » abattant les murs, ou même en y cueillant du fruit. » On ne peut nier que les notions primitives de la religion, telles que l'existence de Dieu et la connaissance de ses principaux attributs, le dogme de la création, l'existence d'un premier homme et d'une première femme qu'ils font même naitre du premier homme, la croyance de l'immortalité de l'âme, des peines et des récompenses futures ne se soient conservées chez ces insulaires. Mais voici qui est encore plus extraordinaire; ces peuples connaissent la circoncision: Cook nous l'apprend, quoiqu'il pense qu'elle n'est pas chez eux une pratique religieuse. Banks, célèbre naturaliste, embarqué avec Cook, découvrit chez ce peuple un objet qui excita sa curiosité. « C'était, » selon Cook, une espèce de coffre ou d'arche travaillée avec » délicatesse, faite pour être transportée d'un endroit à un » autre. Elle contenait quelque chose que Banks ne put voir.

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