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salaire sans travail, ou des services sans récompense, la vertu opprimée, ou le vice triomphant, offre de mauvais exemples et ne peut que corrompre les mœurs publiques.

« Il y a, dit Montesquieu, de mauvais exemples qui sont » pires que des crimes; et plus d'Etats ont péri, parce qu'on a » violé les mœurs, que parce qu'on a violé les lois. »

Assurément, l'exemple des succès de l'intrigue fait plus d'imitateurs que l'exemple d'un assassin impuni.

Je dois le dire, parce que je ne veux rien taire. La cause la plus féconde de l'extrême corruption des mœurs, en France, était l'histriomanie. Elle était devenue une maladie épidémique, qui avait corrompu la capitale, et infecté les provinces. Les petits spectacles de Paris étaient un établissement monstrueux dans un Etat chrétien, et certaines pièces de théâtre un scandale dans une société policée. La fureur avec laquelle on y courait, aurait dû être, pour le gouvernement, la mesure de l'immoralité des spectateurs. Dans les provinces, des spectacles au-dessous du médiocre pervertissaient les mœurs privées et publiques, sans aucune utilité pour les progrès de l'art. Le jeune homme quittait une compagnie décente pour la licence des coulisses; le père de famille, au retour du spectacle, ne retrouvait dans son ménage, que dégoût et ennui. Je ne parle pas du choix des pièces. Elles étaient, depuis longtemps, toutes dirigées vers un but unique, celui de faire une révolution dans la religion et dans le gouvernement, et de rendre odieuses ou ridicules les professions sociales. Ce but paraît quelquefois à découvert sous la morgue d'une sentence: plus souvent, il ne se montre qu'à travers le transparent des allusions; et comme s'il eût fallu des poisons pour tous les lieux et pour toutes les classes de la société, des histrions munis de patentes parcouraient impunément les bourgs et les campagnes, débitant, à la fois, des drogues nuisibles et des farces ordurières, et donnaient au villageois ébahi l'exemple de la vie la plus licencieuse et de l'escroquerie la plus effrontée.

Il faut observer que les Romains ne mettaient sur la scène

T. II.

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comique que des Grecs, peuple qu'ils méprisaient, des marchands d'esclaves, des parasites, des courtisanes, des esclaves, professions viles ou infàmes. La constitution des sociétés ne permet pas d'introduire dans la comédie les professions sociales, parce que l'homme ne peut pas être séparé de la profession sociale dont il est membre, et qu'ainsi, comme je l'ai déjà dit, les mœurs du roi, du prêtre, dn noble, militaire ou sénateur, sont des mœurs publiques, lesquelles ne sont pas du ressort de la comédie, qui ne doit peindre que les mœurs privées.

Les mœurs publiques appartiennent à la tragédie; elle est l'école des professions sociales. Elle honore dans Mithridate la profondeur des conseils; dans Auguste, l'empire de la clémence; dans Achille, la hauteur du courage; dans Ulysse, l'ascendant de la sagesse comme elle relève l'héroïque sainteté de Joad, la valeureuse fidélité d'Abner, la vertueuse fermeté de Burrhus, et le sublime attachement de Léontine au sang de ses rois; elle blâme la précipitation dans Thésée, l'orgueil dans Agamemnon, la vengeance dans Atrée, l'ambition dans Agrippine comme elle flétrit la corruption dans Mathan, la flatterie dans OEnone, et la trahison dans Pharnace. Mais ce qui est remarquable, est qu'à mesure qu'une société s'affermit en se constituant, et qu'elle a moins à craindre des effets de l'ambition du sujet, ou du despotisme du monarque, la muse tragique s'attache à décrire les funestes effets de la volupté, seul danger qu'aient à redouter les sociétés constituées; et soit qu'elle en montre les fureurs dans Oreste, ou les faiblesses dans Titus, les imprudences dans Britannicus, ou les indiscrétions dans Bajazet, la honte dans Phèdre, ou les malheurs dans Ariane, elle cherche à prémunir les rois contre cet écueil fatal à leur gloire et au bonheur de leurs peuples.

Dans ce siècle, par une suite de l'affaiblissement de la constitution dans toutes ses parties, on avait donné des mœurs privées aux professions publiques, pour pouvoir les introduire sur la scène, et l'on représentait des hommes revêtus de professions sociales dans des attitudes naturelles ou de famille.

C'est ce qu'on appelle des drames. Le public applaudissait au talent de l'auteur; il entrait dans la situation du personnage : mais l'homme de goût se reprochait le plaisir qu'il y prenait; un sentiment intérieur l'avertissait de l'inconvenance du sujet, en le laissant jouir des beautés de l'ouvrage. C'était la conscience de la constitution qui s'élevait contre ces productions bizarres, où l'on défigurait l'homme de la société, pour nous peindre l'homme de la famille.

Ce n'était pas assez, pour corrompre les mœurs, des spectacles publics, on y joignait la fureur des spectacles domestiques (1) goût funeste, poison des mœurs privées, école de corruption et de persifflage, où l'on apprend à être sans cesse un autre que soi, à nouer des intrigues, ou à avouer des passions, à n'aimer que des amusements futiles, à n'estimer que des gens frivoles; où tous les âges, tous les sexes, toutes les professions viennent se confondre, oublier leurs devoirs, et changer la décence des mœurs, la solidité des goûts, la dignité des manières contre l'afféterie et le jargon du théâtre. Ce sujet, sur lequel je me suis peut-être trop étendu, me conduit naturellement à parler des gens de lettres.

(1) Dans un Dialogue sur les orateurs, que quelques critiques attribuent à Tacite, plutôt sur la pureté des principes qui y sont développés que sur aucune ressemblance de style, l'auteur, quel qu'il soit, met au nombre des causes de corruption de la jeunesse romaine, les leçons que lui donnaient dans ses premières années des femmelettes grecques ou des esclaves auxquels on en confiait le soin, et dans un âge plus avancé, le goût des spectacles: At nunc natus infans delegatur Græculæ alicui ancillæ, cui adjungitur unus aut alter ex omnibus servis... Horum fabulis et erroribus teneri statim et rudes animi imbuuntur... Jam vero propria et peculiaria hujus Urbis vitia pene in utero matris concipi mihi videntur, histrionalis favor, etc., etc. (XXIX.)

CHAPITRE VII.

Des gens de lettres.

Dans une société constituée, tout marche à sa perfection, parce que la constitution n'est que le développement de rapports nécessaires ou parfaits. Le progrès des lettres est donc le résultat nécessaire de la constitution; mais il est résultat et non pas moyen. La culture des lettres peut embellir la société, mais elle ne peut la conserver; c'est-à-dire que les lettres en sont l'ornement, le luxe; il faut donc en régler ou, pour mieux dire, en diriger l'usage, en prévenir l'abus.

Les auteurs d'ouvrages de littérature, que je distingue des gens de lettres, ne peuvent former une profession, un corps :

1 Parce que la société monarchique tend invinciblement à mettre les professions dans les familles, et qu'il ne peut y avoir des familles littéraires, comme il y a des familles militaires ou sénatoriales;

2o Parce qu'il ne peut y avoir d'éducation particulière pour l'homme qui se destine à la culture des lettres;

3° Parce qu'il faut être plusieurs ou corps, pour remplir les fonctions militaires ou sénatoriales, mais pour faire un ouvrage de littérature, il faut être seul. Une réunion d'hommes de lettres ne peut faire en commun que des recueils, des compilations. En France, les beaux esprits réunis n'ont fait que deux dictionnaires, et il y en a un de trop.

Les savants peuvent faire corps, parce que dans les sciences de calcul un homme, avec du sens et de l'application, peut savoir ce qu'un autre sait ou a su, et qu'ainsi tous peuvent travailler avec les mêmes moyens et les mêmes données à per

fectionner telle ou telle partie d'une science. Il est même nécessaire que les savants fassent corps, parce qu'il n'y a que les corps savants, qui, pour hâter les progrès des sciences, puissent tenter et suivre des entreprises qui surpassent les moyens et la durée d'un individu, et que le gouvernement, pour en faciliter le succès, peut faire, en faveur d'un corps, des dépenses qu'il ne risquerait pas en faveur d'un particulier.

Mais les beaux esprits ne peuvent faire corps; c'est à la fois contre la nature des choses, et contre l'intérêt des lettres :

1. Parce qu'il n'y a pas de raison pour qu'il se trouve à toute époque de l'existence d'une nation, un nombre déterminé de beaux esprits; il peut s'en trouver plus, il peut s'en trouver moins, et la société est exposée à laisser le vrai talent sans récompense, ou à honorer la médiocrité.

2o Les lettres, lorsqu'elles font corps, sont nécessairement asservies. Elles plieront sous le parti dominant, parce que le parti qui domine sent l'avantage d'avoir pour soi les trompettes de la renommée, et qu'il s'attache à les séduire ou à les intimider. Des corps qui sont dans la nature de la société, et qui existent indépendamment des volontés du gouvernement, peuvent braver ses menaces, ou mépriser ses caresses; mais une association qui existe malgré la nature des choses, et par la seule volonté du gouvernement, une association qui veut exister, car tout ce qui existe tend à perpétuer son existence, ne peut opposer aucune résistance, et appartient toujours, et tout entière, aux plus forts. Ainsi un corps littéraire louera, dans la même administration, les mesures politiques les plus contradictoires; ainsi il sera dévot dans un temps, et philosophe dans un autre. Si l'Académie française eût subsisté sous Robespierre, il eût fallu le louer ou périr; et l'on peut appliquer à ce corps célèbre ces belles paroles de Tacite, en parlant d'Agricola : « HeuDreux, s'écrie-t-il, et par l'éclat de sa vie, et par l'à-propos de >> sa mort (1). »

(1) Tu verò felix, Agricola, non vitæ tantum claritate, sed etiam opportunitate mortis. TACIT. de Vita Agric. xv.

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