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CHAPITRE PREMIER.

Sociétés naturelle, physique et religieuse.

Dieu et l'homme, la famille, la religion naturelle, paraissent à la fois dans l'univers.

Dieu crée l'univers ou la propriété; bientôt après il crée l'homme pour régner sur l'univers et user de la propriété. Dieu forme d'abord le corps; bientôt après il forme l'âme, pour habiter le corps et en diriger les mouvements. Dieu donne à l'homme une compagne; ce n'est pas un esclave qu'il lui donne, mais un aide semblable à lui c'est la première société naturelle ou la première famille. Elle est consacrée par Dieu même. « L'homme quittera son père et sa mère, et il s'atta» chera à sa femme; il sera la chair de sa chair, les os de ses ils seront deux dans la même chair (1). »

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La femme naît après l'homme; elle est l'objet de sa tendresse mais elle est sujet, et l'homme est pouvoir. Amour et dépendance constituent les relations du pouvoir et du sujet; amour et crainte, voilà la société extérieure ou physique.

Le genre humain sort d'une famille, puisque la famille est l'élément de la société. Croissez, leur dit le Créateur, c'est-àdire, « hommes intelligents, développez les facultés que j'ai » mises en vous (2); multipliez, c'est-à-dire, hommes phy

(1) Ce n'est pas sans doute dans ces paroles que les législateurs religieux ou politiques, ont trouvé la justification du divorce ou de la polygamie.

(2) Ou les deux expressions, Croissez et Multipliez signifient la même chose, et il ne peut y avoir rien d'inutile dans l'Ecriture, ou l'expression croissez a le sens que je lui donne; et c'est aussi dans ce sens qu'il est dit de Jésus-Christ dans l'Evangile : L'enfaut croissait en sagesse. Puer crescebat sapientia.

»siques, remplissez cet univers que je n'ai créé que pour

» vous. »

Dieu comble l'homme de ses dons, mais il met un frein à ses désirs par une defense sévère. Dieu se constitue pouvoir, et il constitue l'homme sujet ; il lui commande l'amour par la reconnaissance de ses bienfaits, et la crainte, par la menace des peines qui suivront sa désobéissance. Amour et crainte, voilà la religion.

Dieu n'intime ses ordres qu'à l'homme, pouvoir de la société naturelle; l'homme les transmet à la femme. La fonction du pouvoir est de faire connaître au sujet la loi, et de la lui faire observer.

La famille est heureuse, tant que l'homme, pouvoir de cette société, reste à la place que la nature de cette société lui assigne si sa faiblesse l'en fait descendre, s'il obéit à celle à qui il doit commander, il désobéit lui-même à celui à qui il doit obéir la scène change, et alors commence pour l'homme comme pour la femme, pour le pouvoir comme pour le sujet, un état de peine, de misère et de douleur.

Quelle leçon donnent à l'univers les suites déplorables de la faiblesse du pouvoir et de l'orgueil du sujet! C'est en faisant briller aux yeux de la partie faible de la société les lueurs trompeuses de la liberté et de l'égalité, qu'un génie malfaisant la soulève contre l'autorité légitime. « La défense qui » vous est faite, lui dit-il, ne gêne votre liberté que pour vous >> empêcher d'aspirer à l'égalité avec votre créateur : vous ne > mourrez point, et vous serez comme des dieux, connaissant » le bien et le mal: » et le sujet séduit, mettant l'amour déréglé de soi ou l'orgueil à la place de l'amour de l'Etre suprême, ose désobéir, c'est-à-dire, substituer au pouvoir général son pouvoir particulier : fruit funeste, qui cause une mort certaine à l'orgueilleux qui ose s'en nourrir. L'homme, pouvoir de la société extérieure, partage la désobéissance du sujet, au lieu de la punir; l'amour déréglé de son semblable l'emporte dans son cœur sur l'amour de l'Etre suprême. L'or

gueil avait égaré le sujet, la faiblesse perd le monarque.

A peine l'homme a-t-il cédé à ses passions, que troublé par la conscience de sa faute, il tremble de rencontrer l'auteur de son existence, et il se cache de devant sa face. Le sentiment de la Divinité s'altère dans l'homme coupable; l'amour fait place à la crainte. Adam ne se dérobe à la vue de son créateur, que parce qu'il ne peut éloigner son créateur de lui. Déjà il le hait, et dans sa haine, il en fera un Dieu barbare et impitoyable : Dieu a pitié de son ouvrage (1). Il reprend l'homme avec bonté; il le châtie avec ménagement, et dans la punition même, il place l'espoir du pardon. Il lui laisse entrevoir qu'un autre ordre de choses succédera un jour à l'état malheureux dans lequel la société est tombée. La fable elle-même laisse l'espérance au fond de la boîte fatale de laquelle sont sortis tous les maux.

La bonté de l'Etre suprême se manifeste en même temps que sa justice crainte mêlée d'amour; mais d'un amour d'espoir et d'attente, est le premier état de la religion de l'unité de Dieu. Dieu annonce à l'homme un changement heureux dans l'état futur de la société développement et perfectionnement qui caractérisent la constitution religieuse comme la société politique.

Le Créateur oblige l'homme au travail de la terre; c'est à ce prix que l'homme acquiert le droit de propriété il condamne la femme à enfanter avec douleur; c'est à ce prix qu'elle acquiert dans la famille les droits de la maternité.

Malheureuse par la faiblesse du pouvoir et par l'orgueil du sujet, la société ne connaissant que trop le bien de son état passé, et le mal de sa position présente, s'éloigne, à la voix du Créateur, du séjour de délices qu'elle avait habité jusqu'à sa

(1) Ce n'est que chez le sectateur de l'idolâtrie publique ou cachée, que la crainte de Dieu peut être sans amour, ou haine; car le sectateur du monothéisme constitué, ou de la religion du rédempteur promis ou donné, ne peut avoir une crainte sans amour, puisqu'il ne peut avoir une crainte sans espoir. La crainte de l'un est celle de l'esclave, la crainte de l'autre est celle de l'enfant.

désobéissance : c'est la première révolution, et elle a les mêmes causes qu'auront à l'avenir toutes les autres, la faiblesse et l'orgueil.

Les faits décrits par l'écrivain sacré sont réels, mais prophé tiques; et je lis, dans les détails qu'ils me présentent, la cause des désordres futurs des sociétés et des malheurs de l'espèce humaine.

Cette prophétie sublime, que tant d'événements ont justifiée, est à mes yeux une preuve irrésistible de la divinité des livres saints.

Avec l'homme commence la religion; avec la religion commence le sacrifice. Les philosophes veulent que la religion naturelle ou la religion de la famille soit purement intérieure ; c'est une erreur grossière ou un sophisme évident : la religion est amour, l'amour est action, l'action de l'amour est le sacrifice.

Le sacrifice, avons-nous dit, c'est le don que l'objet qui aime fait de lui-même à l'objet aimé.

Comme la société naturelle est un homme et une propriété, le sacrifice était le don de l'homme et le don de la propriété. On voit naître la distinction bien marquée de la religion avec sacrifice, et de la religion sans sacrifice; de la religion de sentiment, et de la religion d'opinion; de la religion du cœur, et de la religion de l'esprit, de la philosophie.

Abel, homme juste, choisit ce qu'il a de plus beau dans ses fruits et ses troupeaux, et l'offre au Seigneur. Il joint les dispositions du cœur, ou le don de l'homme moral, aux présents de l'homme physique. Aussi l'Ecriture ne dit pas que le Seigneur regarde favorablement les présents d'Abel, mais qu'il regarde favorablement Abel et ses présents.

Cain, homme sombre et farouche, offrait à Dieu les mêmes présents en apparence, mais le don de l'homme n'accompagnait pas le don de la propriété. La religion de Caïn était extérieure comme celle d'Abel, mais elle n'était pas sacrifice comme le sien. C'était un culte, mais ce n'était pas une religion; et

l'Etre suprême, amour par essence, veut la religion qui est culte, et rejette le culte qui n'est pas religion.

Dieu distingue la religion avec culte d'Abel, du culte sans religion de Caïn. La guerre commence entre le juste et le méchant, et elle durera jusqu'à la fin des sociétés. Les bons voudront conserver la société en défendant son pouvoir général conservateur; les méchants voudront la détruire, ou faire prévaloir leur pouvoir particulier. Mais jamais les haines ne seront plus actives, ni les fureurs plus sanglantes, que lorsqu'à l'ambition d'établir son pouvoir particulier dans la société politique, l'homme joindra l'ambition de faire dominer son pouvoir particulier ou ses opinions dans la société religieuse, lorsque le fanatisme se joindra à la cupidité. Alors on verra les plus grands désordres qui puissent affliger la société, parce qu'il s'agira des plus grands intérêts qui puissent occuper les hommes. Malheur à la société livrée au double fléau de l'ambition et du fanatisme!

Le fanatisme verse le premier sang que la terre ait vu répandre. Caïn, jaloux de la préférence donnée par Dieu même au sacrifice de son frère, l'immole à sa jalousie. Le dernier meurtre qui souillera la terre, comme le premier qui l'ensanglantera, ne peut être qu'un fratricide.

Dieu avait parlé à l'homme, pour consacrer l'union qui forme la société naturelle, pour ordonner le travail qui la perpétue; il lui parle encore pour condamner les crimes qui la détruisent.

Qu'as-tu fait? crie au meurtrier cette voix puissante et terrible qui se fait entendre encore au cœur de l'assassin; la voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi : tu seras maudit sur la terre; tu la cultiveras en vain ; tu la parcourras, sans y trouver un asile ; et dès lors le remords s'attache à ses pas; la frayeur habite avec lui; le sceau de l'homicide s'empreint sur son front; il croit, dans ses terreurs, que tout homme y lira son crime, et voudra en être le vengeur. Le Créateur le rassure il n'a pas conféré à la société naturelle le droit de glaive;

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