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l'époque de 1682, l'évêque de Meaux déchoît de ce point d'élévation où l'avaient placé tant de merveilleux travaux. Il aurait dù mourir après le Sermon sur l'unité de l'Église, comme Scipion l'Africain après la bataille de Zama. » << Ces paroles

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de Joseph de Maistre, dans son livre ou plutôt dans son pamphlet De l'Église gallicane, traduisent exactement, aujourd'hui même encore, l'opinion de la cour de Rome sur le rôle de Bossuet dans l'Assemblée de 1682 (M. Brunetière n'écrirait plus cela après la magnifique Lettre de Léon XIII au cardinal Perraud (1) à propos du monument de Bossuet à Meaux, lettre où il y a un si bel éloge du grand évêque et « des facultés dont il avait été doué, de son lumineux génie, de sa grande âme, des trésors de sa doctrine, et en particulier de la puissance oratoire de son éloquence empreinte de tant d'autorité et de majesté »). Là est sa faute ou même son crime inexpiable (non pas pour notre grand Pape, qu'admire M. Brunetière, mais pour les de Maistre, les Réaume, les Davin, etc.); et plutôt que de l'avoir commis, on consentirait, en vérité, Joseph de Maistre vient de le dire qu'il n'eût écrit ni l'Histoire des Variations, ni l'Instruction sur les États d'oraison, ni la Défense de la Tradition et des saints Pères. (M. Brunètière aurait pu et dû ajouter le Traité de la concupiscence et les Élévations sur les Mystères, les Méditations sur l'Évangile, au-dessus desquelles il n'y a rien dans notre langue.) Pense-t-on qu'un autre eût pu les écrire? ou qu'il importait moins de confondre le Quiétisme que de soumettre les droits de la couronne de France aux prétentions du Saint-Siège (2)? Toujours est-il que, d'avoir été gallican, cela suffit pour effacer la mémoire de tant de services rendus, et fâché, que l'on est, dans une question qui touchait l'indépendance des peuples autant que celle des couronnes, de n'avoir pas pour soi ce grand chrétien, il n'est d'efforts que l'on n'ait faits jusqu'à trouver contre lui des << Notes » de police pour affaiblir l'autorité de son opinion. (Cf. Charles Gérin, Recherches historiques sur l'Assemblée du clergé de France de 1682; Paris, 1876, 2e édit.) »

(1) Elle est du 4 décembre 1898.

(2) C'est la couronne de France qui avait des « prétentions » et le SaintSiège des « droits ».

en

Pourquoi faut-il que M. Brunetière, après avoir reconnu avec Hallam que l'Histoire des Variations « était la plus formidable machine qu'on eût jamais dirigée contre le protestantisme >> (1), en vienne à dire que la thèse de Bossuet, « si forte alors, est aujourd'hui si faible »? Jurieu « s'efforçait de prouver, ajoute-t-il, que, loin d'avoir eu d'abord toute sa perfection, la doctrine catholique, pendant les trois premiers siècles, avait étrangement varié. Nous n'avons pas de peine aujourd'hui à l'en croire; et ce qu'il ne faisait encore que soupçonner, nous le savons. » Heureusement, M. Brunetière se corrige lui-même dans une note: « Le savons-nous d'une manière si certaine? dit-il. C'est de quoi je n'oserais aujourd'hui répondre, et je crains de m'être jadis un peu avancé en le disant. » — Oui, certes, un peu et beaucoup. Bossuet a prouvé, dans ses Avertissements aux Protestants, 1689-1691, et dans la Défense de la tradition et des saints Pères core un de ses chefs-d'œuvre les moins connus, les plus dignes de l'être, à cause « des envolées superbes de l'auteur vers les régions inaccessibles de l'infini », à cause d'une « éloquence, tantôt vive et entraînante, comme le chant du clairon qui sonne la charge, tantôt large et abondante comme les eaux d'un fleuve majestueux et bienfaisant » (2) Bossuet a prouvé qu'il n'y a pas eu de variation pour les dogmes, pendant les quatre premiers siècles de l'Église, dans les œuvres de ces Pères que personne n'a plus pratiqués, ni mieux connus que l'évêque de Meaux. Si M. Brunetière gardait encore quelque doute après avoir lu Bossuet, il pourrait prendre le Christianisme et les temps présents de Mer Bougaud, tome III, et y voir, à la lumière des découvertes archéologiques de M. de Rossi, de MM. Vitet, Kügler, Northcote, Brownlow, Welcker, « que le Credo des Catacombes » nous apparaît absolument identique au Credo du XIXe siècle, chanté sous toutes les latitudes de l'univers catholique.

(1) Le grand Condé écrivait à Bossuet en 1685 à propos de ce livre : « Je suis ravi de la résolution que vous avez prise de travailler sans relâche à achever votre ouvrage. J'ai une extrême envie de le voir, étant persuadé qu'il sera très utile et admirablement beau. »

(2) Voir Bossuet et les Saints Pères, p. 605-648.

1

Sans doute, il y a eu progrès dans l'explication et le développement de nos dogmes, suivant la parole admirable de saint Vincent de Lérins : « Qu'elles croissent donc, ces saintes doctrines, il le faut! qu'elles progressent grandement, rapidement, dans le cours des âges, avec la science, l'intelligence, la sagesse de tous et de chacun... Tout ce que la foi de nos pères a semé dans le champ de l'Église, que tout cela, grâce au travail de ses enfants, soit cultivé, embelli, florissant; que tout cela mûrisse, progresse et se développe, à la condition de ne perdre rien de son intégrité. » Voilà pourquoi l'Église de Dieu garde ses dogmes comme des choses immuables, et les développe comme des choses vivantes, par une germination invincible, qui les amène peu à peu à la floraison. Mais s'il y a vie et développement pour la forme, il y a immutabilité pour le fond « l'intégrité » primordiale est sauvegardée, tandis que chez les Protestants du xvre et du XVIIe siècle, il n'y avait que « variations », que Credos succédant à des Credos, Confessions à des Confessions. Or, c'est là le signe infaillible de l'hérésie : la vérité est une, et l'erreur est multiple. L'argument de Bossuet, si « fort » de son temps, l'est bien plus aujourd'hui que les «< variations » du Protestantisme se sont multipliées au point que, dans les États-Unis d'Amérique, on ne compte pas moins de cent trente ou trentecing sectes, Communions ou Confessions différentes; M. le vicomte de Meaux l'écrivait naguère dans un chapitre, aussi intéressant qu'instructif, de son beau livre l'Église catholique et la liberté aux États-Unis. Est-ce encore le christianisme que toutes ces sectes dissidentes? Non, certes.

Que M. Brunetière, avec sa parfaite loyauté, pèse la valeur de ces arguments, et alors il comprendra qu'il s'est peut-être laissé égarer par sa théorie de l'évolution. Il y a évolution dans l'Église, c'est-à-dire mouvement et progrès dans la lumière, dans la diffusion de cette lumière; il n'y a pas « évolution régressive » (1), changements capables de dénaturer les dogmes, comme cela se voit en histoire naturelle, où l'évolution amène des pertes aussi fréquentes que les gains.

(1) Études critiques, VI, p. 23.

M. Brunetière s'efforce bien de prouver que la théorie de l'é-
volution n'est pas incompatible avec l'intégrité de la fọi chré-
tienne (1). Mais qu'il s'en méfie; car le danger est grand,
d'autant plus que cette théorie ne nous apparaît encore que
comme une hypothèse scientifique, dont M. Tucciméi faisait
le procès en ces termes dans la Revista internazionale de dé-
cembre 1898 :

<«< Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que l'état actuel
de l'évolutionnisme est celui-ci : 1o les faits directs, qui de-
vraient prouver la descendance, font défaut, de l'aveu même
des darwinistes; 2o la doctrine de la sélection, imaginée
par Darwin, offre des lacunes impossibles à combler; elle
n'est qu'une planche pour retarder le naufrage du système;
3o le lamarckisme, lui aussi, s'affaisse sous le poids des ob-
jections de Nægeli et de Weismann, et, sans la secousse que
lui a donnée Darwin, personne n'en parlerait; 4o de l'aveu
même des évolutionnistes, le sauvetage du système tenté
par Wagner, Nægeli et Weismann, n'est qu'un ramassis de
phrases, selon le mot de Claus, une métaphysique des plus
nuageuses, dirai-je à mon tour, qui n'a rien à voir avec les
faits. >>>

-

Il est vrai que M. Brunetière prétend que, « quand l'évolu-
tion ne serait qu'une hypothèse ou une vue de l'esprit dont
on ne pourrait donc fournir de démonstration expérimen-
tale », elle servirait à interpréter, à classer, à coordonner les
faits; c'est à cela que servent les «< idées générales ». Oui,
mais à la condition d'avoir un fondement dans la réalité, à la
condition aussi qu'on ne les appliquera point là où elles n'ont
que faire, comme en théologie. M. Brunetière, du reste, s'est
admirablement corrigé lui-même dans un discours prononcé
en 1908, ce dont il sera question ailleurs.

Sa Sainteté Léon XIII vient de le rappeler, dans sa Lettre
du 22 janvier au cardinal Gibbons sur l'Américanisme, dont
M. Brunetière s'était un peu trop constitué le défenseur par
un article de la Revue des Deux-Mondes : « Voici, dit le Pape,
ce que dit à ce sujet le Concile du Vatican : « La doctrine de

(1) Même ouvrage.

la foi, que Dieu a révélée, n'est pas comme un système philosophique susceptible d'être perfectionné par l'esprit humain ; mais elle est confiée à l'Épouse du Christ comme un dépôt divin, qu'elle doit garder fidèlement et promulguer infailliblement... Le sens que notre sainte mère l'Église a une fois déclaré être celui des dogmes sacrés, doit être perpétuellement conservé, et jamais il ne s'en faut écarter sous le prétexte ou l'apparence d'en mieux pénétrer la profondeur (1). »

Bossuet ne disait-il pas dans la Préface de l'Histoire de Variations, en parlant des Protestants : « S'ils nous montrent la moindre inconstance ou la moindre variation dans les dogmes de l'Église catholique, depuis ses origines jusqu'à nous, c'est-à-dire depuis la fondation du christianisme, je veux bien leur avouer qu'ils ont raison, et moi-même j'effacerai toute mon histoire. »

M. Brunetière, plus convaincu de jour en jour de la vérité du dogme catholique, n'écrirait certainement plus maintenant ce qu'il écrivait en 1882, dans les Sermons choisis de Bossuet (2), sur « toutes les folies, toutes les exagérations, j'oserai dire, toutes les niaiseries enfin du mysticisme... L'histoire du dogme fameux de l'Immaculée Conception intéresse, non seulement l'histoire du dogme chrétien, mais l'histoire même de l'esprit moderne, (en ce) que c'est à la faveur de ce dogme, et sous son couvert, que l'on a vu, cent cinquante ans après Luther et Calvin, le mysticisme renaître de ses ruines (?) et lentement envahir le domaine catholique. tout entier. La Vierge Mère a-t-elle été conçue sans péché, comme l'enseigne aujourd'hui l'Église, ou bien a-t-elle été marquée de la tache originelle, comme quelques-uns l'ont cru jusqu'en 1866? (M. Brunetière veut dire 1854, année où a été défini par Pie IX le dogme de l'Immaculée Conception). La question de soi peut sembler fort indifférente ». Non, pas pour un catholique, et Bossuet, qui a soutenu si énergiquement le privilège de Marie (3), comme s'engageaient à le

(1) Const. De fide cathol., c. iv.

(2) Pages 298-99.

(3) Voir les trois Sermons connus sur la Conception, et le 4° Sermon inédit de 1668, publié par l'abbé Lebarq.

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