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ni rien sentir, ni rien entendre qui méritât d'eux une goutte épanchée de leur amour. Le mystère était accompli tout entier, mon Dieu, et que restait-il pour émouvoir votre cœur, et pour qu'il nous découvrit de loin dans l'inanité totale où nous ne vous attendions même pas ?

Il restait quelque chose, Messieurs, n'en doutez pas, il restait quelque chose de plus généreux que l'intérêt, de plus élevé que le devoir, de plus puissant que l'amour. Sondez votre cœur, et si vous avez peine à m'entendre, si vos propres dons vous sont inconnus, écoutez Bossuet parlant de vous : « Quand Dieu, ditil, fit le cœur de l'homme, il y mit premièrement la bonté. » Voilà, Messieurs, une parole divine, et Bossuet n'eût-il prononcé que celle-là je le tiens pour un grand homme. La bonté ! c'est-à-dire cette vertu qui ne consulte pas l'intérêt, qui n'attend pas l'ordre du devoir, qui n'a pas besoin d'être sollicitée par l'attrait du beau, mais qui se penche d'autant plus vers un objet qu'il est plus pauvre, plus misérable, plus abandonné, plus digne de mépris! Il est vrai, Messieurs, il est vrai, l'homme possède cette adorable faculté, j'en jure par vous tous. Ce n'est ni le génie, ni la gloire, ni l'amour, qui mesurent l'élévation de son âme, c'est la bonté. C'est elle qui donne à la physionomie humaine son premier et plus invincible charme; c'est elle qui nous rapproche les uns des autres; c'est elle qui met en communication les biens et les maux, et qui est partout, du ciel à la terre, la grande média

trice des êtres. Regardez au pied des Alpes ce vil crétin sans yeux, sans sourire et sans larmes, qui ne connaît pas même sa dégradation, et qui semble un effort de la nature, pour s'insulter elle-même dans le déshonneur de ce qu'elle a produit de plus grand : gardez-vous de croire qu'il n'ait trouvé le chemin d'aucune âme, et que son opprobre lui ait ravi l'amitié de l'univers. Non, il est aimé, il a une mère, il a des frères et des sœurs, il a une place au foyer de la cabane, il a la meilleure et la plus sacrée, parce qu'il est le plus déshérité. Le sein qui l'a nourri le porte encore, et la superstition de l'amour n'en parle que comme d'une bénédiction envoyée par Dieu. Voilà l'homme!

Mais puis-je dire: voilà l'homme, sans dire aussi : voilà Dieu! De qui l'homme tiendrait-il la bonté, si Dieu n'en était l'océan primordial, et si en formant notre cœur, il n'y avait pas versé avant tout une goutte du sien? Oui, Dieu est bon; oui, la bonté est l'attribut qui recouvre en lui tous les autres, et ce n'est pas sans raison que l'antiquité gravait au fronton de ses temples cette inscription fameuse où la bonté précédait la grandeur. Mais toute perfection suppose un objet où s'appliquer. Il fallait donc à la bonté divine un objet aussi vaste et profond qu'elle-même: Dieu l'a découvert. Du sein de sa plénitude, il a vu cet être sans beauté, sans forme, sans vie, sans nom, cet être sans être que nous appelons le néant; il a entendu le cri des mondes qui n'étaient pas, le cri d'une misère sans

mesure appelant une bonté sans mesure. L'éternité s'est troublée, et elle a dit au temps commence! Le temps et l'univers ont obéi à la volonté de Dieu, comme la volonté de Dieu avait cédé, mais librement, à l'inspiration de la bonté.

Je dis librement, Messieurs, parce que toutes les perfections divines s'exercent au dedans d'elles-mêmes dans le mystère de la Sainte-Trinité, et que leur action extérieure n'est plus dès lors nécessaire à leur dilatation, mais un effet spontané du libre arbitre de Dieu. Dieu était bon avant de créer le monde, et sa bonté absolue se produisait à l'infini dans la communication éternelle des trois personnes incréées. Quand donc il a fait l'univers, il l'a fait par un mouvement libre de son cœur, et non par nécessité. Il l'a fait gratuitement, sans l'impulsion de l'intérêt, sans la contrainte du devoir, sans l'entraînement d'un amour qui fût mérité, dans la seule fin de satisfaire sa bonté en communiquant la vie. C'est pourquoi saint Thomas d'Aquin traitant cette question, dit que Dieu est le seul être parfaitement libéral, parce que seul il n'agit pas pour son utilité, mais à cause de sa bonté 1.

Cette conclusion, Messieurs, est de la plus haute importance pour toute la suite du dogme chrétien, et il est nécessaire de résoudre les difficultés qu'elle présente, soit au point de vue théologique, soit au point de vue rationnel.

'Somme, Quest. 44, art. 4.

Théologiquement, on oppose un texte de l'Écriture ainsi conçu Universa propter semetipsum operatus est Dominus. Le Seigneur a tout fait pour lui-même. Ces paroles ont un caractère de précision et de clarté qui obscurcit, ce semble, toutes les idées que nous venons d'émettre devant vous. Il est aisé pourtant de vous les expliquer. Dieu, pas plus qu'aucun être, ne saurait puiser hors de lui les motifs de ses déterminations; il les trouve dans sa nature, et en leur cédant, s'il est permis de parler ainsi, il est manifeste qu'il agit pour lui-même, puisqu'il agit sous l'impulsion de quelque chose qui est lui-même. Mais la bonté a cela d'excellent et de singulier, qu'elle a le bien des autres pour but, et qu'en agissant à cause d'elle, on agit cependant pour autrui et d'une manière désintéressée. Ainsi il est vrai de dire qu'en créant le monde par bonté, Dieu l'a créé pour lui, puisque sa bonté c'est lui-même, et néanmoins il est pareillement vrai de dire qu'il l'a créé libéralement, puisqu'il se proposait le bien de sa créature, et que ce bien ne pouvait accroître sa propre félicité. Mais l'eût-il même accrue, le motif de bonté resterait encore pur et sans reproche; car il n'y a rien de plus parfait que de trouver du bonheur à communiquer le sien. Cet égoïsme-là, si c'en est un, est celui des grandes âmes, et sans doute, bien que la créature soit inutile à Dieu, il faut croire que notre amour ne lui est pas indifférent, et

1 Proverbes, chap. 16, vers. 4.

que sans le rendre plus heureux, il nous rend au moins chers et précieux devant lui.

Il me sera facile encore de vous expliquer cette autre expression, que Dieu a créé le monde pour sa gloire. La gloire intérieure de Dieu est dans sa souveraine perfection; sa gloire extérieure consiste à être connu et aimé des intelligences libres; et il est hors de discussion qu'il a en effet donné l'être à ces intelligences pour en être connu et aimé. Mais pourquoi a-t-il voulu les appeler à le connaître et à l'aimer? Est-ce pour leur bonheur ou pour son utilité personnelle, par le motif de la bonté ou par celui de l'intérêt? Nous avons établi, avec saint Thomas d'Aquin, que c'était par le motif de la bonté, et l'expression dont il s'agit ne décide rien à l'encontre, puisqu'elle ne touche même pas la question. Il suffit de définir le mot de gloire pour en être assuré.

Arrivons donc aux objections du rationalisme.

Loin de convenir que le monde est un ouvrage de la bonté divine, le rationalisme n'y voit pas même une œuvre de justice. Est-il juste, dit-il, de disposer du sort d'autrui sans sa participation? Lorsqu'il a plu à Dieu, usant d'une toute-puissance incompréhensible, d'appeler à la vie des êtres intelligens, des êtres capables de juger si l'existence était un don ou un malheur, avait-il le droit d'agir sans leur consentement? Les Romains l'ont écrit avec autant d'éloquence que de raison: Nemini invito beneficium confertur, n n'y a pas de bienfait sans la volonté qui l'accepte. De

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