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C'est aussi chez les Français que se trouvait le plus d'amour de Dieu, puisque c'était en France que se trouvaient les ordres religieux les plus austères, ceux qui demandaient de l'homme l'acte le plus fort de l'amour de Dieu, je veux dire, le sacrifice le plus entier de lui-même et de sa propriété (1). Amour de Dieu, amour de l'homme, mépris de la propriété; voilà le secret de la grandeur de la France et de l'amabilité du Français; voilà le moyen de la grandeur de tout peuple, et de la perfection à laquelle il peut parvenir. Le Suédois, dont la religion est moins imparfaite, puisqu'elle est épiscopale, et dont le gouvernement a été une monarchie très-prononcée, mêlée de quelques intervalles d'aristocratie, a, selon Coxe, des habitudes bien supérieures à celles de quelques autres peuples du Nord. Ce caractère national s'était détérioré en France: il commença à s'altérer dans la révolution des propriétés, que le duc d'Orléans régent fit avec le secours d'un étranger; il avait toujours été en s'altérant depuis cette époque jusqu'à la révolution des hommes et des propriétés, qu'a faite le duc d'Orléans, arrière petit-fils du régent; mais il peut se rétablir par cette révolution même. « Le système de Law, dit Duclos, a été et a » dû être encore pernicicux pour la France;... cependant le >> bouleversement des fortunes n'a pas été le plus malheureux » effet du système et de la régence. Une administration sage >> aurait pu rétablir les affaires; mais les mœurs une fois dé» pravées ne se rétablissent plus que par la révolution d'un »Etat, et je les ai vues s'altérer sensiblement. Dans le siècle » précédent, la noblesse et le militaire n'étaient animés que >> par l'honneur; le magistrat cherchait la considération; >> l'homme de lettres, l'homme à talent ambitionnaient la répu »tation; le commerçant se glorifiait de sa fortune, parce qu'elle

(1) Les religieux de la Trappe ont été accueillis en corps dans le canton de Fribourg, où ces saints anachorètes mènent une vie plus austère encore que celle qu'ils menaient en France; parce qu'aux privations que leur position nécessite, ils joignent les retranchements que demande la charité pour les malheureux.

>> était une preuve d'intelligence, de vigilance, de travail et » d'ordre. Les ecclésiastiques qui n'étaient pas vertueux, étaient >> du moins forcés de le paraître. Toutes les classes de l'Etat » n'ont aujourd'hui qu'un objet, c'est d'être riches, sans que » qui que ce soit fixe les bornes de la fortune où il prétend. » Cette noblesse, qui sacrifie si gaîment sa vie à son honneur, » immolait, sans scrupule, son honneur à sa fortune... Nous » verrons dans la suite la gangrène de la cupidité gagner la >> classe de la société, dévouée par état à l'honneur (le mili» taire). Si la régence est une des époques de la dépravation » des mœurs, le système en est encore une plus marquée de » l'avilissement des âmes. » L'auteur termine ce tableau par des détails sur la finance dont le gouvernement avait fait, en France, une profession presque sociale et publique, un état : mesure fausse et immorale, qui tend à détourner sur l'argent la considération qui n'est due qu'aux fonctions. Une profession ne peut pas être à la fois honorable et lucrative, lorsque le lucre en est l'objet principal. Aussi Duclos remarque avec raison l'inconsidération où a été la finance en France, tant qu'il y a eu des mœurs publiques, et la faveur qu'elle a prise à mesure que les mœurs se sont corrompues: corruption dont les financiers eux-mêmes ont hâté les progrès par le spectacle d'une fortune que quelques-uns ont dissipée avec autant de scandale qu'ils l'avaient amassée avec facilité.

Amour de Dieu, amour de l'homme, principe de la religion et de la monarchie; mépris de la propriété, effet de l'un et de l'autre. Aussi remarquez leur influence sur la société : le siècle de Louis XIV, le siècle de la religion et de la monarchie, le siècle de Condé et de Turenne, de Tourville et de Vauban, de Colbert et de Pontchartrain, de Bossuet et de Bourdaloue, de Malebranche et de Descartes, de Fénelon et de Pascal, de Corneille et de Racine, de Molière et de Lafontaine, de Despréaux et de Labruyère, a été le siècle de la force, du génie, de la gloire, du désintéressement, de la probité. Le siècle de la philosophie et de la république, le siècle du Système de la nature,

du Christianisme dévoilé, du Contrat social, de l'Encyclopédie, du poème de la Pucelle, de la Déclaration des droits, a été le siècle de la faiblesse, de la honte, de l'agiotage, de l'égoïsme, des Roués et des Jacobins. Le siècle de Louis XIV était le siècle de l'intelligence; il fut le siècle d'une vraie et sublime philosophie, de l'éloquence et de la poésie, des grandes pensées et des grandes actions; notre siècle est le siècle des sens; il a été le siècle de la musique (1), de l'histoire naturelle, de la physique, des petites recherches, des petits calculs et des actions infàmes. Et qu'on ne dise pas que la force et la gloire du siècle dernier ont coûté cher aux peuples: car il serait aisé de répondre, et la preuve en est sous nos yeux, que la faiblesse et la honte du nôtre leur coûtent bien davantage (2).

(1) La musique, qui enflamme les passions, a toujours joué un grand rôle dans les républiques. La France révolutionnaire s'en est servie avec succès.

(2) On fait honneur à notre siècle d'une foule de changements que le gouvernement se serait bien gardé de faire dans le siècle dernier. J'en prendrai au hasard un exemple. La suppression du droit d'aubaine sur les étrangers morts en France a été célébrée comme une opération philosophique, capable d'illustrer le siècle qui la voit éclore, le ministre qui la conseille, le souverain qui l'exécute. Cette loi avait été introduite par la nature mème de la société, pour empêcher le déplacement des hommes, et fixer chacun, autant qu'il est possible, sur le sol qui l'a vu naître et qui doit le nourrir, et dans le pays qui a été le berceau de sa famille, et dont il doit accroître la prospérité par son travail, et défendre l'indépendance par sa force. Dans les individus comme chez les peuples, les plus voyageurs sont toujours les plus corrompus. La suppression du droit d'aubaine n'était bonne qu'à dépeupler les sociétés de sujets, pour peupler l'univers de cosmopolites: comme l'effet nécessaire de l'abolition de la loi qui attachait le paysan à la glėbe, a été de dépeupler les campagnes de cultivateurs, pour peupler les villes d'indigents et de vauriens; et quoique cette dernière loi ne nous convienne peut-être plus, on ne peut s'empêcher de convenir qu'elle tendait à prévenir l'accroissement excessif de ces cités immenses, cause prochaine de corruption pour les mœurs, de révolution pour les Etats. Dans les changements que les gouvernements ont faits dans ce siècle, ils n'ont consulté trop souvent que le bien-être et la commodité de l'individu, et non la conservation des sociétés. Ils ont persuadé aux peuples que l'argent était richesse, que la richesse était vertu, que le plaisir était bonheur, et le peuple à son tour a cru que l'indépendance était liberté, et la confusion

CHAPITRE VIII.

SUITE DU MÊME SUJET.

Dégénération dans les habitudes physiques des peuples
dans les sociétés non constituées.

Si l'homme moral se détériore dans les sociétés religieuses non constituées, l'homme physique se ressentira lui-même, dans ses habitudes, de cette détérioration, parce que l'amour, principe de conservation des êtres, tient à la fois à l'homme moral et à l'homme physique. Celui-ci s'écartera donc, dans ses habitudes, des lois ou rapports nécessaires qui dérivent de la nature des êtres physiques; comme celui-là s'écarte, dans ses devoirs, des lois ou rapports nécessaires qui dérivent de la nature des êtres intelligents. Car qu'on ne pense pas qu'on ne puisse soumettre les habitudes même physiques de l'homme à des lois ou rapports nécessaires, c'est-à-dire, tels qu'ils ne puissent être autrement sans choquer la nature des êtres. Or, comme sur le même objet il ne peut y avoir qu'un rapport nécessaire, si l'on concluait de mes principes que la même constitution politique et religieuse donnerait à tout peuple les mêmes habitudes, formerait en lui le même caractère, l'élèverait aut même degré de perfection morale et physique, j'adopterais cette conséquence dans toute son étendue.

Ainsi, l'usage reçu en France de nourrir les enfants avec du

égalité; et l'homme n'a pas vu que, lorsqu'il ne dépend que de lui-même, il est esclave, parce qu'alors il dépend d'un tyran.

La société, pour être libre, doit être indépendante; l'homme, pour être libre, doit être dépendant.

lait de femme est plus naturel, c'est-à-dire, plus nécessaire, que la coutume reçue dans plusieurs parties de la Suisse, de l'Allemagne, dans presque toute la Hollande, de les nourrir avec une bouillie épaisse : et il est étonnant que J.-J. Rousseau, qui s'est si fort échauffé à prouver aux mères qu'elles devaient allaiter elles-mêmes leurs enfants, n'ait pas commencé par persuader à ces peuples qu'il était raisonnable et dans les vues de la nature de nourrir les enfants avec du lait de femme. D'ailleurs, une femme qui allaite un enfant, lui parle, le caresse, développe beaucoup plus tôt en lui la faculté de parler et de sentir, prend pour lui des sentiments, de la vivacité desquels une mère et une nourrice peuvent seules juger. Or toutes les habitudes, toutes les institutions de l'homme en société, doivent tendre à augmenter le sentiment ou l'amour de l'homme pour l'homme, puisque l'amour est le principe de conservation des êtres en société politique; et il est évident que, dans les sociétés où les mères refusent de donner leur lait, ou de se donner, pour ainsi dire, elles-mêmes à leurs enfants, elles s'aiment plus elles-mêmes qu'elles n'aiment leurs enfants. Chez un peuple célèbre, les femmes sont accusées d'aimer plus leurs petits que leurs enfants: aussi l'on y prend plus de soin de l'éducation de l'homme physique que de celle de l'homme moral.

Le goût général et constant, disons mieux, la fureur des peuples du Nord pour le tabac à fumer et les boissons enivrantes, ces habitudes pernicieuses, dont la première occupe l'homme intelligent sans exercer sa pensée, et l'homme physique sans exercer sa force, et dont la seconde aliène la raison de l'homme, et souvent déprave sa force, ces habitudes se retrouvent dans toutes les sociétés non constituées, chez le Turc qui fume et qui s'enivre avec de l'opium, et jusque chez le sauvage, passionné pour la pipe et les liqueurs fortes. « Le climat, » dit Montesquieu, semble forcer les pays du Nord à une cer»taine ivrognerie de nation, bien différente de celle de la per» sonne. Un Allemand boit par coutume, un Espagnol par » choix. Montesquieu a aperçu l'effet; et parce qu'il ne peut

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