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de ses perfections s'effaçât du milieu de ces sociétés qui ne conservaient pas l'homme, puisque, par l'apothéose, elles en faisaient un dieu, et que, par l'esclavage, la prostitution et l'assassinat religieux, la férocité des guerres, l'atrocité des spectacles, l'exposition publique, etc., elles le rabaissaient au-dessous de la condition des animaux mêmes. Mais que la société chrétienne, qui a commencé par toutes les vertus particulières et qui continue par toutes les vertus publiques, soit depuis dixhuit cents ans dans une erreur aussi grossière que celle de prostituer ses adorations à des signes sans réalité, c'est ce qui me paraît bien plus difficile à accorder avec la bonté de Dieu, qu'il ne peut l'être d'accorder la présence réelle avec sa puissance. Je ne conçois pas, il est vrai, comment Dieu même peut être présent sous des signes extérieurs, lors même que la méditation me montre comme un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres sociaux, qu'il doit être extérieur sous des signes présents et sensibles: mais je conçois comme une injustice envers la société, c'est-à-dire, comme un rapport contraire à la nature de Dieu juste, qu'il permette à des sociétés qui conservent l'homme, de détruire Dieu.

On ne manquera pas de m'objecter l'exemple des sociétés réformées, qui ne croient pas à la présence réelle, et l'on croira rétorquer contre moi l'argument dont je me suis servi, Je répondrai, l'histoire à la main, que je conçois, comme un rapport nécessaire, que des sociétés, qui ont commencé par le crime, continuent par l'erreur. Or toutes ces sociétés ont commencé par la volupté, l'intérêt et la terreur; elles se sont écartées des lois ou rapports nécessaires qui dérivent de la nature des êtres, et dès lors elles ont cessé de conserver Dieu, de conserver l'homme. Toutes les révolutions religieuses et politiques ont eu le même principe, l'orgueil et la faiblesse, et les mêmes crimes contre l'homme et contre la propriété ont signalé leurs commencements et leurs progrès. S'ils ont été plus publics dans la révolution de France, comme dans celle d'Angleterre, c'est que, la révolution y ayant été à la fois po

316 THEORIE DU POUVOIR POLIT. ET RELIG. LIV. VI.

litique et religieuse, les crimes qui l'ont signalée ont été commandés par l'autorité des opinions et par celle de la force, c'est-à-dire, par l'autorité religieuse et l'autorité politique à la fois; au lieu que dans les révolutions purement religieuses ou les réformes, les mêmes crimes ont été moins publics, parce qu'ils n'ont été commandés que par l'autorité des opinions. J'énoncerais sur ce sujet une vérité plus sévère encore et plus importante, vérité dont la révolution de France me fournirait une trop juste application, si elle ne présentait pas un caractère moins général que toutes celles dont j'ai fait la base de mes principes.

Telle est en peu de mots la marche et l'analye de mes preuves de la nécessité, ou ce qui est la même chose, de la divinité de la religion chrétienne, et la nécessité, oserais-je dire, de la divinité du gouvernement monarchique. Qu'on ne m'accuse pas de m'enfermer dans un cercle vicieux, et de supposer ce qui est en question. Je ne suppose rien que deux faits incontestables, l'existence de Dieu et l'existence de l'homme. DIEU EST, L'HOMME EXISTE : toute l'économie de la société religieuse et de la société politique tient à ces deux faits, et c'est avec raison que j'ai dit, dans la préface de cet ouvrage, qu'on ne pouvait attaquer mes principes sur les sociétés religieuses et politiques, sans nier Dieu, sans nier l'homme.

Je ne m'érige ni en législateur de l'Etat, ni en réformateur de l'Eglise et bien loin de penser que ce soit à la raison de l'homme à constituer la société politique et la société religieuse, je suis convaincu, et je crois l'avoir démontré, que c'est à la société politique et à la société religieuse à constituer l'homme intelligent et physique; et je ne regarde les législateurs les plus célèbres et les réformateurs les plus vantés, que comme des insensés qui ont osé mettre leurs volontés particulières à la place des volontés éternelles de la nature, ou des corrupteurs qui, donnant à la société pour lois leurs propres passions, ont légalisé, si je puis le dire, les passions de la société.

OBSERVATIONS SUR UN OUVRAGE POSTHUME DE CONDORCET,

INTITULÉ :

ESQUISSE D'UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN. 1795.

Au moment que mon ouvrage sortait de la presse, il m'est parvenu un écrit posthume de Condorcet, intitulé: Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain.

Cet ouvrage, qui n'est que le sommaire d'un ouvrage plus étendu, est divisé en dix époques, ou périodes, dont les neuf premières sont consacrées à retracer les révolutions survenues dans l'état des sciences et des arts, et les changements qu'elles ont produits dans le système religieux et politique des nations, depuis l'établissement des premières peuplades, jusqu'à la formation de la république française. Dans la dixième, l'auteur embouche la trompette prophétique, et il dévoile à l'univers les grandes destinées de l'homme et des sociétés.

En rapprochant cette dernière partie de l'Esquisse des progrès de l'esprit humain, des écrits philosophiques qui l'avaient précédée, écrits dont la Déclaration des droits est l'analyse, et la république française l'application, on peut regarder l'ouvrage de Condorcet comme l'apocalypse de ce nouvel Evangile. En effet, l'auteur y présage, non dans un style figuré, mais dans un langage scientifique, le sort futur de la société philosophique dont il se croit un des fondateurs: et le tableau qu'il fait du bonheur réservé à l'homme social, parvenu même à force de vertus et de connaissances à prolonger indéfiniment son existence physique, ne peut être comparé qu'à la magnifique

description que fait l'écrivain sacré, dans son livre mystérieux, de la Jérusalem céleste qu'éclairera un jour éternel, où la mɔrt ne sera plus, et où il n'y aura plus ni deuil, ni plainte, ni douleur,

La fanatique peinture que fait ce philosophe, de sa société hypothétique, peut nous expliquer l'inconcevable phénomène qu'a présenté la France révolutionnaire, où l'on a vu des hommes commander froidement à leurs hordes dévastatrices la désolation et la mort de leurs concitoyens, de leurs parents, de leurs amis, par pur amour de la postérité; annoncer le projet, même la nécessité de réduire de moitié la population de leur patrie; et justifier peut-être à leurs propres yeux ces horreurs inouïes dans les fastes de la méchanceté humaine, par l'avantage d'assurer aux générations futures, des lumières, des vertus, une félicité, dont Condorcet dit lui-même, qu'on ne peut pas se former une idée.

Ce sage, qui ne veut pas que la philosophie moderne soit aussi moderne qu'on le pense, va parcourant les siècles et les nations, cherchant çà et là quelque penseur isolé qui ait nié l'existence de Dieu, et attaqué la monarchie et la religion, pour en faire un des pères de la philosophie. Ce n'est pas sans étonnement qu'on voit figurer dans cette généalogie l'ordre des Templiers, accusés de mœurs dissolues, coupables surtout de grandes richesses, et dont l'auteur veut que la destruction ait eu pour cause la crainte qu'inspirait aux rois et aux prêtres la hardiesse de leurs opinions philosophiques.

Cette assertion ne parait d'abord que hasardée; mais elle mérite une attention sérieuse, lorsqu'on la rapproche de l'aveu prétendu fait par un adepte, au commencement de la révolution de France, que le devoir de venger la mort du grand maître des Templiers, et la destruction de son ordre était un des secrets engagements qu'imposait au très-petit nombre d'initiés cette association occulte, présidée par ce prince qui voulut s'élever jusqu'au trône, et qui, heureusement pour l'espèce humaine, n'est pas allé plus loin que l'échafaud; ces associa

tions, dans lesquelles les honnêtes gens ne voyaient que bienfaisance, les curieux qu'hieroglyphes, les désœuvrés que plaisirs, mais où d'habiles et profonds scélérats voyaient peut-être un moyen de détruire un jour, sous leurs marteaux maçonniques, le trône et l'autel.

L'Esquisse des progrès de l'esprit humain, dernière production de son auteur, peut être regardée comme la dernière production de la philosophie, dans le procès qu'elle a intenté à la société; procès que l'auteur lui-même appelle la guerre acharnée que la philosophie a déclarée aux oppresseurs de l'humanité, et qui durera, dit-il, tant qu'il restera sur la terre des prêtres et des rois.

Si j'eusse défendu la religion et la monarchie, ces deux bases du bonheur de l'espèce humaine, avec autant de talent que Condorcet en emploie à les combattre, on pourrait avec quelque raison peut-être, en lisant son ouvrage et le mien, dire que l'affaire est suffisamment instruite, et qu'elle est en état d'être jugée.

Si le temps me le permettait, si au sortir de la longue et pénible carrière que je viens de parcourir, l'esprit ne se refusait à la méditation, et le corps même au travail, je puiserais dans l'ouvrage du philosophe, jusque dans cet ouvrage qui respire la haine de la monarchie, et le mépris de tout gouvernement qui n'est pas populaire, les preuves les plus décisives de la vérité de mes principes sur la constitution des sociétés politiques.

En effet, l'auteur remarque dans toutes les sociétés politiques dont l'histoire a transmis le souvenir, la distinction de la force et de la faiblesse, la passion de dominer par la force et le besoin de s'en détendre; et « dans les gouvernements grossiers » des sociétés primitives, l'hérédité presque générale des chefs » et des rois, et les prérogatives usurpées par d'autres chefs >> inférieurs, de partager seuls l'autorité politique, d'exercer les >> fonctions du gouvernement et celles de la magistrature. . . . » L'origine de la féodalité, qui n'a pas été particulière à nos

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