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rieure, religieuse et politique, pour lequel le Créateur l'a placé sur la terre; liberté par laquelle il est, non égal, mais semblable à Dieu même, et par laquelle il est capable et digne de former société avec lui.

La liberté dans l'homme n'est donc pas le libre arbitre : car le libre arbitre de l'homme est le choix entre le bien et le mal, entre la liberté et l'esclavage.

Ainsi l'homme qui délibère s'il plongera le poignard dans le sein de son semblable, est dans son libre arbitre, sinon quant à la pensée, qui est déjà un crime, au moins quant à l'acte extérieur. Il est entre le bien et le mal, et il a le choix de l'un ou de l'autre s'il respecte les jours de son frère, sans qu'aucune contrainte détermine son choix, et par un motif d'amour réglé de Dieu, de lui-même et de son prochain, il choisit le bien ou la liberté; puisqu'il obéit à une loi ou rapport nécessaire entre les êtres, à la volonté générale de la société, à la volonté de Dieu même. S'il se souille d'un meurtre, il choisit le mal; il tombe dans l'esclavage, puisqu'il obéit à des lois ou rapports non nécessaires, à sa volonté particulière ou dépravée, à ses passions.

Ainsi, tant que l'homme a le choix entre le bien et le mal, qu'on appelle libre arbitre, il n'a pas encore la liberté (actuelle), puisque la liberté ne peut exister qu'après avoir choisi. Ainsi, la liberté (actuelle) n'existe qu'au moment où le libre arbitre cesse. Car la liberté ne peut exister qu'avec la volonté ; et la délibération, que suppose l'exercice du libre arbitre, n'admet pas encore la volonté. L'homme n'a besoin de vouloir agir, c'est-à-dire, de volonté et de force, que quand il a choisi ce à quoi il veut appliquer l'une et l'autre.

Dieu jouit donc de la liberté la plus parfaite; mais il n'a pas le libre arbitre, qui est le choix entre le bien et le mal, puisque sa volonté est essentiellement droite, qu'elle se manifeste par des lois ou rapports nécessaires, et qu'elle ne peut pas se manifester par des lois absurdes ou par des rapports non nécessaires entre les êtres.

On peut, à l'aide des principes que je viens d'établir, donner une idée assez distincte de l'accord de la volonté de Dieu avec le libre arbitre de l'homme.

En effet, Dieu, auteur de toutes les lois parfaites ou rapports nécessaires qui existent entre les êtres sociaux, et qui doivent conduire à sa perfection l'homme social intérieur ou intelligent, comme l'homme social extérieur ou physique, (perfection qui ne peut exister pour l'être intelligent que dans un état où il sera purement intelligent) Dieu, dis-je, influe sur le choix qu'a l'homme de se conformer à ces lois ou rapports nécessaires pour parvenir à sa fin sociale, ou de s'en écarter : à peu près comme un prince, qui, pour conduire les voyageurs à sa ville capitale, fait percer des routes à travers les forêts, construire des chaussées sur les marais, et des ponts sur les rivières, influe sur le choix qu'a le voyageur de passer les fleuves à la nage, de s'enfoncer dans les marais, ou de s'égarer dans les bois; et quoique le prince puisse prévoir avec certitude l'usage que le voyageur, maître de lui-même dans ses facultés morales et physiques, fera de son libre arbitre, on peut dire qu'il ne gêne sa volonté en aucune manière, qu'il dirige le choix du voyageur sans le contraindre, et qu'il le connaît sans le prévenir. Cette comparaison est exacte dans tous ses points; car si le voyageur, en s'écartant de la route qui lui est tracée et qu'il ne peut méconnaître, se noie dans le fleuve, ou s'égare dans les sentiers et tombe entre les mains des voleurs, la faute ne peut en être imputée au prince, qui lui a ménagé tous les secours nécessaires pour le faire arriver heureusement au terme de son voyage, et qui ne pouvait sans tyrannie employer la force pour le contraindre à suivre les routes les plus sûres.

On m'opposera sans doute que tout sollicite le voyageur à suivre les chemins les plus fréquentés et les plus sûrs, au lieu que l'homme est entraîné par ses passions hors des voies de la vérité et de la vertu ; mais je répondrai que l'homme, membre des sociétés constituées religieuse et politique, est, exté

rieurement du moins, libre aussi parfaitement que l'homme puisse l'être sur la terre; puisqu'il obéit aux lois les plus parfaites ou rapports les plus nécessaires qui puissent exister entre les êtres dans chaque société. Il est donc dans l'état social le plus parfait, soit à l'égard de Dieu, soit à l'égard de lui-même, soit à l'égard de ses semblables; puisqu'il appartient aux sociétés religieuses et physiques, naturelles et publiques, dont l'amour de Dieu, l'amour de soi, l'amour de ses semblables, sont le principe: véritables sociétés dans lesquelles toutes les lois sont des rapports nécessaires dérivés de la nature des êtres ; cet homme est donc dans la disposition la plus favorable à aimer Dieu, lui-même et son prochain, d'un amour réglé, c'est-à-dire, dans la disposition la plus favorable à accomplir, avec le secours de Dieu, toute justice. Or, je ne crains pas de dire que cet homme se ferait la même violence pour attenter à la conservation de la société religieuse et de la société politique, en opprimant l'homme moral ou l'homme physique, que le voyageur pour passer les fleuves à la nage, s'enfoncer dans les marais, ou s'égarer dans les bois.

En effet, le principe de tous les crimes de l'homme et de tous les malheurs de la société, est l'aniour déréglé de soi, par lequel l'homme se préférant à ses semblables, établit sur eux sa domination, amour que j'ai appelé pouvoir particulier, lorsqu'il s'exerce par la force ou l'action des corps. Or, cet amour déréglé de soi, ou ce pouvoir particulier, existe nécessairement dans les sociétés non constituées, puisqu'il n'y a pas d'autres pouvoirs que des pouvoirs particuliers. Il ne doit pas exister dans les sociétés constituées, où le pouvoir est l'amour géné ral et mutuel des hommes entre eux, ou l'amour du prochain, qui s'exerce par la force générale. La société politique constituée ou la monarchie est donc dans les vues de la religion, qui ne veut pas que l'homme se préfère à son semblable, c'est-àdire, établisse sur lui son pouvoir particulier; la société monarchique réprime donc les actes, en même temps que la religion réprime les volontés. La monarchie est donc l'instrument

de la religion. Au contraire, les sociétés politiques non constituées ou les républiques, en permettant à l'homme d'établir son pouvoir particulier, favorisent le déréglement de son amour; elles ne sont donc pas dans les vues de la religion, elles lui sont donc opposées. Des faits vont prouver la vérité du principe; et l'on va voir que des sociétés, qui mettent l'amour de soi, ou le pouvoir particulier, à la place du pouvoir général ou de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes, ne peuvent conserver ni Dieu ni l'homme.

CHAPITRE VII.

Caractère des peuples dans les sociétés non constituées.
Dégénération de leurs habitudes morales.

C'est parce que la réforme sèche et dédaigneuse, comme l'appelle Bossuet, n'a pas de pouvoir conservateur dans l'amour mutuel de Dieu et des hommes, rendu extérieur et présent dans le sacrifice, qu'elle inspire à ses sectateurs ce fanatisme ardent et sombre qui a été remarqué à sa naissance, et qui forme le caractère distinctif de cette secte. Ecoutez Erasme, témoin non suspect des effets d'une doctrine dont il a vu les commencements : « Je les voyais, dit-il, sortir de leurs prê>>ches avec un air farouche et des regards menaçants, comme » des gens qui venaient d'ouïr des invectives sanglantes et des >> discours séditieux: aussi voyait-on ce peuple évangélique tou» jours prêt à prendre les armes, et aussi propre à combattre » qu'à disputer. » Ce fanatisme s'est manifesté par les scènes les plus sanglantes, dans les troubles des sociétés politiques chez lesquelles la réforme s'est introduite, et ses fureurs ont signalé les premières époques de la révolution française. Il est

contenu dans les sociétés politiques où la force comprime les passions; mais le physionomiste exercé peut remarquer une différence frappante entre l'habitude extérieure du peuple réformé assemblé dans ses temples, et celle du peuple catholique assistant aux pratiques de son culte. Il est aisé, au premier aspect, de distinguer les disciples de la religion d'amour dont l'objet est sensible et présent, des sectateurs de la religion qui ne parle qu'à l'esprit, et qui ne dit rien au cœur ni aux sens cette différence est aussi sensible, et pour la même raison, qu'elle l'est entre l'humeur et les habitudes d'un Français ou d'un Espagnol, et celle d'un Hollanduis ou d'un Génevois. C'est parce que le catholicisme est amour et tout dans le cœur, que dans le pays où le mélange des religions permet d'en faire la comparaison, les voyageurs remarquent que le catholique a l'humeur plus enjouée, la société plus douce, les mœurs plus faciles, que le réformé. Le baron de Risbeck en fait l'observation dans ses lettres sur l'Allemagne : l'auteur du traité sur la Félicité publique, qui a eu soin de se mettre à couvert du soupçon de prévention en faveur du catholicisme, reproche aux réformés des Etats-Unis de passer les jours de dimanches dans un recueillement farouche, et la fuite des plaisirs les plus innocents; il oppose cet usage triste et pédantesque à la gaîté, aux manières libres et enjouées du catholique. J'ai remarqué ailleurs, que dans la révolution d'Angleterre, les puritains austères faisaient un crime aux royalistes des divertissements même les plus innocents, et ils proscrivaient jusqu'aux combats d'ours alors communs à Londres, comme une jouissance trop voluptueuse. Hume observe que le caractère du peuple anglais est devenu inquiet et sombre depuis ses révolutions religieuses et politiques; ce qui veut dire que l'Anglais est devenu mains aimant, depuis que sa religion et son gouvernement sont moins amour. Dans la révolution française, on a pu apercevoir que la même teinte de sévérité farouche se répandait sur la nation la plus légère et des mœurs les plus faciles; car il est essentiel d'observer que le Français, chez lequel la société politique

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