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QUARANTE-NEUVIÈME CONFÉRENCE.

DE L'HOMME EN TANT QU'ÊTRE INTELLIGENT.

MONSEIGNEUR,

MESSIEURS,

Nous connaissons déjà deux termes du mystère des destinées; nous savons quel est notre principe et notre fin. Mais cette science, toute importante qu'elle soit, est loin de nous suffire. Que Dieu soit la source dont nous sortons, que notre but soit d'atteindre à sa perfection et d'obtenir sa béatitude, c'est beaucoup d'en être assurés; cependant il reste à nous

diriger dans cette route périlleuse dont Dieu occupe les deux points extrêmes; car si nous en ignorons les secrets, nous courons risque de nous égarer dans nos propres voies et de descendre vers la mort, au lieu de nous élever vers celui d'où procède toute vie, toute perfection, toute félicité. Quel est donc le chemin que nous devons suivre ? Est-il tracé? Le connaît-on avec certitude?

Vous ne pouvez en douter, Messieurs; Dieu, qui nous a révélé notre principe et notre fin, a dû nous révéler aussi le moyen d'aller de l'un à l'autre, sans quoi son but à lui-même, qui était de satisfaire sa bonté en se communiquant aux créatures, n'eût pas été réalisé. Ici, nous quittons l'Univers pour concentrer notre application sur l'homme en particulier; car c'est lui qui nous intéresse d'abord, et d'ailleurs en recherchant les sentiers que Dieu nous a ouverts pour monter vers lui, nous rencontrerons sans cesse le reste de la création nous disputant ou nous frayant le passage, et la théologie de l'homme, en vertu de l'unité qui coordonne et rapproche toutes les parties de l'œuvre divine, se mêlera constamment à la théologie de l'Univers. Mais l'homme lui-même, au dedans de sa propre nature, est un être infiniment complexe. Par sa pensée, il appartient à l'ordre intellectuel; par sa volonté, à l'ordre moral; par son union avec ses semblables, à l'ordre social; par son corps, à l'ordre physique; par son âme toute entière, à l'ordre religieux et sous tous ces rapports, il a

reçu des moyens d'arriver à sa fin, qui est la perfection et la béatitude. Il faut donc, pour démêler à fond le dernier pli de ses destinées, l'envisager lui-même et successivement comme être intelligent, moral, social, physique, religieux, et nous rendre compte, sous ces divers aspects, des voies que la sagesse éternelle lui a préparées et où il doit marcher pour ne pas périr. La carrière sera longue, Messieurs; elle embrassera non seulement les dernières Conférences de cette année, mais toutes celles qui suivront jusqu'au dernier jour où Dieu me permettra de vous instruire. En un mot, le principe et la fin de l'homme nous étant connus, nous n'avons plus rien à faire, pour épuiser la doctrine, qu'à vous exposer dans leur suite historique et dogmatique les moyens donnés à l'homme pour atteindre sa fin.

Je commence à l'heure même, et c'est l'homme en tant qu'être intelligent qui me servira d'exorde.

L'intelligence est la faculté de connaître. Connaitre, c'est voir ce qui est, et voir ce qui est, c'est posséder la vérité; car, la vérité n'est pas autre chose que ce qui est, en tant qu'il est vu de l'esprit. D'où il résulte que la vérité est l'objet de l'intelligence, et que la fonction de l'intelligence est de rechercher, de pénétrer, de retenir la vérité, de vivre d'elle et pour elle; là est sa perfection et sa béatitude. C'est d'abord sa perfection car, en dehors du vrai, l'esprit est à l'état d'ignorance ou d'erreur; il ne voit pas ou il voit mal, et dans l'un et l'autre cas, il est

privé de son objet et de sa fonction. Il est comme l'œil qui regarde sans découvrir ou qui découvre ce qui n'a pas de réalité, organe inutile et mort dans le premier cas, instrument faux et dangereux dans le second..

Mais si la vérité est la perfection de l'intelligence, on peut affirmer sans autre preuve qu'elle en est aussi la béatitude. Car celle-ci est une conséquence inévitable de celle-là. Dès qu'une faculté s'unit à son objet, dès qu'elle accomplit sa mission, elle arrive au repos parce qu'elle arrive au but, à un repos glorieux parce qu'il est légitime, plein de joie parce qu'il a été fait de Dieu sur l'exemplaire de ses propres opérations, où tout se termine au ravissement. Ainsi l'intelligence, en recevant la lumière de la vérité, s'y repose, s'y complaît, s'y exalte, est heureuse enfin selon la nature de la vision qui l'illumine et la remplit. Tous les jours, Messieurs, nous éprouvons cette béatification de l'entendement. Il n'est pas jusque dans les plus basses régions de la nature, un être ou un phénomène, si imperceptible qu'il soit, si indifférent qu'il paraisse, dont la découverte ne nous cause une sorte de magique éblouissement. Vous savez tous l'histoire de ce grand géomètre qui, après avoir lutté de longs jours contre un problème qui arrêtait son génie, en pénétra tout à coup le secret pendant qu'il était au bain. Ravi à lui-même, il se leva et la démence de l'enthousiasme lui ôtant jusqu'à la pensée de sa nudité, il parcourut Syracuse en s'écriant: Je

l'ai trouvé! Je l'ai trouvé! C'est la vive image des saintes noces de l'esprit avec la lumière intelligible, lorsque l'homme s'est rendu digne de cette immatérielle alliance par une vie qui diminue l'assujettissement de sa double nature à l'ordre inférieur. Ces belles joies dépendent tout ensemble de la grandeur de l'esprit et de la grandeur des idées qui l'inondent; elles croissent avec les rivages de l'intelligence et avec le cours lumineux qui y creuse son lit.

Quelquefois l'esprit est grand sans que la lumière le soit; alors se produisent ces tristesses mystérieuses dont vous avez pu remarquer l'empreinte sur le front généreux de plusieurs de vos contemporains. Victimes du doute, ils ont bu à la coupe de la science sans boire à celle de la vérité. Ils ont étudié les siècles, interrogé les mers, suivi l'orbite des astres; rien ne s'est soustrait à la perspicacité de leurs méditations, et pourtant un voile est demeuré devant eux qui ne leur permet pas d'aller au fond de ce qu'ils voient et de se rendre compte des clartés de leur propre vie. La lumière même leur est ténèbre; chaque découverte leur apporte un abîme de plus, et comme le laboureur qui enfonce le soc dans les champs de Thèbes ou de Babylone, heurte à tout moment d'inexplicables ruines, ainsi ces puissans investigateurs des mondes, à chaque sillon qu'ils tracent dans l'immensité des choses, soulèvent du sein même de la science de grandes et douloureuses obscurités. Ils n'ont ni la paix de l'ignorance, ni la

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