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ADMINISTRATION MILITAIRE.

J'ai distingué deux corps militaires : l'un héréditaire, défensif, constitutionnel, que j'appelle noblesse; l'autre amovible, accidentel, offensif, que j'appelle armée.

CHAPITRE PREMIER.

Noblesse.

Sous la première race de nos rois, la noblesse était ce qu'elle doit être dans une société constituée, ce qu'elle était chez les Germains, profession sociale ou défensive de la société; mais comme la société s'était agrandie, les diverses fonctions s'étaient établies et distinguées, et l'on voyait des gouverneurs de provinces, ou duces, des gouverneurs de villes, ou comites, des commandants sur les frontières ou marches, qu'on appelait marchiones. Ceux qui n'avaient pas des fonctions particulières étaient désignés par le nom de seigneur ou homme libre, expression qui, dans la langue germanique, signifie encore un noble sans fonctions particulières, et répond exactement au titre de baron, dont elle est la traduction littérale. Ainsi, cette expression d'homme libre, qu'on retrouve à tout moment dans les écrits de ceux qui ont traité de l'état des premiers Francs, ne désignait qu'un noble, libre de fonctions particulières, et tenu seulement des engagements généraux de sa profession, qui étaient de défendre la société.

Sous la seconde race, les duces ou ducs, comites ou comtes, marchiones ou marquis, profitant de l'affaiblissement de l'autorité royale, rendirent héréditaires dans leurs familles le gouvernement des provinces et des villes, et le commandement des frontières ou marches ; les titres, jusque-là viagers ou révocables comme les fonctions, devinrent héréditaires comme elles. Voilà ce que les gens prévenus appellent la féodalité, et qui en était l'abus et la corruption. L'usage de porter des noms de terre s'introduisit à cette époque parmi les nobles, parce qu'il était dans la nature des choses, que les terres possédées à charge de service militaire devinssent héréditaires dans les familles, puisque l'obligation de servir la société y était devenue héréditaire. La possession du fief caractérisa donc le noble: et le de, qui, dans une grande partie de l'Europe, distingue et désigne le noble, ne signifie autre chose que le domicile dans le fief, un tel de tel endroit. Plus tard, on ajouta au nom de terre son nom de baptême, et l'on dit Bertrand du Guesclin, Olivier de Clisson; après l'établissement des troupes réglées, on se distingua par son grade, le capitaine Montluc, le maréchal de Trivulce.

Mais le seul titre qu'on retrouve dans les temps anciens, pour la noblesse qui ne possédait pas de fief en souveraineté, est celui de baron ou d'homme libre, qui désignait la noblesse restée profession sociale et qui n'était pas pouvoir. C'est, en effet, le seul titre qu'ait porté jusqu'à ces derniers temps, et que porte encore l'aîné d'une des premières maisons du royaume, qui n'a jamais possédé de fief en souveraineté.

Quand nos rois se furent ressaisis de tous les pouvoirs particuliers sur les familles qui les avaient usurpés, ou en faveur desquels nos rois eux-mêmes les avaient rétablis, alors les titres reparurent; ils ne désignèrent plus, comme autrefois, des fonctions, mais la capacité de les remplir, ou ils furent une présomption qu'on descendait des familles qui avaient autrefois exercé ces fonctions ou usurpé des pouvoirs. Quelquefois ils ne prouvèrent que la fortune d'un parvenu, ou l'effronte

rie d'un aventurier. L'abus des érections de terres en titres honorifiques fut poussé si loin, qu'il fallut décider, conformément à la constitution, que le roi pouvait faire quelqu'un comte ou marquis sans le faire noble, décision qui prouve que la noblesse n'est distinction que parce qu'elle est profession distinguée.

Dans ces derniers temps, les puînés de la noblesse, au lieu de prendre des noms de fief, adoptaient l'usage de se désigner par le nom de baptême, joint au nom de famille; rien de moins conforme à la constitution. 1° Les princes du sang de France et l'héritier même du trône ne sont désignés que par des noms de fief. Cet usage n'a lieu que dans quelques cours étrangères, et par conséquent ne nous convient pas. 2o Il sépare la noblesse de la possession du fief, qui est le caractère distinctif de la noblesse. 3° La désignation par des noms de terre fait revivre les noms de familles qui ne sont plus; et c'est un avantage pour la société, qui, consommant les individus, doit, autant qu'elle peut, éterniser les familles en conservant les noms. Dans un temps éloigné, une famille entée sur le tronc d'une maison illustre anciennement éteinte se confond avec elle par la possession du même fief, et quelquefois par la pratique des mêmes vertus. Un nom qui rappelle de grandes actions peut souvent en produire de nouvelles; le mensonge ne nuit à personne, et il a pour la société le même effet que la réalité. Cette immortalité de noms et de souvenirs est parfaitement dans l'esprit de la constitution.

4o Cette coutume populaire, de se désigner par des noms de baptême, tenait, je crois, à la pente que tout prenait, en France, vers les institutions de l'homme naturel.

Je ne sais si l'usage des présentations à la cour est bien conforme à la constitution, à l'intérêt de la noblesse, à celui de la société il se forme ainsi un ordre dans un ordre. La noblesse de la cour se distingue de la noblesse de province; elle se divise, lorsqu'il faut combattre en masse et à rangs serrés. Les présentations se multiplient, la faveur et l'intrigue s'en

mêlent, et l'on est présenté malgré le généalogiste, et quelquefois malgré la généalogie.

La noblesse est une aux yeux de la constitution; dans les états. généraux, le noble le plus récent a siégé à côté de chefs de nos plus anciennes maisons. Mais c'est à l'opinion à distinguer les familles, et à l'administration à distinguer les services. La distinction que l'opinion publique, c'est-à-dire la société, met entre les familles. à raison de leur ancienneté, est autant dans la nature des choses, que celle que l'administration met entre les individus, à raison de leurs services personnels. Plus il y a de temps qu'une famille est consacrée à la défense de la société, plus elle doit être considérée par la société; et lorsque la date de son admission dans la profession sociale n'est pas connue, elle doit jouir de la considération justement attachée à l'exercice immémorial d'une profession distinguée.

Si la noblesse doit être fonction, elle ne doit pas être pouvoir; encore moins doit-elle être métier: donc elle ne doit pas commercer. Le désir d'acquérir des richesses est le désir d'en jouir; le désir de jouir est le désir de vivre; et le désir de vivre s'accorde mal avec une profession qui ordonne de compter la vie pour rien, et son devoir pour tout. « Des lois qui per» mettraient, en France, le commerce à la noblesse, dit Mon» tesquieu, y détruiraient la noblesse sans aucune utilité pour » le commerce... Il est contre l'esprit de la monarchie que la » noblesse y fasse le commerce. L'usage qui a permis, en An» gleterre, le commerce à la noblesse, est une des choses qui ont » le plus contribué à y affaiblir le gouvernement monarchique.» Le même auteur, après avoir remarqué l'esprit de désintéressement de cette noblesse militaire, « qui sert toujours avec le » capital de son bien; qui, quand elle est ruinée, donne sa » place à un autre, qui servira avec son capital encore; qui, » quand elle ne peut espérer les richesses, espère les hon»neurs, et lorsqu'elle ne les obtient pas, se console parce » qu'elle a acquis de l'honneur; » après avoir considéré « cet » état de la robe qui, sans avoir le brillant de la noblesse guer

»rière, en a tous les priviléges; cet état qui laisse les particu» liers dans la médiocrité, tandis que le corps dépositaire des » lois est dans la gloire; cet état encore dans lequel on n'a de » moyen de se distinguer que par la suffisance et par la vertu, >> profession honorable, mais qui en laisse toujours voir une plus » distinguée; «< après avoir observé que la partie du royaume de France est « très-sage en ce que les négociants n'y » sont pas nobles, mais qu'ils peuvent le devenir, » ajoute ces paroles remarquables, et qui peuvent être regardées comme le texte de mon ouvrage : « et si depuis plusieurs siècles, la » France a augmenté sans cesse sa puissance, il faut attribuer » cela à la bonté de ses lois, non pas à la fortune, qui n'a pas ces » sortes de constance. » (Esprit des lois, liv. XX, ch. xxi et xxп.)

On peut remarquer dans la contradiction qui existait, en France, entre les lois et les mœurs, relativement à la noblesse commerçante, une preuve évidente de ce que j'ai avancé dans la première partie de cet ouvrage; que c'est à la nature seule à faire des lois dans une société constituée, parce que c'est elle seule qui établit des rapports nécessaires entre les êtres, et que, lorsque l'homme veut y substituer ses opinions, il ne peut établir que des rapports contraires à la nature des êtres, des lois absurdes, que la nature repousse, ou en les laissant tomber en désuétude, ou par les troubles qui en accompagnent l'exécution. Une loi permettait en France à la noblesse de faire le commerce en gros; les mœurs, c'est-à-dire, la nature, plus sage que l'homme, ne le lui permettait pas; en revanche, la nature avait introduit la loi des substitutions, parce que la loi qui rendait héréditaires les moyens de remplir une fonction héréditaire, était un rapport nécessaire et dérivé de la nature des êtres l'homme avait restreint, c'est-à-dire, avait abrogé cette loi; et remarquez la différence des lois nécessaires, c'està-dire, parfaites, qu'introduit la nature, aux lois absurdes, immorales que l'homme établit. La nature en prescrivant à la noblesse les substitutions et lui défendant le commerce, lui inspirait le soin de sa postérité et le mépris du luxe et des jouis

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