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en découvrir la cause, il l'attribue à l'influence du climat et pour justifier cette opinion, démentie par les faits, il entasse des principes insoutenables en physique et en chimie, et il avance que l'eau est d'un usage admirable dans les pays trèschauds, tandis qu'il est prouvé que c'est dans les pays chauds qu'on a le plus besoin d'user de liqueurs spiritueuses, qui donnent du ressort à l'estomac débilité par l'excessive transpiration et le relâchement général des solides. Tout le monde sait qu'il est mortel dans nos colonies d'Amérique de faire usage de boissons délayantes, comme l'eau aussi la nature a donné des vins spiritueux aux peuples du Midi, et des vins froids et sans liqueur aux peuples du Nord. Il est même vrai de dire que, si l'habitant du Nord ne buvait que du vin, il boirait plus d'eau que l'habitant du Midi; puisque les vins du Nord contiennent, sous un volume égal, beaucoup moins d'esprit de vin, et par conséquent beaucoup plus d'eau que les vins du Midi; et c'est pour compenser ce défaut de qualité de leurs vins, que les peuples du Nord boivent beaucoup d'eau-de-vie. D'un faux principe cet auteur ne peut tirer que des conséquences erronées. «Il est naturel, dit-il, que là où le vin est contraire au » climat et par conséquent à la santé, l'excès en soit plus sévè>>rement puni que dans les pays où l'ivrognerie a peu de mau» vais effets pour la personne, où elle en a peu pour la société, » où elle ne rend point les hommes furieux, mais seulement >> stupides. >>

1° La différence entre le caractère de l'ivresse des différents peuples tient à l'espèce de leur vin; et comme il est plus spiritueux dans le Midi, l'ivresse y est plus forte, et ses écarts y sont plus dangereux, parce que l'homme y a plus de senti

ment.

2o Le gouvernement, qui doit conserver l'homme intelligent comme l'homme physique, doit punir non-sculement l'homme physique qui devient furieux, mais l'homme intelligent qui devient stupide.

Il faut donc chercher une autre cause que celle du climat à

une coutume dégradante qu'on aperçoit dans des climats si opposés elle est donc l'effet des institutions politiques, puisqu'elle est nationale, selon Montesquieu lui-même, dans toutes les sociétés non constituées, ou dans celles qui ne conservent pas l'homme dans sa perfection, et qu'elle n'est que personnelle dans les autres.

La manière dont le Français et l'Espagnol se nourrissent est certainement plus saine que la manière dont se nourrissent les Anglais, les Allemands, les Hollandais; parce que les premiers mangent beaucoup de pain et peu de viande, et que les autres mangent beaucoup de viande et peu de pain, souvent même la viande sans pain et à moitié crue, ou vivent de mauvais café, de beurre et de fromage, d'eau-de-vie, etc. Et qu'on ne dise pas que la nature refuse à ces peuples le blé nécessaire à leur subsistance; car, outre que ceux à qui le blé manque peuvent s'en procurer par le commerce souvent à meilleur prix que ceux même qui le cultivent, il est reconnu que certains peuples du Nord, tels que les Suédois, en auraient assez pour leur consommation, s'ils en employaient moins dans la distillation des eaux-de-vie, ou la fabrication de la bière. Il ne faut pas croire, sur la foi de Montesquieu, que les hommes du Nord. mangent beaucoup plus que ceux du Midi : cet auteur paraît ignorer que les comestibles dans le Midi ont infiniment plus de substance, sous le même volume, qu'ils n'en ont dans le Nord. Le Français ne mangerait pas, en Languedoc, en pain de froment, le volume de pain qu'il mange en Allemagne en pain d'épeautre. Les viandes sont plus grasses dans le Nord, et par cela même elles contiennent moins de parties nutritives.

L'usage qu'a le Français en général de ne rien prendre après ses repas est plus sain et plus naturel que celui des peuples du Nord, qui boivent à toute heure du vin, de la bière, et souvent même des boissons chaudes, comme l'Anglais et le Hollandais.

L'habitude qu'a le Français de se promener, de faire de l'exercice, de se tenir l'hiver dans des appartements modéré

ment échauffés, est plus saine et plus naturelle que celle de ces peuples sédentaires qui passent la plus grande partie de la journée assis et dans une atmosphère brûlante. J'ai remarqué, dans la première partie de cet ouvrage, que les arts se perfectionnaient dans la société, avec la constitution; et, sans entrer ici dans un détail qui serait le sujet d'un ouvrage très-intéressant, il me suffira de faire observer que, quelle que soit la prévention de chaque nation pour ses écrivains, ses artistes et ses usages, le goût dans les ouvrages d'esprit, dans les productions des arts, dans les habitudes même de l'homme n'est pas arbitraire (1), mais qu'il doit être en tout un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres sociaux ou perfectionnés ; et qu'à en juger par cette règle immuable et indépendante des conventions humaines, certains peuples prennent, dans les ouvrages d'esprit, le trivial pour le simple, l'extraordinaire pour le beau, le gigantesque pour le sublime; qu'ils prennent dans les productions des arts le difficile pour le parfait, le lourd pour le solide, la richesse pour l'ornement comme ils prennent dans les manières la pesanteur pour la gravité, la taciturnité pour la réflexion, la brusquerie pour la franchise, et l'apathie pour la bonté.

Enfin, et j'invoque sur cette dernière assertion le témoignage de ceux qui ont été à portée d'en faire l'observation, la morale, ou, pour mieux dire, les moralistes ne sont pas aussi sévères dans d'autres pays, même catholiques, qu'ils le sont en France, chez cette nation si frivole et si corrompue. Ainsi les magistrats, il y a cinquante ans, les ecclésiastiques encore aujourd'hui, s'interdisaient en France le spectacle; et c'était, dans les casuistes, une preuve de relâchement de le permettre aux laïques. En Allemagne, en Italie, les spectacles sont fréquentés

(1) Je crois, pour en donner un exemple, que la manière de monter à cheval de certains peuples n'est pas un rapport nécessaire dérivé de la nature de l'homme physique ni de celle de l'animal; et que la mode actuelle de s'entourer le cou d'une immense quantité de mousseline est un rapport contraire à la santé de l'homme chez qui elle peut augmenter la disposition déjà trop commune à l'apoplexie du sang.

par les personnages les plus graves ; le masque, que les moralistes les plus indulgents blâmaient en France, est en Italie le plaisir ordinaire de tous les états, de tous les âges, de tous les sexes. Il serait aisé de prouver l'extrême facilité, pour ne rien dire de plus, des moralistes en Allemagne sur des objets bien autrement intéressants pour les mœurs; aussi je ne crains pas d'avancer que, laissant à part les grandes villes, partout corrompues, les mœurs, dans les campagnes et les petites villes, étaient plus pures en France qu'elles ne l'étaient en Allemagne, dans les mêmes endroits (1).

Qu'on ne m'accuse pas de partialité dans la comparaison que je viens de faire entre la France et les autres nations. Si, dans les productions de l'esprit, dans celles des arts, dans les mœurs, les manières, la langue même, les autres peuples ne sont pas encore parvenus à la perfection, le Français l'avait dépassée; et depuis un demi-siècle, il y avait trop d'esprit dans les productions de l'esprit, trop d'art et de recherche dans les productions des arts; le naturel des manières avait dégénéré en frivolité, la facilité des mœurs en mollesse, l'expression de la langue en exagération, et sa délicatesse en pruderie (2). Il se

(1) En France, depuis quelques années, les curés, dans les campagnes, ne trouvaient pas toujours dans l'administration assez de secours et d'appui pour réprimer les désordres. On tolérait la licence, de peur de gêner la liberté. Ce n'est pas ainsi qu'on doit gouverner les hommes; les gouvernements sont institués pour les forcer à ètre libres, c'est-à-dire, bons. Au reste, l'administration ne doit prêter main forte à la religion que pour réprimer des désordres graves. Il faut bien distinguer le conseil du précepte. Il est des choses à l'abus desquelles, la religion doit opposer des digues; mais que l'administration peut tolérer. L'Etat est alors comme une famille où le papa gronde bien fort, et où la maman plus indulgente se garde bien d'approuver la faute, mais elle essuie les pleurs et donne du bonbon.

(2) Dans le dernier siècle, on disait: Cela est beau comme le Cid; aujourd'hui, en France, on dirait d'un ruban: Il est divin, délicieux. Dans les comédies de Molière, on trouve des expressions qu'on a justement bannies de la conversation; mais on a donné dans l'excès opposé, et on a poussé la crainte de l'équivoque à un point insupportable, qui devient pédanterie, et qui prouve moins la chasteté de la langue, que la corruption des esprits. Cependant il est vrai de dire que, plus une langue se perfectionne, plus elle exprime une seule chose par un seul mot, moins il y a d'équivoques.

faisait en France, dans les hommes et dans les choses, une révolution insensible, dont les effets, sourdement destructeurs, n'ont pu être arrêtés que par une révolution subite et totale qui a mis à découvert les plaies mortelles de la société. Ainsi, lorsque les excès des passions, ou un régime vicieux, ont corrompu les humeurs dans le corps d'un homme robuste, il se sent affaiblir sans connaître la cause de son affaiblissement, il a les mêmes facultés sans avoir la même force; et un dépérissement insensible le conduit lentement au tombeau, si la bienfaisante nature élaborant, dans une nouvelle fermentation, les sucs nourriciers et conservateurs, ne rétablit, par une crise violente, ses humeurs altérées.

CHAPITRE IX.

SUITE DU MÊME SUJET.

Observations générales sur les religions constituées
et non constituées.

J'ai avancé qu'il y avait moins d'amour des êtres sociaux, de Dieu et de l'homme, dans les sociétés religieuses non constituées, et j'en ai attribué la cause à la déconstitution de ces sociétés Montesquieu fait la même observation, quoique moins générale, et entêté de sa chimère, il en cherche la raison dans le climat. Le chapitre Il du livre XIV de l'Esprit des lois est un monument curieux de l'esprit de système. On y voit, avec compassion, le philosophe fixé sur une langue de mouton qu'il avait fait geler, et qu'il observait au microscope (1), chercher

(1) De ce que les houpes nerveuses dont cette langue était couverte, disparaissaient dans la détérioration causée par la congélation, Montesquieu

T. H.

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