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de constitution, le soldat français est véritablement une machine, instrument aveugle et passif de l'autorité la plus tyrannique qui fut jamais; périssant par la guerre, la misère et la faim, pour prolonger l'impunité de quelques assassins, ou our protéger les jouissances de quelques scélérats; et l'on sc trompe peut-être aujourd'hui de fonder l'espoir d'un retour sur des sentiments qu'il n'a plus, comme on se trompait alors de fonder un système de punitions sur l'absence de sentiments qu'il avait encore.

Je reviens aux châtiments militaires. Formez l'homme par l'éducation, maintenez l'homme par la religion, et vous aurez dans tous les Etats de bonnes mœurs, et dans tous les hommes de l'affection à leurs devoirs. On se plaignait beaucoup en France, depuis quelque temps, de l'insuffisance, de l'imperfection des châtiments militaires. On cherchait un remède à un mal incurable quand l'homme est corrompu, les lois ne peuvent pas le corriger : quand le malade est désespéré, les remèdes se changent en poisons. Tous les peuples ont éprouvé, dans leur décadence, l'extrême difficulté, l'impossibilité même d'imaginer des peines militaires qui ne soient ni avilissantes, ni nuisibles, ni puériles et les Romains eux-mêmes, ne sachant plus quel châtiment infliger à leurs soldats, finirent par ordonner comme peine.... la saignée.... (Grandeur des Romains, ch. 11.)

Rien de plus utile que d'occuper le fantassin à des travaux publics, pourvu que le travail soit payé: car s'il fait un service. extraordinaire, l'Etat lui doit un salaire extraordinaire; mais il faut que le travail soit modéré, parce qu'on doit entretenir les forces du soldat, et non les user. Les Romains occupaient leurs soldats, et c'est en employant à la fois un nombre immense de bras, qu'ils ont exécuté ces entreprises qui étonnent notre faiblesse. L'empereur Probus fit planter à ses soldats les vignes de la Bourgogne.

Il y a plusieurs avantages à cette disposition: 1° La société conserve l'homme physique et l'homme moral, en occupant

T. II.

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l'un et distrayant l'autre. 2° La société, qui doit user l'homme jusqu'au bout, peut employer à mille usages utiles le soldat de ligne retiré du service, qu'elle a entretenu dans l'habitude du travail, et lui faire trouver, dans un salaire mérité, des moyens de subsistance pour l'avenir, et une juste récompense de ses services passés. 3° Elle conserve la famille, en conservant le goût du travail dans l'homme qu'elle lui rendra un jour. 4o Elle met en honneur la profession militaire, que le peuple des campagnes n'estime pas, parce qu'il voit que le jeune homme y prend le goût de la licence, et y perd celui des travaux utiles. Il en est de la profession militaire comme des ordres religieux : les plus relâchés étaient toujours les moins nombreux. Un Etat comme la France ne manquera jamais de soldats, lorsque la profession militaire sera, pour la jeunesse, une école de subordination et de travail.

Le mérite du militaire ou du sénateur ne doit pas être le seul honoré. Les travaux importants, les découvertes utiles, l'étude des sciences, la culture des lettres, la pratique éclairée et heureuse des arts utiles à l'humanité, doivent être récompensés ou encouragés. La société doit en récompenser les progrès, en encourager le talent d'une manière digne d'elle. Elle doit accorder des récompenses ou des encouragements pécuniaires, parce qu'il faut que l'homme utile aux autres hommes jouisse des droits de l'homme social, je veux dire de la propriété, lorsque cet avantage ne résulte pas nécessairement de sa découverte ou de son talent: elle doit accorder des récompenses ou encouragements honorifiques, parce qu'il faut que le bienfaiteur de la société soit connu et honoré de la société. Il existait en France un ordre ou décoration particulière pour les artistes célèbres. Il faudrait peut-être qu'il embrassat moins de sujets et plus de genres. Mais surtout que l'administration se garde de multiplier les décorations sans utilité, ou de les prodiguer sans motif. Il en est des décorations comme des monnaies, qui n'ont de valeur que celle que la loi leur donne. Plus vous en émettez dans le public, plus elles décrois

sent dans l'opinion, et jamais elles ne peuvent se relever du décri où les plonge une émission indiscrète.

Les hommes réfléchis voyaient avec une extrême douleur les progrès de cette apathie universelle, de ce dégoût général des professions sociales, qui gagnait en France tous les individus. On voyait des militaires de vingt ans, étrangers même aux illusions de leur âge, déclamer contre leur profession, et annoncer hautement le dessein de la quitter aussitôt qu'ils en auraient obtenu la décoration : on voyait, dans plusieurs Parlements, vaquer les premières charges de magistrature, et des cours inférieures à moitié désertes; chacun était mécontent de sa profession ou de son grade, et n'aspirait qu'après une vie indépendante, après des jouissances qu'il ne voulait pas acheter par des sacrifices. Tout le monde voulait être à soi, et personne à la société. Tout avocat voulait être homme de lettres; tout prêtre voulait un bénéfice simple; tout militaire, tout magistrat voulait être dans ses terres, ou sur ses livres. Chaque profession se croyait un abus. Ce n'était plus à force d'honneur, mais à force d'argent que l'Etat pouvait se faire servir semblable à ces maîtres décriés qui ne peuvent trouver de domestiques qu'en donnant de plus forts gages. Cette disposition générale avait plus d'une cause; mais la plus prochaine, peutêtre, était cette tendance qu'on pouvait remarquer dans les supérieurs de toutes les professions à abaisser leurs inférieurs. La cour voulait abaisser le clergé et la noblesse; le grand Conseil cassait, sous le plus léger prétexte, les arrêts des cours souveraines, qui humiliaient à leur tour les cours inférieures.

Les intendants, et plus encore leurs sous-ordres, traitaient avec hauteur les officiers municipaux, et les administrations provinciales cherchaient à contrarier les intendants: dans le civil, dans le militaire, peut-être jusque dans l'Eglise, on pouvait apercevoir dans les autorités supérieures une disposition. générale à déprimer les autorités qui leur étaient subordonnées.

De cette dépression générale, il devait résulter nécessairement un écrasement général; car si tous les corps tendent à se précipiter, tous descendront infailliblement.

On ne sentait pas que, pour se rehausser, il faut exhausser la base sur laquelle on est placé, et que la considération du supérieur s'accroît de toute celle qu'il accorde lui-même à l'inférieur. Le gouvernement, témoin de cette disposition générale, entraîné par le torrent des opinions modernes, attribuait aux choses l'imperfection qui n'était que dans les hommes ; il voulait tout changer, parce qu'il voyait que tout allait mal; il voulait faire les choses pour les hommes, sans penser que, lorsque les hommes sont corrompus, il faut refaire les hommes, et non pas corrompre les institutions. Mais les institutions en France étaient parfaites, et le gouvernement ne savait que mettre à leur place. Il procédait par des essais: il essayait de mettre des grands bailliages à la place des Parlements, et une cour plénière à la place des Etats généraux. Il essayait dans les provinces des administrations collectives à la place de l'unité d'administration. Il essaya de se servir des notables pour établir des impôts et enfin il essaya de changer la proportion de la représentation des ordres. La France n'était plus qu'un vaste théâtre de politique expérimentale; sa constitution n'était plus que provisoire, et elle-même n'existait que par intérim.

Au milieu de ces essais funestes, les anciennes habitudes se perdaient, et il ne s'en formait pas de nouvelles. L'administration essayait, le peuple voulait essayer aussi : il essaya d'abord de mettre des jugeurs à la place des magistrats, des soldats à la place des nobles, des prêtres à la place des ministres de la religion, des phrases à la place de la constitution. Bientôt après, il essaya de mettre la loi à la place du pouvoir, la police à la place de la religion, la raison à la place de Dieu. Enfin, accablé aujourd'hui de la honte de tant de forfaits et de tant de sottises, rebut de l'Europe, opprobre de l'univers, vil esclave prostitué à l'incontinence politique de ses maîtres, il essaie de se passer de religion, de vertu, d'honneur, de liberté, de pain...

CHAPITRE V.

Age auquel on doit parvenir aux emplois : honoraires des fonctions publiques.

Chez les Romains, on ne parvenait que fort tard aux emplois, et il fallait, je crois, trente-huit ans pour exercer la première fonction publique. Il ne faut pas s'en étonner. Dans une république, l'homme doit être plus formé, parce que les institutions sont plus imparfaites. Dans une société constituée, on peut se servir de l'homme beaucoup plus tôt, parce que les institutions, toujours plus parfaites que les hommes, les forment ou les contiennent. L'âge doit être, en général, proportionné à l'importance des fonctions. Ainsi, sans donner dans l'exagération à cet égard, on peut dire qu'il faut attendre, pour conférer des fonctions importantes, l'âge auquel l'esprit est mûr, le cœur fixé, et l'homme plus maître de ses sens. Il faudrait peut-être, dans les cours souveraines, pour délibérer sur les affaires publiques, un âge plus avancé que pour décider des affaires entre particuliers; parce qu'il est dans la nature des choses, qu'un homme soit instruit sur les affaires particulières qui se présentent tous les jours et qui sont plus particulièrement l'objet de ses études, avant de l'être sur les affaires publiques, sur lesquelles il a plus rarement occasion de délibérer. Effectivement, on trouvait en France, dans les cours souveraines, plus de jurisconsultes que de publicistes. Il faut, pour être administrateur suprême d'une province, un âge plus avancé que pour être membre d'un tribunal, parce qu'il faut plus de prudence à l'homme à mesure qu'il a des fonctions plus étendues, des règles moins fixes, et qu'il est plus directement

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