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DU POUVOIR

POLITIQUE ET RELIGIEUX.

SECONDE PARTIE.

LIVRE PREMIER.

INTRODUCTION.

J'ai défini la société civile, la réunion de la société politique et de la société religieuse; j'ai traité de la société politique, et je vais traiter de la société religieuse.

Si la société civile est la société religieuse et la société politique ensemble, je n'ai pu considérer la société politique, dans l'état civil, que dans ses rapports avec la société religieuse, ainsi je ne pourrai considérer la société religieuse, dans l'état civil, que dans ses rapports avec la société politique.

C'est parce qu'elles ne peuvent être séparées, que les révolutions de la société religieuse ont produit les républiques, et que les révolutions de la société politique ont produit les sectes.

J'ose donc fixer l'attention de mes lecteurs sur la société religieuse, ou la religion; j'ose essayer de démontrer qu'il existe, pour la société religieuse, une et une seule constitution

nécessaire ou naturelle, comme il existe une et une seule constitution naturelle ou nécessaire de société politique; c'est-àdire, qu'il n'existe qu'une religion qui puisse conserver, sur la terre, la connaissance de Dieu et la perfection de l'homme intelligent, comme il n'y a qu'un gouvernement qui puisse conserver le pouvoir de la société politique et la liberté de l'homme physique.

Je le répète encore, parce que cette grande vérité, qui fait le sujet de cet ouvrage, doit être l'objet des méditations les plus sérieuses de tous les hommes éclairés et vertueux.

Si je n'ai pas démontré cette vérité, d'autres la démontreront, parce qu'elle est mûrie par le temps et les événements (1), parce que son développement est nécessaire à la conservation de la société civile, et que l'agitation qu'on peut remarquer dans la société générale n'est autre chose que les efforts qu'elle fait pour enfanter cette vérité.

Dans la discussion à laquelle je vais me livrer, j'ose braver à la fois et la timidité de l'homme plus vertueux qu'éclairé, qui craint de voir sa religion soumise à l'examen de la raison; et les superbes dédains du philosophe moderne, qui se vante que le flambeau de la raison a dissipé les prestiges de la religion.

Chrétiens, il est temps de justifier notre foi; philosophes, il est temps de justifier votre incrédulité. Le grand procès de la religion et de la philosophie n'a que trop duré; sachons enfin si elle est l'ouvrage de l'homme, si elle doit sa naissance à l'imposture, ses progrès à la crédulité, son empire à l'habitude', cette religion qui ne détruit pas les passions indestructibles de l'homme dépravée mais qui a fait cesser tous les crimes de l'homme social, et les affreux sacritices du sang humain, et le culte infâme de la prostitution, et les jeux barbares du cirque,

(1) Ma pensée n'est pas qu'on n'ait pas démontré jusqu'à présent qu'il n'y a qu'une véritable religion; cette vérité est depuis longtemps à l'abri de toute atteinte; mais je veux dire seulement qu'on n'a pas fait sentir assez l'accord intime et secret des principes des deux sociétés religieuse et politique.

et le trafic imposteur des oracles, et l'oppression de la faiblesse de l'âge par l'exposition publique, et l'oppression de la faiblesse du sexe par le divorce ou la polygamie, et l'oppression de la faiblesse de la condition par l'esclavage, et le plus monstrueux de tous les crimes, l'apothéose de l'homme; cette religion, « à laquelle >> nous devons et dans le gouvernement un certain droit poli» tique, et dans la guerre un certain droit des gens que la na>>ture humaine ne saurait assez reconnaître. » (Esprit des lois.) Sachons si elle n'est qu'une faiblesse du cœur, cette religion. qui a produit dans la société des vertus si courageuses; si elle n'est qu'une illusion de l'esprit, cette religion qui résiste, depuis dix-huit siècles, à la persécution du glaive et à la persé¬ cution du raisonnement; à la persécution de la pauvreté et de l'abaissement, et à la persécution des richesses et de l'empire; à la persécution du scandale dans ses ministres, et à la persécution de l'ignorance dans ses enfants; à la persécution du ridicule de la part de ses ennemis, et à la persécution plus dangereuse de l'indifférence de la part de ses disciples; cette religion qui sourdement combattue, pendant un siècle, par toutes les ressources du génie, attaquée à force ouverte par tous les moyens de l'autorité, renaît de toutes parts, comme ces feux mal étouffés dont l'activité concentrée se manifeste par des jets de flammes, avant-coureurs d'une éruption générale ; ou comme ces plantes vivaces qui abandonnent leurs feuilles à la dent d'un animal vorace, mais dont les racines trouvent un asile inviolable dans les flancs impénétrables du rocher.

Il est temps de décider si ceux qui ont tout sacrifié pour cette religion, qui la croient et qui la pratiquent, ou ceux qui, moins conséquents et plus faibles, la croient sans la pratiquer, sont des esprits crédules, ou si les philosophes qui veulent la détruire sont les bienfaiteurs de l'humanité. Faut-il opposer les talents? J'opposerai Arnauld à Bayle, Pascal à J.-J. Rousseau, Malebranche à Boulanger, Nicole à Helvétius, Fénelon à Diderot, Bossuet à Voltaire? Faut-il comparer les vertus? Ah! nous n'en sommes pas encore réduits à cet humiliant parallèle.

Objet de mépris ou de haine, nous endurons, depuis un siècle, les sarcasmes de la philosophie écrivante; nous essuyons, depuis six ans, les fureurs de la philosophie revêtue de l'autorité; un plus long silence trahirait la cause de la vérité.

... Dans son sein rejetons cette guerre,

Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
(RACINE. Mithrid.)

D'autres ont défendu la religion de l'homme; je défends la religion de la société : ils ont prouvé la religion par la religion même ; je veux la prouver par l'histoire. Je laisse l'écrivain pusillanime trembler au seul reproche de crédulité ou d'intolérance le temps des petites craintes et des ménagements politiques est passé; que l'univers prononce entre nous, et que l'homme impartial juge enfin de quel côté est l'amour de la vérité, et de quel côté est le fanatisme de l'erreur.

Si dans cette discussion importante, et la plus importante de toutes celles qui peuvent occuper l'homme en société, il est quelqu'un de mes lecteurs qui n'ait pas la force d'imposer silence aux préjugés de sa naissance, aux opinions de son parti, aux sophismes de ses passions; qu'il ferme ce livre, il a assez lu.

Je n'écris ni pour ni contre quelques hommes et quelques partis; j'écris pour tous les hommes et pour toutes les sociétés.

Je ne me dissimule pas la difficulté de faire revenir les esprits à des idées dont ils paraissent si éloignés; mais je me rassure en pensant que l'esprit humain, parvenu au terme extrême de l'absurdité et de l'erreur, n'en est que plus près, dans le cercle qu'il parcourt, de la raison et de la vérité; et je ne désespère pas de persuader quelques lecteurs, lorsque je réfléchis que des écrivains qui du développement d'un atome ont fait Dieu, et du développement d'un poisson ont fait l'homme, qui ont rêvé que le globe pouvait être de verre fondu, et les

montagnes de coquilles d'huîtres, ont eu leurs admirateurs, et peut-être ont fait quelques prosélytes (1).

Je prie le lecteur de relire avec attention les premiers chapitres de la première partie de cet ouvrage sur les principes des sociétés en général : je suivrai dans leur application à la société religieuse la méthode didactique et rigoureuse que j'ai adoptée. Des vérités d'un aussi grand intérêt que celles que je vais développer, peuvent se passer de ces ornements que l'art trop souvent prodigue au mensonge. Je ne veux pas de cette admiration stérile qui accorde aux talents de l'auteur ce qu'elle refuse à la solidité de l'ouvrage; je renonce à éblouir celui que je ne pourrais pas convaincre, et si je puis être utile, je me croirai assez éloquent.

Je vais encore ramener mon lecteur dans les sentiers déserts de la métaphysique; mais j'espère le dédommager de l'ennui de la marche, par l'application qu'il pourra faire à chaque pas, pour ainsi dire, de la théorie que je vais mettre sous ses yeux, et par la satisfaction qu'il éprouvera, en retrouvant les motifs de ses sentiments les plus chers, et le fondement des vérités les plus précieuses. Ainsi l'on contemple avec intérêt les détails et le jeu de ces machines ingénieuses dont on a longtemps admiré les effets.

(1) Voyez dans les Lettres Helviennes, de l'abbé Barruel, les absurdités vraiment incroyables que la philosophie a amoncelées pour expliquer Dieu, l'Homme et l'Univers.

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