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héros qui l'avaient délivrée de ceux qui l'infestaient. Les familles proscrites auraient disparu de dessus la terre le silence et le tombeau, seuls confidents de leurs malheurs, les auraient dérobées à la mémoire des hommes; de nouvelles générations se seraient élevées dans l'erreur et la férocité; le temps, qui jette un voile sur les crimes comme sur les vertus, n'aurait laissé percer que l'audace de l'entreprise et l'éclat du succès; et la postérité abusée aurait mis peut-être les bourreaux de tant d'innocentes victimes au rang des bienfaiteurs de l'humanité (1).

CHAPITRE III.

Développement de la société naturelle et de la société religieuse.

La religion du premier homme, ou la religion primitive, s'était conservée dans la société naturelle de quelques familles, qui, dans la pratique de toutes les vertus et l'exercice de la vie pastorale, vivaient indépendantes de toute société politique. C'était la même religion, c'était le même sacrifice. La société naturelle était formée par l'homme et sa propriété : l'homme s'offrait donc lui-même et il offrait sa propriété; c'est-à-dire que, dans la religion d'un Dieu, l'homme moral s'offrait luimême au Dieu de l'intelligence et du cœur, par l'aveu de sa dépendance et la conformité de ses dispositions à la volonté de son créateur, et que, dans la religion de plusieurs dieux,

(1) C'est un des bienfaits de l'art de l'imprimerie qu'à l'avenir on sache à quoi s'en tenir sur les révolutions: si nous avions les mémoires de toutes celles qu'il y a eu dans l'univers, nous verrions dans l'établissement de toutes les démocraties les mêmes motifs, les mémes moyens et quelquefois les mêmes forfaits.

l'homme physique s'offrait lui-même aux dieux des sens, en leur sacrifiant ses propres enfants par la prostitution ou par le

meurtre.

Je reviendrai sans cesse sur cette vérité, parce qu'elle nous conduira à des développements que le lecteur peut déjà pressentir. Il n'y a pas de religion sociale sans sacrifice social. Tout sacrifice social est le don de l'homme, et le don ou l'offrande de la propriété; parce que la société n'est composée que d'hommes et de propriétés, comme l'univers lui-même n'est que l'assemblage des substances spirituelles et matérielles.

La société naturelle se développe un instant, et la religion naturelle se développe avec elle. La société naturelle du plus saint des patriarches devient momentanément une société politique: la religion naturelle devient en même temps et pour le même temps, une religion publique; et dans cet événement, on peut lire l'annonce et l'état futur de la société civile.

La religion du premier homme, après sa chute, était une religion d'espoir et d'attente. Les promesses deviennent plus positives; l'espoir devient plus motivé, c'est-à-dire, que dans cette religion de crainte et d'amour, la crainte, peu à peu, fait place à l'amour. Le Créateur avait annoncé au premier homme, d'une manière enveloppée, que sa postérité triompherait de l'esprit séducteur qui avait été la cause de sa chute; il daigne révéler au plus saint des patriarches, que tous les peuples de la terre seront bénis dans sa postérité.

J'ai dit que la famille dont Abraham était le chef, était devenue une véritable société politique.

1° Elle passe de l'état errant d'une société naturelle à l'état stable et fixe d'une société politique. Abraham, pour prévenir les contestations qui s'élevaient entre ses pasteurs et ceux de son frère, lui propose de se séparer et de se fixer chacun dans un territoire déterminé. Il demeura, dit l'Ecriture, dans la terre de Chanaan.

2o Il fait alliance avec ses voisins. « Trois chefs Amorrhéens » avaient fait alliance avec Abraham. »

3° Il fait la guerre pour un sujet légitime; car ayant appris que son frère avait été attaqué et fait prisonnier, il choisit les plus braves de ses serviteurs, il ferma deux corps de ses gens et de ses alliés, et venant fondre sur les rois ennemis, il les défit. Ainsi je vois dans cette société : 1° établissement stable dans un territoire déterminé; 2° droit de paix et de guerre; 3o pouvoir général qui dirige la force publique; 4° distinctions sociales ou profession consacrée à la défense de la société, puisqu'Abraham choisit et distingue ceux qui défendent, de ceux qui doivent être défendus. J'y vois donc tous les caractères d'une véritable société politique. Et qu'on ne dise pas qu'Abraham, vivant en société naturelle, ne faisait qu'user du droit naturel de repousser l'agression; puisqu'il ne prend pas les armes pour se défendre lui-même, mais pour défendre son frère séparé de lui; encore moins pour s'enrichir, puisqu'il jure qu'il ne prendra pas un fil de tout ce qui a appartenu aux ennemis.

Mais, et ce fait est digne d'une sérieuse considération, dès que la société politique se constitue, j'aperçois la société religieuse constituée ou la religion publique, et le sacerdoce paraît distingué de la royauté. Lorsqu'Abraham exerce dans une guerre légitime les fonctions de pouvoir de la société politique, Melchisedech, roi de Salem, ou suivant la force du mot hébreu, pouvoir de justice et de paix, offrant le pain et le vin, parce qu'il était prêtre du Très-Haut, bénit Abraham revenant de la poursuite des rois vaincus, et Abraham lui donne la dime du butin qu'il avait fait : c'est-à-dire que la religion, qui est justice et paix, consacre l'action du pouvoir politique qui s'exerce par la force dans une guerre légitime, et que le pouvoir politique assure, par le don de la propriété, l'indépendance, c'est-à-dire, la perpétuité du culte public.

La société politique ou la société de force et de guerre, la société religieuse ou la société de justice et de paix, s'unissent un instant et forment la société civile mais les temps n'étaient pas venus où la véritable royauté devait s'unir au véritable

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sacerdoce, pour former la véritable société civile: le voile qui la tient cachée s'entr'ouvre un instant, et se referme aussitôt. Melchisedech ou le pontife du Très-Haut se montre une fois et disparaît pour toujours. Il n'est plus parlé de lui dans le livre de l'ancienne alliance ou de l'ancienne société; mais dans celui de la nouvelle, il est dit que ce pontife qui offrait le sacrifice de la propriété, le pain et le vin, ce pontife, sans père ni mère, sans généalogie, dont les jours n'avaient pas de commencement et dont la vie n'a point de fin, est en cela parfaitement semblable au pontife de la nouvelle alliance, c'est-àdire, au fondateur de la nouvelle société. Une opinion respectable veut que ce soit lui-même, en sorte que le même pontife qui annonce dès-lors au Père des croyants l'union future de la société politique et de la société religieuse, serait le même que celui qui, dans la suite des temps, a consommé cette alliance.

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Le caractère essentiel de la société religieuse constituée, le don de l'homme, se retrouve encore dans la société dont Abraham est le chef. Le Seigneur lui commande de lui immoler son fils unique, le seul espoir de sa vieillesse, et l'objet des promesses faites à sa postérité. Le patriarche obéit mais le Seigneur se contente des dispositions du cœur, c'est-à-dire, du don de l'homme moral, seule manière de faire le don de l'homme dans la société naturelle, qui fût agréable à l'Etre suprême. Il fait alliance avec Abraham, et il jette ainsi les fondements de la société civile, ou de l'accord futur de la véritable religion et du véritable gouvernement.

Ce ne sont point là des interprétations mystiques, fruit d'une imagination exaltée, ou des allégories pieuses fondées sur des rapprochements ingénieux. C'est le propre texte des livres saints; et l'existence de César ou d'Alexandre est bien moins constatée que l'existence d'Abraham, que les monuments les moins suspects, que des preuves vivantes rendent contemporaine de tous les âges.

1° Dieu fait alliance avec Abraham, et le sceau de cette

61 THEORIE DU POUVOIR POLIT. ET RELIG. LIV. II.

alliance n'est pas encore brisé. Pour séparer la famille d'Abraham, qu'il destinait à former son peuple, des familles et des peuples des autres dieux, il lui impose et à tous ses descendants la douloureuse et humiliante pratique de la circoncision; et les descendants d'Abraham, partout errants, partout dispersés, l'observent encore avec une religieuse fidélité.

2o Dieu annonce à Abraham qu'il sera le père d'un grand peuple, qui égalera en nombre les étoiles du ciel et les sables de la mer; et sans parler de la postérité spirituelle de ce patriarche ou des chrétiens, sa postérité naturelle, répandue en Orient par les Arabes, et dans l'univers entier par les Juifs, s'accroît sous nos yeux dans une progression incalculable.

3o L'ange du Seigneur, en promettant à Agar que la postérité d'ismaël, qu'elle avait eu d'Abraham, se multiplierait prodigieusement, trace d'une manière sublime le caractère inquiet, agresseur et turbulent de l'Arabe descendu d'Ismaël. « Ce sera » un homme fier et sauvage; il lèvera la main contre tous, et » tous lèveront la main contre lui, et il dressera ses pavillons à >> l'opposite de tous ses frères. » Les Arabes comme les Juifs se reconnaissent pour issus d'Abraham, et la mémoire de ce patriarche est en grande vénération dans tout l'Orient.

4o Dieu promet à Abraham que toutes les nations de la terre seront bénies en lui; et c'est d'Abraham qu'est issu celui qui a répandu sa bénédiction sur toutes les nations, en les appelant toutes à jouir du bienfait de la société civile par l'accord de la religion de l'unité de Dieu avec le gouvernement de l'unité de pouvoir gouvernement qui conserve l'homme physique intelligent dans sa liberté, par l'amour et la crainte du pouvoir général de la société politique, qui est le monarque; comme la religion conserve l'homme intelligent physique dans sa perfection ou sa liberté, par l'amour et la crainte du pouvoir général de la société religieuse, qui est Dieu.

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