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pierre qui tombe dans un gouffre; le gouffre la reçoit, tressaille et subsiste. Ainsi l'homme une fois appelé et visité de Dieu, encore qu'il le méconnaisse ou l'oublie, demeure triste et béant, victime d'un mal dont il ne sait pas la source et qu'il a nommé la mélancolie. Les anciens l'ont connue, et Virgile l'a divinement exprimée dans ce vers qu'aucune langue ne traduira jamais :

Sunt lacrymæ rerum, et mentem mortalia tangunt.

Cependant il s'en faut bien que ce mystérieux poison eût produit dans leur âme l'effet qu'il produit dans la nôtre. L'Antiquité n'avait pas vu Dieu, elle n'avait pas ouï l'Évangile, ni parlé à la croix : la nature lui était plus grande et plus profonde qu'à nous. Mais nous, chrétiens, baptisés, nourris du sang d'un Dieu, spectateurs de sa mort dans une vie qui n'a plus cessé, il nous est venu en l'âme des tourmens que nous ne pouvons pas définir à nous-mêmes qui les ressentons. A peine dix-huit printemps ont-ils épanoui nos années, que nous souffrons des désirs qui n'ont pour objet ni la chair, ni l'amour, ni la gloire, ni rien qui ait une forme et un nom. Errant dans le secret des solitudes ou dans les splendides carrefours des villes célèbres, le jeune homme se sent oppressé d'aspirations sans but; il s'éloigne des réalités de la vie comme d'une prison où son cœur étouffe, et il demande à tout ce qui est vague et incertain, aux nuages du soir, aux vents de l'automne, aux feuilles tombées des bois,

une impression qui le remplisse en le navrant. Mais c'est en vain les nuages passent, les vents se taisent, les feuilles se décolorent et se dessèchent sans lui dire pourquoi il souffre, sans mieux suffire à son àme que les larmes d'une mère et les tendresses d'une sœur. O âme! dirait le prophète, pourquoi es-tu triste et pourquoi te troubles-tu? Espère en Dieu! C'est Dieu, en effet, c'est l'infini qui se remue dans nos cœurs de vingt ans touchés par le Christ, mais qui se sont éloignés de lui par mégarde, et en qui l'onction divine, n'obtenant plus son effet surnaturel, soulève néanmoins les flots qu'elle devait apaiser. Jusqu'en nos jours déjà blanchis, il nous revient de ces secousses d'autrefois, de ces apparitions mélancoliques que les anciens croyaient un apanage du génie, et dont ils ont dit: Non est magnum ingenium sine melancolia. L'âme, faiblissant par intervalles, se retourne douloureusement sur elle-même, elle redescend aux rivages de sa jeunesse pour y rechercher ses larmes, et, ne pouvant plus pleurer comme alors, elle se nourrit un moment de leur amer et joyeux souvenir.

Tel est l'homme, grand par sa prédestination, inférieur par sa nature. D'où vient que si la nature demeure seule en lui, elle ne suffit pas plus à lui donner le bonheur qu'à lui donner toute la vérité et toute la vertu dont il a besoin. Cette singulière situation n'a pas dépendu d'un caprice de Dieu; elle tient

1 Psaume 42, vers. 5.

à l'essence même des choses, et s'explique par un mot très-court: l'homme ne peut pas être infini, et cependant il est appelé à jouir de l'infini.

Vous trouverez là, Messieurs, le secret de votre propre temps, temps douloureux que le christianisme seul peut guérir, et dont le christianisme pourtant élargit les blessures. Si nous comparons, en effet, les révolutions de l'antiquité avec celles dont nous sommes témoins, nous y remarquerons une grande différence de profondeur. Les doctrines ne jouaient aucun rôle dans les conflits intérieurs des anciens peuples: l'empire succédait à la république, Vespasien à Vitellius. Une légion disait un mot à l'Orient, une autre en disait un sur le Danube ou sur le Rhin; le sénat, considérant quel était le plus fort, adoptait le nouvel empereur et le saluait du nom d'Éternité. C'était l'éternité du jour en attendant celle du lendemain. Et ainsi se poursuivait de changement en changement ce cycle vulgaire de l'ambition de quelques-uns aux prises avec les vices de tous. Aujourd'hui l'ambition subsiste, les vices aussi, mais les révolutions prennent leur source plus haut, dans des idées générales dont on fait la cause de l'esprit humain, et les générations ne s'émeuvent qu'à ce prix. C'est l'erreur ou la vérité qui les ébranle, et même lorsqu'elles se trompent, elles ont cet honneur d'avoir été séduites par une pensée. Tant le christianisme a élevé l'homme au-dessus de lui-même! C'est pourquoi, Messieurs, les révolutions modernes étant doctrinales, ne finiront pas comme celles de

:

l'antiquité, par un homme ou un accident elles ne finiront que par une doctrine. Or, le christianisme seul est une doctrine seul il possède l'autorité qui commande et la charité qui persuade; seul il a connu, compris, annoncé la vocation surnaturelle de l'homme; seul il l'a tiré de terre et porté vers Dieu; seul il a le dépôt de la parole divine dans des prophéties vérifiées par l'histoire, et le dépôt de la grâce dans des sacremens éprouvés par les vertus dont ils sont la source; seul il résiste à l'effusion du mal, et le mal n'est si grand que parce qu'il s'attaque au christianisme, son seul ennemi. Vous donc qui êtes chrétiens, sachez toute l'importance de votre mission dans le siècle épouvanté dont vous faites partie. On nous parle d'ordre : c'est vous qui êtes l'ordre. On nous parle de paix : c'est vous qui êtes la paix. On nous parle d'avenir : c'est vous qui êtes l'avenir. On nous parle de salut c'est vous qui êtes le salut. Car l'ordre, la paix, l'avenir, le salut, chez des nations formées par Jésus-Christ, ne peuvent sortir que d'une doctrine qui contienne toute la vérité, toute la vertu, toute la plénitude dont l'homme a besoin, et le christianisme seul répond à ces conditions. Attachez-vous donc à le faire connaitre et à le rendre aimable; semez l'Évangile dans les malheurs publics. Il y germera tôt ou tard, et si nous ne recueillons pas nous-mêmes la moisson, du moins nous l'aurons préparée pour une postérité plus heureuse que nous.

SOIXANTE-ET-UNIÈME CONFÉRENCE.

DE L'ÉPREUVE.

MONSEIGNEUR,

MESSIEURS,

Le plan de la création vous est maintenant connu sous toutes ses faces, et l'homme en particulier, l'homme primitif vous est apparu tel que Dieu l'avait doué, appartenant par son corps au monde inférieur de la matière, par son âme à la nature et à la destinée des esprits, par la grâce à la région au-delà de laquelle il n'y en a point, c'est-à-dire à la région divine elle-même. Et dans tous ces ordres, Adam, le père du genre humain, avait été créé parfait. Son

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