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Dieu: il devait donc être châtié quand, égaré par les sens, il perdait lui-même de vue cette vérité fondamentale qu'il était chargé de transmettre à l'univers. Il devait survivre au châtiment, pour pouvoir conserver aux autres nations le dépôt qu'il n'avait que pour elles; il devait subsister aussi longtemps que l'univers, et subsister sans se confondre avec aucun peuple, afin que la vue du dépositaire rappelât sans cesse le dépôt. Or, ce sont des faits incontestables, et dont nous sommes les témoins, que les effroyables revers du peuple juif, son isolement total des autres peuples, et son indestructible existence.

Les ténèbres les plus épaisses couvraient le reste de la terre; et, si l'on peut conjecturer de l'histoire de Job, qu'au milieu des nations idolâtres quelques familles avaient conservé, par tradition, la connaissance du vrai Dieu, le témoignage de toutes les histoires atteste qu'elle ne s'était maintenue dans aucune autre société que dans celle des Juifs.

Il faut cependant distinguer l'idolâtrie du paganisme. L'idolâtrie, religion des sens, maintenait le sentiment de la Divinité, lors même qu'elle en défigurait l'idée. Le paganisme, religion de l'imagination, la laissa, pour ainsi dire, évaporer. Chez les peuples idolâtres, l'amour profane ou la haine, sentiments profonds et naturels, avaient fait leurs dieux, si j'ose le dire, avec le Dieu véritable; chez les Grecs, peuple frivole et sans caractère, la reconnaissance, l'admiration, sentiments superficiels et factices, firent des dieux avec des hommes. Ils en firent de divers ordres; ils en firent de grands et de petits; ils les firent naître, ils les firent mourir; ils racontèrent leurs aventures; ils leur donnèrent les vertus de l'homme et surtout ses passions: la religion ne fut plus sentiment; elle devint opinion, philosophie, poésie, chansons. L'athéisme s'introduisit à Athènes ; et si l'idolâtrie y conserva des temples, ce fut pour offrir à ses dieux le sacrifice ordinaire de la prostitution, ou le sacrifice plus rare du meurtre. Je reviens aux Juifs.

Ce peuple, longtemps heureux après sa captivité, protégé par les rois de Perse, respecté par Alexandre, considéré par ses

86 THÉORIE DU POUVOIR POLIT. ET RELIG. LIV. III.

successeurs, voit sa religion attaquée par les rois de Syrie. Antiochus veut les forcer d'adorer les dieux des Grecs, et fait placer la statue de Jupiter Olympien dans le temple du Dieu jaloux. Gardiens du dépôt sacré de l'unité de Dieu, usufruitiers de cette succession, à laquelle, si j'ose le dire, l'univers était substitué, les Juifs puisent, dans ce sentiment, un courage invincible, et sous la conduite des Machabées, ils ont des succès prodigieux. Jamais ils n'avaient mieux défendu ce trésor, qu'à la veille de s'en dessaisir. Pour mieux le défendre, ils renoncent au gouvernement républicain dont la turbulence divise leurs forces et favorise l'intervention dangereuse de l'étranger au moment de se dissoudre, cette société se reconstitue; elle fait plus, elle réunit, en quelque sorte, le gouvernement théocratique, qu'elle avait eu à sa naissance, au gouvernement monarchique qui lui avait succédé; et ses pontifes deviennent ses rois. «Mais l'acte, dit Bossuet, par lequel le peuple de Dieu » transporte à Simon (Machabée) toute la puissance publique, >> et lui accorde les droits royaux, est remarquable. Le décret >> porte qu'il en jouira, lui et toute sa postérité, jusqu'à ce qu'il » vienne un fidèle et véritable prophète. »

Le lecteur n'a pas besoin que je lui explique ces dernières paroles il sait que le peuple juif en société naturelle comme en société politique, sous ses juges comme sous les rois, dans sa prospérité comme dans ses revers, exilé sur les bords de l'Euphrate comme possesseur paisible des rives du Jourdain, aux premiers jours de son enfance comme dans les derniers temps de son existence politique, attendait un grand prophète, un Messie, un libérateur, enfant, comme lui, d'Abraham; et la preuve qu'il l'a toujours attendu est qu'il l'attend encore.

Je ne parle point des divisions qui troublèrent le règne des derniers Asmonéens; je n'écris pas l'histoire des Juifs ; il me suffit que ce peuple ait conservé sur la terre la foi de l'unité de Dieu, et je me hâte d'arriver aux temps d'Auguste.

RELIGION CHRÉTIENNE OU CONSTITUÉE,

CHAPITRE PREMIER.

Lois de la société religieuse constituée, (1)

Ce fut une grande révolution, que celle qui s'opéra dans l'univers à l'avénement d'Auguste à l'empire romain. Jusqu'à lui, l'univers policé, gouverné despotiquement par Rome république, était soumis à une foule de maîtres et adorait une multitude de dieux, c'est-à-dire, obéissait à une multitude de pouvoirs dans la société politique, et à une multitude d'opinions dans la société religieuse. Mais l'unité de pouvoir s'élève dans l'univers, et aussitôt l'unité de Dieu se manifeste à tous les peuples.

La religion judaïque n'était que la religion naturelle développée au point qu'il convenait aux besoins d'une société particulière, au caractère d'un certain peuple, à l'objet que le législateur se proposait pour un temps donné. La religion chrétienne est la religion judaïque développée, perfectionnée, accomplie au point qui convient à toutes les sociétés, à tous les peuples, à tous les temps.

La religion judaïque était une religion de crainte mêlée d'amour, mais d'un amour qui désire; la religion chrétienne est une religion d'amour mêlé de crainte, mais de l'amour qui jouit. Or la religion qui doit être sentiment de l'Etre suprême, ou amour mêlé de crainte; la religion judaïque était donc dans

(1) Il est nécessaire, pour l'intelligence de ce chapitre, de relire les premiers chapitres de la première partie.

un temps la véritable religion, et la religion chrétienne est aujourd'hui la véritable religion : mais, comme l'amour qui désire n'est pas réellement l'amour, parce que l'amour veut jouir et non attendre, il s'ensuit que la religion chrétienne est autant au-dessus de la religion judaïque, que l'amour qui jouit est audessus de l'amour qui désire. La religion chrétienne est donc la société religieuse constituée.

« La société est une réunion d'êtres semblables, réunion dont » la fin est leur conservation mutuelle. » Cette définition convient à la société religieuse comme à la société politique : donc ces sociétés sont semblables.

Si les sociétés religieuses et physiques sont semblables, il existera des rapports ou lois semblables entre les êtres qui les composent; car il peut exister des rapports semblables entre des êtres différents. Donc ces sociétés ont une constitution semblable, puisque la constitution est l'ensemble des rapports ou lois qui existent dans la société entre les êtres qui la compo

sent.

f Nous avons déterminé les caractères de la société politique constituée; nous devons donc les retrouver tous dans la société religieuse constituée.

1° Leur fin est semblable: car la fin de la société politique est la conservation, c'est-à-dire, la liberté de l'homme physique; et la fin de la société religieuse est la conservation, c'est-à-dire, la perfection de l'homme intelligent, qui n'est autre chose que sa liberté. Cette vérité sera démontrée en son lieu.

2o Les moyens sont semblables: car la société politique parvient à sa fin, c'est-à-dire, à la conservation des êtres qui la composent, par un amour général qui est le monarque, principe de conservation des êtres sociaux, et pouvoir conservateur lorsqu'il agit par une force générale conservatrice qui est la noblesse; et la société religieuse parvient à sa fin par un amour général que nous verrons tout à l'heure être Dieu même, principe de conservation des êtres, et pouvoir conservateur

lorsqu'il agit par une force générale conservatrice, qui est le sacerdoce car une société qui n'aurait pas les moyens, c'està-dire, le pouvoir de parvenir à sa fin, n'y parviendrait pas.

La société civile, réunion de la société religieuse et de la société politique, a donc deux pouvoirs conservateurs, Dieu et le monarque; deux forces conservatrices, le sacerdoce et la noblesse mais elle n'a qu'une volonté générale conservatrice, parce que des volontés égales sur le même objet ne font qu'une même volonté. En effet, Dieu est la volonté générale conservatrice de la société intérieure des intelligences, dont il fait partie.

Dans la société politique, être général et collectif, la volonté générale est cette volonté ou cette tendance qu'a tout être de parvenir à la fin pour laquelle il a été créé ; volonté ou tendance qui, jointe aux moyens de parvenir à la fin, constitue la nature de cet être.

Mais cette volonté et ces moyens, qui constituent la nature d'un être, lui ont été donnés par le Créateur, qui a créé les êtres pour une fin, et par conséquent avec la volonté et les moyens d'y parvenir. Donc la volonté générale de la société a été donnée à la société par Dieu même : cette volonté est donc la volonté de Dieu. Donc la volonté générale conservatrice de la société religieuse constituée, et celle de la volonté politique constituée, ne font qu'une volonté générale qui est la volonté de Dieu. Ce sont les effets de cette volonté générale conservatrice que les hommes qui croient à l'existence de Dieu, appellent Providence.

Si la volonté générale conservatrice de la société civile est Dieu même, pourquoi, dira-t-on, y a-t-il des sociétés qui se détruisent ou qui ne parviennent pas à leur fin? La société parvient nécessairement à sa fin, et la société ne se détruit pas, parce que, si l'homme nous paraît retarder, par le déréglement de ses volontés particulières, les progrès de la société et l'accomplissement de la volonté qu'elle a de parvenir à sa fin, cette volonté n'en a pas moins un effet infaillible, nécessaire,

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