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Gênez son cœur, contrariez ses sens; semblable à une eau qui se perd dans le sable, si elle n'est arrêtée par une digue, l'homme n'est fort qu'autant qu'il est retenu.

Si les lettres et les arts doivent corrompre les hommes et perdre la société, il faut anéantir les lettres et les arts mais ils peuvent porter l'homme à la vertu, perfectionner ou embellir la société; il faut en encourager le goût, en diriger l'emploi, en récompenser les progrès, et ne pas oublier que la société doit être sévère dans ses châtiments, mais magnifique dans ses récompenses, et qu'elle doit punir et récompenser en société.

J'ai dit ailleurs que l'art de l'imprimerie était un développement nécessaire de la société religieuse et politique; et ceux qui, à la vue des désordres qu'a produits dans la société, par la faute des administrations, l'abus de cet art précieux à l'humanité, regrettent le temps où l'on ignorait, dans les classes même les plus élevées, l'art de lire et d'écrire, semblent craindre qu'une discussion trop approfondie ne fasse évanouir les vérités conservatrices de l'homme et de la société. Cette crainte est injurieuse à la Divinité, et les vérités qu'elle a daigné révéler aux hommes, ou celles qu'elle a permis que les hommes découvrissent, ne seront jamais assez approfondies par ceux que leur rang, c'est-à-dire, leurs devoirs dans la société obligent à les étudier et à les connaître, et qui sont faits pour gouverner, sinon par l'autorité des places, au moins par celle de l'instruction et de l'exemple, ceux à qui la faiblesse de leur âge, de leur condition, ou de leur esprit ne permet pas de se livrer à des études pénibles, ni d'acquérir des connaissances étendues.

Pourquoi l'administration ne ferait-elle pas faire des éditions châtiées des auteurs célèbres? quel est ce respect fanatique pour les impiétés, les obscénités, les absurdités d'un écrivain? Un sophisme est-il plus respectable parce qu'il est de Rousseau, ou une raillerie impie moins déplacée parce qu'elle est de Voltaire? Le jeune homme ne peut-il lire la tragédie de Mérope ou l'Histoire de Charles XII, sans trouver à côté des

contes philosophiques ou un poème licencieux? Est-il absolument nécessaire d'essuyer la lecture des paradoxes de Rousseau, l'égoïsme de ses Confessions, le scandale de son Héloïse, pour connaître les beautés vraies et touchantes qui sont répandues dans son Emile! Et les Lettres persanes font-elles une suite nécessaire à l'histoire de la Grandeur et de la décadence des Romains? Est-ce de l'intérêt d'un auteur ou de l'intérêt de la société que le gouvernement doit s'occuper? Doit-il être le partisan fanatique de J.-J. Rousseau, de Voltaire, etc., ou le défenseur des vrais principes, et le tuteur de la société? Tout ce qui serait de l'écrivain social serait conservé, tout ce qui serait de l'homme serait supprimé, et si je ne pouvais faire le triage, je n'hésiterais pas à tout sacrifier. Je ne demanderais pas avec le géomètre: Qu'est-ce que cela prouve? Mais je demanderais avec la nature: Quel avantage peuvent en retirer l'homme et la société? parce que c'est uniquement sur cette règle que l'admi– nistration doit juger le mérite de l'ouvrage, et récompenser le talent de son auteur. Il est temps de revenir à des vérités simples, comme le sont toutes les vérités sociales, à des vérités triviales, comme toutes les vérités sociales devraient l'être. Il n'y a de beau que ce qui est bon: il n'y a de bon que ce qui est utile à la société, et, dans la société constituée, celle dans laquelle tous les êtres tendent à leur perfection, l'on ne doit conserver que ce qu'il y a de bon et d'utile.

CHAPITRE VIII.

Bienfaisance publique.

J'ai remarqué, dans la seconde partie de cet ouvrage, comme une preuve de la vanité des projets de la sagesse humaine, que l'époque à laquelle les gouvernements travaillaient avec le

plus d'ardeur à bannir de leurs Etats la pauvreté, ou du moins la mendicité, a été l'époque d'une indigence et d'une expropriation presque universelles; et je ne crains pas d'ajouter que les mesures que prenait en France l'administration, pour atteindre un but aussi louable, devaient être une des causes de la ruine générale, comme elles en sont devenues un des instruments.

La philosophie qui gâtait tout, jusqu'au bien qu'elle faisait, avait, pour étaler sa fastueuse bienfaisance, imaginé d'attrouper les pauvres dans des ateliers de charité: mesure fausse et dangereuse, et qui prouvait dans ses auteurs une ignorance profonde des règles d'une véritable charité, des principes de la constitution des sociétés, des règles d'une saine administration, du caractère des hommes en général, et du pauvre en particulier.

Tout ce qui a rapport à l'homme et à la société doit être considéré sous des rapports moraux et sous des rapports physiques, parce que la société est intérieure et extérieure, comme l'homme lui-même est intelligent et matériel. Examinons sous ce double point de vue cette mesure de bienfaisance publique qui a excité un si grand enthousiasme parmi ceux que leurs devoirs n'avaient jamais rapprochés de la classe obscure et pauvre, ni familiarisés avec les détails et la pratique de l'administration.

Les ateliers de charité étaient dangereux sous des rapports moraux : 1o parce qu'en réunissant par nombreuses troupes, les pauvres de tout âge et de tout sexe, c'est-à-dire, la partie d'une nation que le défaut d'éducation et l'urgence des besoins rendent malheureusement la plus corrompue et la plus corruptible, on dépravait la faiblesse de l'âge et celle du sexe; l'enfant et l'adolescent y entendaient, y apprenaient ce qu'ils ne devaient ni entendre ni savoir, et ils en revenaient avec quelques sous de plus dans leur poche, et le germe du vice dans l'esprit et dans le cœur.

2° Les jeunes personnes, qui auraient trouvé dans des occu

pations plus sédentaires des moyens de subsistance plus convenables à leur sexe, préféraient ces nombreuses assemblées où régnait la joie grossière, c'est-à-dire la licence du pauvre qui a du pain.

3o Ces attroupements autorisés, soldés par l'administration, enhardissaient le pauvre et lui ôtaient le frein de la honte, juste châtiment de la pauvreté, qui, dans le pauvre valide, n'est jamais que le résultat de la paresse et du vice; et tel homme qui aurait rougi de demander des secours à la charité particulière, ou de les recevoir dans les maisons publiques, sollicitait, le front levé, une place dans l'atelier de charité; il y avait même une honteuse émulation pour s'y faire inscrire; il fallait des protections pour en obtenir la faveur; en sorte que, pour bannir la mendicité publique, on la provoquait, on la créait, et cet abus était poussé si loin, qu'on voyait quelquefois des bourgeois aisés envoyer leurs domestiques travailler à l'atelier de charité.

Les ateliers de charité étaient nuisibles sous des rapports extérieurs et politiques; 1° ils nuisaient à l'agriculture, parce que le pauvre préférait d'aller travailler, ou pour mieux dire, ne rien faire dans ces rassemblements que l'on ne pouvait surveiller, où il se rendait plus tard, travaillait moins assidûment, que dans les travaux particuliers, et d'où il se retirait plus tôt ; il y contractait l'habitude de l'indolence et d'un travail sans activité. Qu'on ne dise pas qu'on n'occupait le pauvre que dans les saisons mortes; car les saisons mortes pour les travaux annuels et ordinaires de l'agriculture sont les temps les plus propres aux travaux extraordinaires et d'amélioration.

2' Dans la plupart des lieux, on faisait des travaux sans objet utile, et uniquement pour avoir occasion de former un atelier de charité; en sorte que le pauvre, qui voyait qu'on ne le faisait travailler que pour avoir un prétexte de lui donner, ne faisait de travail que ce qu'il en fallait pour avoir un prétexte de recevoir, et qu'ainsi, au scandale d'une distribution quelquefois sans besoin se joignait l'abus d'un travail souvent sans utilité.

3o On admettait dans les ateliers de charité des pauvres hors d'état, par leur âge ou leurs infirmités, de faire aucun travail; or, il est contre la nature et la raison, qu'on fasse travailler celui qui ne peut pas travailler, ou qu'on paie celui qui ne travaille pas.

Enfin les ateliers de charité sont devenus dangereux à la tranquillité publique, et les factieux s'en sont servis avec succès pour commencer la révolution. A leur voix, les pauvres se sont métamorphosés en brigands, et les secours de la chatité en solde de crimes.

Cherchons, dans la constitution religieuse et politique des sociétés, les vrais principes de la bienfaisance publique et des moyens efficaces de réprimer la mendicité.

L'homme social est l'homme et la propriété; or, la nature de la société tend à faire de tous les hommes, des hommes sociaux; donc elle appelle tous les hommes à la propriété. Mais l'homme ne peut y parvenir que par le travail, et ne doit y parvenir que par un travail légitime; donc tout homme doit s'occuper à un travail permis, pour devenir propriétaire, et s'élever ainsi au rang d'homme social; et comme l'homme ne peut travailler sans acquérir quelque propriété, on peut dire de tout homme qui travaille, qu'il est homme social, et de celui qui ne travaille pas, qu'il est hors de la société.

L'homme est donc propriétaire, ou il ne l'est pas s'il n'est pas propriétaire, et qu'il soit privé des facultés physiques et morales indispensables pour le devenir en travaillant, la société civile, c'est-à-dire, la société politique et la société religieuse doivent suppléer au défaut de ses facultés, et pourvoir à sa subsistance, parce qu'elles doivent soulager toutes les faiblesses physiques et morales de l'homme. C'est là l'objet des hôpitaux et autres fondations pieuses. La société politique envoie le pauvre dans ces établissements, qu'on peut regarder comme les hôtelleries de la Providence sur la longue route des misères humaines. La société religieuse l'y reçoit; et si le gouvernement assure à son corps une subsistance qu'il est hors d'état de

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