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des gouvernements où les lois ne sont que les volontés particuculières de l'homme dépravé. Cette assertion paraît un paradoxe; venons à la preuve. Quel est le caractère de l'état sauvage? C'est de placer les hommes, les uns à l'égard des autres, dans un état de guerre ou d'envahissement de la propriété or le commerce (1), tel qu'il se pratique presque partout en Europe, est un envahissement réel de la propriété d'autrui; et lorsqu'on voit le marchand n'avoir aucun prix réglé pour ses marchandises, le commerçant spéculer sans pudeur sur le papier empreint du sceau funeste de l'expropriation la plus odieuse, le négociant, quelquefois le plus accrédité, faire arriver en poste de la maison voisine des courriers haletants de sueur et de fatigue, pour répandre une nouvelle politique qui puisse hausser le prix des effets qu'il veut vendre, ou faire baisser le prix de ceux qu'il veut acheter, on a sous les yeux, réellement et sans métaphore, le spectacle hideux d'une bande de sauvages qui se glissent dans l'obscurité, pour aller enlever la chasse de leur ennemi, ou incendier son habitation. Je dis plus, et sans recourir à ces abus malheureusement trop communs, je soutiens que le commerce, même le plus honnête, place nécessairement les hommes, les uns à l'égard des autres, dans un état continuel de guerre et de ruse, dans lequel ils ne sont occupés qu'à se dérober mutuellement le secret de leurs spéculations, pour s'en enlever le profit, et élever leur com

(1) Je ne parle que du commerce en général, et bien plus encore du commerce chez quelques peuples étrangers, que du commerce de France; et je dois à celui-ci, la justice de reconnaitre qu'un grand nombre de commerçants, qui exerçaient avec autant de probité que d'intelligence cette profession, utile lorsque de sages institutions empêchent l'extension illimitée de ses spéculations, et mettent des bornes à l'accumulation immodérée de ses profits, ont paru aux tyrans de la France dignes, par leurs vertus, d'ètre associés aux persécutions honorables qu'ils faisaient essuyer aux membres des professions sociales, de périr avec la noblesse, ou de souffrir avec elle, victimes de leur fidélité à la religion et à la monarchie, et qui, rentrés en France, méritent d'ètre appelés par la noblesse elle-même, à partager ses devoirs dans la société constituée, comme ils ont partagé ses malheurs dans la société en révolution.

merce sur la ruine ou la diminution de celui des autres; au lieu que l'agriculture, dans laquelle tous les procédés sont publics et toutes les spéculations sont communes, réunit les hommes extérieurs dans une communauté de travaux et de jouissances, sans diviser les hommes intérieurs par la crainte de la concurrence ou la jalousie du succès. Aussi l'agriculture doit-elle être le fondement de la prospérité publique dans une société constituée, comme elle y est la plus honorable et la plus utile des professions qui ne sont pas sociales; et le commerce est, dans une société non constituée, le fondement de la fortune publique, comme il est, dans ces mêmes sociétés, la source de toute considération personnelle.

CHAPITRE X.

Effets de la religion chrétienne sur l'homme et sur la société.
Parallèle de la religion et de la philosophie.

Lorsque les passions des hommes eurent corrompu le sentiment et défiguré l'idée de la Divinité, le corps social eut besoin d'une éducation sévère et retirée, pour conserver le grand principe de l'unité de Dieu; et le peuple juif, choisi pour être le dépositaire de ce trésor du genre humain, fut séparé des autres peuples par des institutions particulières, qui si longtemps firent sa gloire, et qui font aujourd'hui son malheur. Mais tous les peuples devaient un jour être appelés à jouir du bienfait de la religion constituée, ou de la religion de l'unité de Dieu; parce que la religion constituée, fondée sur des rapports nécessaires, a un principe nécessaire de développement.

Si tous les peuples devaient être appelés à la même religion, il fallait donc une religion qui les réunit au lieu de les séparer,

qui les confondit au lieu de les distinguer les uns des autres; la religion judaïque ne pouvait donc pas convenir à l'univers.

L'objet de la religion judaïque avait été de conserver, chez un peuple, la foi de l'unité de Dieu; cet objet était rempli. L'objet de la religion universelle devait être de conserver la connaissance de Dieu dans l'homme intelligent, et de conserver ou perfectionner l'homme intelligent par la connaissance de Dieu; car, comme je l'ai observé ailleurs, la perfection de l'être intelligent consiste à avoir l'idée de la perfection ou de la vérité, qui est Dieu même. La religion devait mettre dans son esprit la connaissance de Dieu en en plaçant l'amour dans son cœur, et le culte dans ses sens ou sa force, et en produisant au dehors l'effet et les fruits de cet amour, par la vertu pour laquelle Dieu lui donnait les secours nécessaires, soit par la répression de sa force, soit par la protection de sa faiblesse ; et comme la société religieuse allait devenir plus nombreuse, puisqu'elle devait être composée de toutes les nations, il fallait que la vérité fùt mieux connue, la vertu mieux pratiquée, les moyens de répression ou de protection plus efficaces : c'est-àdire qu'il fallait à l'esprit une morale plus sévère, au cœur une religion plus sensible, aux sens des châtiments ou des récompenses plus capables d'effrayer le méchant ou d'encourager l'homme vertueux.

Mais comment faire goûter une inorale sévère à des peuples faibles, une religion d'amour à des nations opprimées par une religion de haine, des châtiments et des récompenses de l'autre vie à des païens plongés dans les jouissances de celle-ci? C'est là le miracle public, extérieur et social de la religion chrétienne, miracle qui se renouvelle tous les jours, et sur les peuples qu'elle fait passer de l'idolâtrie à la connaissance de Dieu, et sur l'homme qu'elle ramène du vice à la vertu. Les hommes à préjugés demandent si la religion chrétienne a rendu les hommes meilleurs. L'homme isolé, considéré en lui-même et indépendamment de la société dont il fait partie, est, et a été, toujours et partout le même, sujet aux mêmes besoins, li

vré aux mêmes passions, doué des mêmes facultés; mais l'homme social est incontestablement devenu plus parfait, et l'on ne doit considérer l'homme que dans la société.

Or, la religion a détruit tous les crimes sociaux ou publics, ceux qui attaquaient l'homme de la société religieuse, comme le sacrifice barbare de sang humain ou le sacrifice infâme de la pudeur, le trafic imposteur des oracles et l'apothéose de l'homme; ceux qui attaquaient l'homme de la société politique en exaltant sa force ou sa passion, comme l'atrocité des spectacles, la férocité des guerres, la dépravation de l'amour physi que, ou en opprimant sa faiblesse, celle de l'âge par l'exposi tion publique, celle du sexe par le divorce, celle de la condi tion par l'esclavage; et je ne parle que des crimes qu'elle a fait cesser, et non des vertus qu'elle a fait éclore, de l'amour de Dieu, de l'amour des hommes, du mépris de la propriété, qui ont fondé, qui ont enrichi, qui ont peuplé tant d'établissements religieux destinés à soulager toutes les faiblesses de l'humanité : établissements que la philosophie a pu calomnier et détruire, mais qu'elle ne remplacera jamais. Depuis que la religion chrétienne était mieux connue, la guerre s'était faite, au moins jusqu'à nos jours, jusqu'aux jours de la philosophie, avec plus d'humanité: « Il y avait dans les gouvernements, dit l'Esprit » des lois, un certain droit politique, et dans la guerre un cer»tain droit des gens que la nature humaine ne saurait assez >> reconnaître. » Mais si la société n'a plus les mêmes vices, l'homme a les mêmes passions; et ceux qui voudraient que la religion chrétienne, destinée à sauver tous les hommes, comme à perfectionner toutes les sociétés, eût frappé l'univers et frappât chaque homme d'un éclat irrésistible, oublient que, si l'homme avait une certitude physique et par les sens, de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, des peines ou des récompenses de l'autre vie, il n'y aurait plus de combats, plus de vertus, parce qu'il n'y aurait plus de choix. A la hauteur des dogmes qui confondent l'esprit, à l'austérité de la morale qui gêne le cœur, à la sévérité des préceptes qui mortifient les

sens, je reconnais la divinité du fondateur de la religion chrétienne, qui donne pour lois aux êtres sociaux les rapports nécessaires dérivés de leur nature comme aux moyens que l'homme emploie, à l'intérêt, à la volupté, à la terreur, je reconnais l'homme qui veut ni'imposer les lois qu'il a faites, c'est-àdire m'assujettir à ses opinions particulières, rapports absurdes et contraires à la nature des êtres.

La religion constituée, ou véritable, règle à la fois l'homme moral et l'homme physique, l'homme tout entier. Elle règle l'homme moral en réglant toutes ses facultés; elle règle l'homme physique en réglant tous ses actes extérieurs.

L'homme exprime son amour par l'action de ses sens, et il acquiert des idées par ses sensations; il faut donc que l'amour ne se manifeste que par des actes graves et religieux, pour que les sens ne transmettent à l'âme que des impressions pures et capables de porter l'homme à la vertu motif de la sainteté du culte et de la majesté des cérémonies. L'homme a un cœur qui aime et qui craint; il faut donc proposer un grand objet à ses craintes et à ses espérances. Elle propose les récompenses et les châtiments éternels, la jouissance éternelle de Dieu même ou sa privation.

L'homme a un esprit qui examine, qui admet et qui rejette; et cet esprit doit être dans tous également soumis, parce que, dans tous, il ne peut être également éclairé, et que dans aucun il ne peut jamais être parfaitement éclairé. Je m'explique; la religion est la société de Dieu et de l'homme : or, une société est une réunion d'êtres semblables, réunion dont la fin est leur conservation mutuelle.

Toute société a des lois. Les lois sont des rapports nécessaires qui dérivent de la nature des êtres qui composent la société.

Les lois de la société de Dieu avec l'homme seront donc des rapports nécessaires dérivés de la nature de Dieu et de celle de l'homme.

Dieu n'a pu donner une religion à l'homme ou former so

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