LEÇON XXXIII.

DES REVENANTS ET DES VAMPIRES.

D. Les morts peuvent-ils revenir de l'autre monde et apparaître aux hommes? R. Il n'y a rien en cela qui surpasse la toute

puissance de Dieu.

EXPLICATION. — Les âmes, après le jugement particulier, vont en paradis, en enfer ou en purgatoire; ne peuvent-elles pas quelquefois en sortir, par la permission de Dieu, au moins pour quelques instants, et revenir sur la terre afin d'y donner des avertissements aux vivants? En d'autres termes, y a-t-il, peut-il y avoir des revenants?

Il est certain que la croyance aux revenants, cette croyance si généralement répandue, remonte à la plus haute antiquité. Tous les peuples, les plus sauvages comme les plus civilisés, sont ou ont été dans l'opinion que les âmes peuvent, après la mort, revenir sur la terre, prendre une forme terrestre ou aérienne, faire du bruit, pousser des gémissements, parler, demander quelque chose. Il n'y a rien en cela qui répugne à la saine raison, rien qui surpasse la toute-puissance divine. « Dieu peut certainement, dit Bergier, lorsqu'une âme humaine s'est séparée de son corps, la faire reparaître, lui rendre le même corps qu'elle avait, ou un autre, et la remettre en état de faire les mêmes fonctions qu'elle faisait avant la mort. Ce moyen d'instruire les hommes et de les rendre dociles est un des plus frappants que Dieu puisse employer. » (1) Il est donc absolument possible qu'il y ait des morts qui reviennent sur la terre. (2)

(1) Bergier, Dict. de théologie, au mot Apparitions.

(2) Possibiles sunt igitur reditus mortuorum, gallice revenants. (Mgr Bouvier, Tract. de Decal.)

D. Mais y en a-t-il eu dans la réalité? des revenants, et il peut y en avoir encore.

R. Oui, il y a eu

EXPLICATION. Cette question nous paraît résolue par l'Ecriture sainte. Nous y lisons, en effet, que Moïse apparut avec Elie, sur le mont Thabor, lors de la transfiguration de Jésus-Christ; (1) que Jérémie apparut à Judas Machabée, accompagné du saint pontife Onias, et lui donna un glaive d'or, en lui disant : « Recevez « cette épée comme un présent que Dieu vous envoie, et << soyez sûr que vous exterminerez les ennemis du peuple « d'Israël; » et qu'en même temps Onias lui dit, en lui montrant Jérémie : « Voilà celui qui aime ses frères et « tout le peuple d'Israël, et qui fait des prières conti<< nuelles à Dieu pour le peuple et la sainte cité. » (2) Nous y lisons encore que le prophète Samuel apparut, après sa mort, à la pythonisse d'Endor; qu'il prophétisa et prédit à Saül les malheurs qui bientôt allaient fondre sur lui. (3) Saint Thomas enseigne positivement que Samuel apparut en personne. (4) Saint Augustin, après avoir été d'une opinion contraire, s'exprime ainsi dans ses Questions à Simplicius: « Ce n'est point une « absurdité de croire que Dieu permit au prophète de « paraître devant le roi pour lui inspirer une frayeur << salutaire. » (5) Le même saint docteur, dans sa lettre à l'évêque Evode, parle d'un jeune homme qui, après sa mort, apparut à plusieurs personnes; par où, ajoute-t-il, Dieu permit que l'on fût confirmé dans l'idée qu'on avait de sa sainteté. (6) Eusèbe, saint Paulin, Origène, Sulpice-Sévère, Théodoret, saint Grégoire le Grand, etc., (1) Matth., xvii, 3.

(2) II, Mach., xv, 14.

(3) Reg., cap. XXVIII, 11 et seq.

(4) Summa D. Thomæ, part. 1, quæst. 8o.

(5) S. Aug., Quæst. ad Simplic.

Samuel, Rocca, t. 1, p. 115, 116.

(6) S. Aug., Epist., CLIX.

Voir sur l'apparition de

rapportent aussi dans leurs ouvrages plusieurs histoires de revenants. Il est parlé, dans la vie de saint Bruno, d'un docteur de Paris qui apparut trois jours après sa mort, et fit connaître qu'il avait été accusé, jugé et condamné aux plus horribles tortu res, au sujet desquelles il entra dans un long détail qui fit frissonner d'horreur tous ceux qui l'entendirent. (1) Il y a donc eu réellement, et il peut, par conséquent, y avoir encore des

revenants.

D. S'ensuit-il qu'il faille ajouter foi à toutes les histoires de revenants qui se débitent dans le monde ? R. Non, parce que presque toutes ces histoires manquent de vraisemblance et ne sauraient soutenir l'examen de la saine raison.

EXPLICATION.

Quoiqu'il puisse y avoir et qu'il y ait eu réellement des revenants, il ne faut pas en conclure qu'on doive ajouter foi à toutes ces histoires de spectres et de revenants que l'on raconte au coin du feu, dans les veillées de village. Sur mille histoires de ce genre, à peine en est-il une qui ait quelque vraisemblance, et les apparitions mêmes qui semblent les plus évidentes peuvent presque toujours s'expliquer d'une manière naturelle.

Et d'abord, combien d'histoires de prétendus revenants qui ne sont que le produit de la déception, de l'adresse et de l'artifice? Ici, c'est un jeune homme qui, pour entretenir plus facilement de criminelles intrigues, se déguise en fantôme; là, c'est un domestique infidèle qui emploie la même ruse pour boire plus facilement le vin de son maître; quelquefois, c'est un locataire qui pour décrier la maison qu'il habite et détourner ceux qui voudraient y venir demeurer à sa place, met tout en œuvre pour faire croire qu'il y revient; quelquefois,

(1) On trouve dans Bellarmin, qui cite ce dernier fait, une dissertation très-intéressante sur le sujet que nous traitons; elle a pour titre Num ex receptaculis suis animæ defunctorum egredi valeant? (Controv., t. I, p. 1440. )

c'est un fermier qui prend toutes les mesures possibles pour être seul en possession de faire valoir une terre qui lui convient, etc.

Il y a aussi un grand nombre d'apparitions qui ne sont que les effets de la peur ou d'une imagination exaltée : on a vu à tel carrefour, au pied de telle croix, quelque chose de blanc, quelque chose qui a disparu aussitôt, et c'était bien certainement un revenant, puisque des cris plaintifs se sont fait entendre;... et ce prétendu revenant n'était autre chose qu'un animal effrayé.....

Enfin, les apparitions de fantômes et de revenants ont aussi souvent pour cause une conscience criminelle et bourrelée de remords. On a fait à un père mourant des promesses qu'on n'exécute pas; on manque à sa mémoire ; on a eu des torts graves envers telle personne qui est peut-être tourmentée dans l'autre vie pour des fautes qu'on lui a fait commettre; on s'est rendu coupable d'un grand crime la conscience parle, elle fait entendre sa voix; on tremble, on frémit, l'imagination s'échauffe, et, au milieu des ténèbres de la nuit, on croit voir devant soi un spectre ensanglanté qui éclate en reproches, et l'on croit entendre un père, une mère qui demandent des prières et somment d'accomplir ce qu'on leur a promis.

:

Ce que nous venons de dire donne la clef de bien des histoires de revenants. Mais, nous le répétons, les revenants sont possibles, puisque Dieu est tout-puissant et que l'âme est immortelle. Il faut donc, sur ce point, tenir un juste milieu entre une incrédulité absolue et une trop grande crédulité. « Presque toutes les histoires de revenants, dirons-nous avec un auteur, (1) fourmillent de puérilités : tantôt c'est une oreille tirée ou un encrier renversé; tantôt une chandelle soufflée ou des lunettes ôtées du nez d'un vieillard; tantôt un vase mis en pièces ou des chaises déplacées et dispersées; tantôt des rideaux agités ou des vitres brisées, etc. Or, ne serait-il pas (1) Salgues, Des erreurs et des préjugés, t. 1.

indigne de la sagesse de Dieu de permettre à une âme de sortir du paradis, du purgatoire ou de l'enfer, pour venir sur la terre faire des espiègleries dignes tout au plus d'un écolier ou d'un laquais? »

D. Qu'est-ce que les vampires? R. Les vampires, si l'on en croit certains auteurs trop crédules, sont des morts qui sortent de leurs tombeaux en corps et en âme pour aller sucer le sang des vivants.

EXPLICATION. Le mot vampire signifie, en esclavon, la même chose que sangsue. On entend par vampires des hommes morts depuis un temps plus ou moins considérable, qui, sortant de leurs tombeaux en corps et en âme, viennent sucer le sang des vivants et finissent par leur donner la mort. La croyance aux vampires a été généralement répandue, pendant plusieurs siècles, en Hongrie, en Bohême, en Autriche, en Grèce et dans tout l'Orient. Mille contes plus ou moins merveilleux ont été débités sur ce sujet. Malgré l'apparente évidence de certains faits, personne aujourd'hui ne croit aux vampires. « Tout ce qu'on dit de leur retour à la vie, de leurs apparitions, du trouble qu'ils causent dans les villes et dans les campagnes, de la mort qu'ils donnent aux personnes en leur suçant le sang, tout cela n'est qu'illusion et qu'une suite de l'imagination frappée et fortement prévenue. L'on ne peut citer aucun témoin sensé, sérieux, non prévenu, qui puisse témoigner avoir vu, touché, interrogé, senti, examiné de sang-froid ces revenants; qui puisse assurer la réalité de leur retour et des effets qu'on leur attribue. » (1)

TRAITS HISTORIQUES.

LE REVENANT D'ARDIVILLIERS.

Aux environs de Breteuil, en Picardie, se trouve la terre d'Ardivilliers. Il y revenait des esprits, et ces maîtres latins y faisaient

(1) D. Calmet, Traité des apparitions des esprits, etc., t. 1.