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existe que deux le motif du devoir et celui de la passion. Ou bien l'homme se décide par une vue du vrai, du bon, du convenable, ou bien il se décide par l'entraînement d'une satisfaction personnelle indépendante de toute idée d'ordre. La question seulement est de savoir qui le décidera de l'un ou de l'autre motif. S'il n'était pas libre, ce serait l'attrait le plus fort de sa nature qui l'emporterait, comme c'est le poids supérieur qui fait pencher l'un des plateaux de la balance. Mais l'homme est libre; entre deux attraits égaux ou inégaux par eux-mêmes, c'est lui qui prononce souverainement. Toutefois il se prononce en vertu d'un motif qui le persuade, et non pas sans cause ou arbitrairement. Il sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait il sait même pourquoi il est persuadé de le faire. La persuasion ne lui vient pas seulement du dehors, elle lui vient surtout du dedans, de l'état intime de sa volonté, de ses goûts, de ses vertus, toutes choses qui sont le fruit du libre-arbitre, qui sont le libre-arbitre lui-même en activité, tel qu'il s'est fait, tel qu'il veut être, tel qu'il se présente aux attraits extérieurs qui viennent le solliciter pour le bien et pour le mal. C'est l'état de la volonté, siége du libre-arbitre, qui détermine le choix de l'homme entre les deux motifs du devoir et de la passion. Supposez cet état connu, vous saurez ce que fera l'homme dans un cas donné, et dans tous les cas où la connaissance de son âme aura précédé pour vous son action. Telle est la base de la prescience

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humaine aussi bien que de la prescience divine. N'avez-vous jamais, Messieurs, confié votre fortune ou votre honneur à la parole d'un homme? Vous l'avez fait, ou, si l'occasion vous a manqué, vous nommez au dedans de vous-mêmes ceux à qui vous donneriez volontiers une aussi haute marque de votre estime. D'où vous vient cette assurance? Comment êtes-vous certains que vous n'exposeriez pas votre vie à une trahison? Vous en êtes certains, parce que vous connaissez l'âme à qui vous abandonnez la vôtre; cette connaissance vous suffit pour prévoir qu'en aucun cas, quel que soit le péril ou la tentation, votre fortune et votre honneur ne seront lâchement sacrifiés.

Ils peuvent l'être cependant; le cœur à qui vous donnerez votre foi est faillible, il est sujet à des assauts imprévus; n'importe, vous dormez en paix, et nul ne vous accusera d'imprudence ni de crédulité. S'il arrive que vous soyez trompés par l'événement, que direz-vous? Vous direz Je connaissais mal cet homme, je le croyais incapable d'une mauvaise action. Telle est la chance que vous aurez, la chance de mal connaître, parce que, étant une intelligence finie, vous ne pouvez lire directement dans l'âme d'autrui, ni même lire à fond dans la vôtre. D'où il résulte que vous n'avez de vos jugemens qu'une certitude morale, et de vos prévisions qu'une assurance du même degré.

Il n'en est pas ainsi de Dieu. Dieu, pour me servir de l'expression de saint Paul, pénètre jusqu'au point

de division de l'âme et de l'esprit, jusqu'aux racines et à la moëlle de notre être, et il discerne les derniers replis de nos pensées et de nos intentions. Nous sommes éternellement à nu devant lui. Il voit avec une précision infinie l'état de notre volonté, et connaissant dans la même lumière toutes les circonstances extérieures auxquelles nous serons en butte, il a une certitude infaillible du choix que nous ferons entre le bien et le mal, entre le motif du devoir et celui de la passion. Dès lors, il sait notre histoire, qui n'est qu'une lutte plus ou moins longue entre deux attractions opposées, l'une qui nous porte vers notre fin réelle, l'autre qui nous détourne vers un but bas et faux. Et cette science anticipée de nous-mêmes n'étant en rien la cause de nos actes, elle ne gêne pas plus notre liberté que si elle n'existait pas.

L'erreur, en cette matière, est de considérer le libre-arbitre comme une sorte de puissance abstraite, indépendante de son propre état, n'ayant d'autre mobile qu'un caprice illimité. S'il en était ainsi, l'homme lui-même ne serait pas capable de prévoir un instant d'avance ses propres actions. Sa souveraineté ne serait qu'une déraison permanente. Il choisirait entre le bien et le mal sans savoir pourquoi, et allant au hasard du crime à la vertu, à force d'être libre, nous ne trouverions plus en lui qu'un automate déréglé. Tel n'est point l'homme ni le libre - arbitre; je

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Épître aux Hébreux, chap. 4, vers. 12.

III.

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vous l'ai fait voir, et je n'ai plus qu'à laisser votre conscience choisir entre la morale du christianisme et la morale du rationalisme.

Le christianisme conclut à la charité et à la liberté; le rationalisme conclut à l'égoïsme et à la fatalité. Si dans les questions précédentes, qui ne s'adressaient qu'à la raison, quelque reste d'ombre affligeait encore votre besoin de lumière, cette ombre vient de s'enfuir. L'abîme de l'erreur a éclairé l'abîme de la vérité. De même que les dogmes spéculatifs de l'existence de Dieu, de la Trinité, de la création, de la diversité substantielle de la matière et de l'esprit, de la vocation de l'homme à la perfection et à la béatitude, conduisent au dogme pratique de la distinction du bien et du mal; de même, les dogmes spéculatifs du panthéisme, du dualisme, du matérialisme, du scepticisme, conduisent au dogme pratique de la confusion du bien avec le mal, terme suprême qui discerne tout, et où les ténèbres deviennent clarté.

CINQUANTE-ET-UNIÈME CONFÉRENCE.

DE L'HOMME EN TANT QU'ÊTRE SOCIAL.

MONSEIGNEUR,

MESSIEURS,

Quand Dieu eut fait l'homme, et qu'après l'avoir animé du souffle de la vie, il eut encore répandu dans son âme la lumière et la justice, la lumière de la vérité et la justice de la charité, il s'arrêta, s'il est permis de parler ainsi, pour regarder son ouvrage; et voyant les yeux de l'homme s'ouvrir, ses oreilles écouter, ses lèvres trembler du premier frémisse

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