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merçant, de gloire littéraire avec le bel esprit, et réserver, en même temps, pour elle seule, l'honneur de servir l'Etat, et la juste considération qui en est la suite, il s'est formé contre elle une ligue de la jalousie et de la vanité, et elle a succombé sous le poids de leurs haines réunies.

Les progrès de la société ont dû nécessairement développer une autre profession sociale, agrégée à la noblesse, et noblesse elle-même, puisqu'elle est défensive de la société dans son objet, indépendante dans son existence, inamovible dans ses fonctions, propriétaire, et par conséquent héréditaire dans son titre ; je veux parler de la noblesse sénatoriale. A mesure que la société se constitue, la justice fait plus, et la force fait moins, ou pour mieux dire, la justice devient la force. C'était ainsi en France, où les deux professions de la robe et de l'épée se rapprochaient insensiblement. Leur point de contact était dans la royauté et dans la pairie, premier grade de la noblesse, offices constitutionnels qui rapprochent la noblesse de la royauté, puisque ceux qui en sont revêtus en sont les pairs ; magistrature militaire, et appartenant même plus au sénat qu'à l'armée. En effet, les pairs laïques peuvent ne pas servir l'Etat dans la carrière des armes, mais ils ne peuvent pas n'être pas membres de la cour des pairs: cependant la profession sénatoriale restera toujours dans l'opinion un peu au-dessous de la profession actuelle des armes, parce qu'il est dans la nature de l'homme, qu'une profession qui demande à l'homme le sacrifice de sa vie, soit plus considérée que celle qui ne lui demande que le sacrifice de son temps; mais s'il existe entre elles cette différence dans les temps ordinaires, et lorsque l'Etat n'a à craindre que les ennemis extérieurs, elle disparaît, lorsque la société politique, en proie aux troubles intérieurs, appelle à son aide les professions conservatrices, véritable force publique, défensive de la constitution: alors toutes les professions sociales sont également exposées; le dépositaire des lois, le défenseur du trône, tombent également sous le fer des scélérats. La noblesse est une quand il faut périr.

Dans la société politique, il n'y a de force de conservation que dans la profession essentiellement conservatrice, c'est-àdire la noblesse. L'histoire s'accorde avec cette théorie, puisqu'il n'y a que les sociétés religieuses ou politiques qui avaient un corps de noblesse héréditaire, religieuse ou politique, qui se soient conservées, et aient laissé de grands monuments de leur existence religieuse ou politique, comme les Juifs, les Egyptiens et même les Romains. Car j'ai prouvé, dans la seconde partie de cet ouvrage, que les Lévites étaient un corps de noblesse religieuse, comme il est vrai de dire que dans la société monarchique, la noblesse est un sacerdoce militaire. Les républicains ne manqueront pas de m'alléguer l'exemple de la France république, qui a proscrit la noblesse, et dont les armées ont eu de si grands succès.

Je n'examinerai point ici, si ces succès prodigieux sont dus uniquement à la valeur des troupes françaises; mais je répondrai qu'il ne faut pas confondre la force d'agression avec la force de conservation, et que ces mêmes armées, après avoir dévasté, subjugué les Etats voisins, deviendraient, comme les armées romaines, le fléau de leur propre patrie. Il y aurait cette différence entre la république romaine et la démocratie française, que Rome n'eut des troupes réglées et assemblées en temps de paix, que dans les derniers temps de la république; au lieu que la France serait obligée, à cause du système présent de l'Europe, d'avoir en tout temps une force imposante, et qu'on a proposé, dans les débats de la Convention, de porter, dès aujourd'hui, à cinq cent mille hommes.

J'ai remarqué au chap. v du liv. IV de la première partie de cet ouvrage, que depuis longtemps un changement progressif dans nos mœurs, dans nos arts, dans notre langue, dans notre littérature même, annonçait la chute accélérée par laquelle la France descendait de la constitution de la nature de la société, ou de l'homme perfectionné, aux institutions de l'homme sauvage; j'en citerai un nouvel exemple relatif à la noblesse. L'usage s'introduisait de se servir, dans les combats

singuliers, de l'arme la plus destructive et qui suppose le courage passif qu'on retrouve au plus haut degré chez l'homme sauvage, plutôt que le courage actif qui doit être celui de l'homme perfectionné, et qui avait toujours été celui du Français. Je n'entre pas dans le fond de la question; mais je ne crains pas de dire que ce changement prouvait, plus qu'on ne pense, la détérioration de l'esprit de la nation. Ce n'étaient plus des rivaux généreux, qui oublient un instant l'amitié qui les unit, pour ne s'occuper que de leur gloire, mais des ennemis implacables qui veulent se détruire.

CHAPITRE II.

Armée.

Comment se faisait-il qu'en France chaque ministre de la guerre fit une ordonnance militaire, et que chacun de ceux qui étaient chargés de la faire exécuter y changeât quelque chose? Quand la nature amène des développements nécessaires dans les usages politiques ou militaires d'une nation, elle a soin d'en indiquer le motif. Ainsi, il était dans la nature des choses, qu'une troupe à cheval acquît, dans ses évolutions, toute la rapidité dont le cheval est susceptible; que l'artilleur fût, dans certaines circonstances, mis à cheval, pour arriver aussitôt que la pièce qu'il sert; que le soldat fût habillé uniformément, d'une couleur difficile à salir et aisée à nettoyer; que son habit le défendit du froid sans l'embarrasser dans sa marche; qu'il fût coiffé de manière à garantir sa tête des injures de l'air, chaussé de manière à préserver ses pieds de l'humidité, armé de la manière la plus propre à tirer le meilleur parti de sa force et de son adresse; mais ces objets une fois remplis, l'homme

et les saisons restent les mêmes. Pourquoi fatiguer le soldat et ruiner l'officier par des changements continuels dans le nombre des boutons, la couleur des revers, la coupe de l'habit, la forme du chapeau? Peut-on justifier ces changements et mille autres aussi inutiles, par aucun motif tiré de la nature des boutons, des couleurs, des habits ou des chapeaux? La manie de faire est essentiellement celle des petits esprits, le goût de conserver est le caractère des bons esprits.

L'homme n'aime de changements que ceux qu'il fait luimême, parce qu'ils lui présentent une idée de création qui le flatte; hors de là, il aime à contracter des habitudes, et ses habitudes lui sont aussi chères que sa vie.

Ce qui est nécessaire en France, et dont on pourrait justifier la nécessité par des motifs puisés dans la nature de la constitution monarchique, est:

1° De rétablir les compagnies d'ordonnance de la maison du roi, où la noblesse puisse faire un service qui lui tienne lieu d'éducation militaire, au lieu de demander des brevets à la suite, et de courir après des grades sans fonctions.

2o De rétablir les grenadiers à cheval, élite des troupes françaises et récompense pour le soldat brave et fidèle.

3o De rétablir la gendarmerie, corps plus important qu'on ne pense aux yeux de la constitution, parce qu'il était le point de ralliement militaire de la noblesse et de la bourgeoisie, avantage qui compenserait les inconvénients particuliers à ce corps. Ces inconvénients même disparaîtraient en partie, si l'on ne plaçait que de vieux officiers à la tête de ce corps, comme à la tête de tous les corps composés de jeunes gens de famille. Il est aisé d'en sentir les raisons:

1° Ce n'est pas assez de l'autorité du grade pour contenir cette jeunesse fougueuse, si l'on n'y joint celle de l'âge, qu'aucune institution humaine ne peut remplacer.

2o Le commandement de la part d'un supérieur, égal en tout à l'inférieur, révolte et prend le caractère de la force, à laquelle la nature oppose toujours une secrète résistance, plutôt que

T. II.

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celui de l'autorité. L'homme aime à trouver le motif de son obéissance dans l'âge ou la naissance de celui qui commande, et non dans son grade seul, c'est-à-dire dans la nature ou la constitution, et non dans une préférence arbitraire et que chacun croit mériter.

3o Il est dans la nature de l'homme, que les vieillards qui commandent, sympathisent avec les jeunes gens qui leur sont soumis, et leur rendent l'obéissance plus douce, ou par l'affection qu'ils ont pour eux, ou par le respect qu'ils leur inspirent.

4° Jamais le jeune homme qui obéit ne manquera au vieillard qui commande, parce qu'il est contre la nature de l'homme et les lois mêmes de l'honneur qu'il puisse lui en donner rai

son.

Ce qui est nécessaire est de rétablir la considération des grades et de tous les grades. Déjà en France on était honteux de n'être que capitaine, et l'on aurait bientôt rougi de n'être encore que colonel. Voulez-vous diminuer de moitié la valeur de votre monnaie? augmentez-en du double la quantité circulante; voulez-vous doubler en quelque sorte la considération de vos grades militaires? diminuez-en le nombre de moitié. Pourquoi doubler les grades dans le même corps, dans la même compagnie? Unité en tout, unité. L'unité est indivisible, la division commence à 2. Quand il sera plus difficile d'être officier supérieur, ou officier général, vous aurez de meilleurs officiers supérieurs et de meilleurs officiers généraux. Louis XIV avait laissé ou formé des corps à quatre bataillons. L'armée autrichienne, l'armée prussienne, ont des régiments beaucoup plus forts que les nôtres: pourquoi ce morcellement de l'armée française en petits corps de deux bataillons? moins on a de corps, plus il est aisé d'entretenir entre eux une parfaite uniformité: moins de régiments, moins d'états-majors, moins de places, plus de sujets. Prenez garde que, pour bien gouverner les hommes, il faut beaucoup d'appelés et peu d'élus; ne décourager personne, et ne pas satisfaire tout le monde, tenir l'émulation en haleine, et ne pas rassasier l'ambition, c'est une co

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