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nous font connus; & c'est faute d'avoir fuffifamment diftingué les idées, & remarqué combien ces Peuples étoient déjà loin du premier état de Nature, que plufieurs fe font hâtés de conclure que l'homme est naturellement cruel & qu'il a befoin de police pour l'adoucir, tandis que rien n'eft fi doux que lui dans fon état primitif, lorsque placé par la Nature à des distances égales de la ftupidité des brutes & des lumiéres funeftes de l'homme civil, & borné également par l'inftin&t & par la raifon à fe garantir du mal qui le menace, il eft retenu par la pitié Naturelle de faire lui-même du mal à perfonne, fans y être porté par rien, même après en avoir reçû. Car, felon l'axiome du fage Locke, il ne fauroit y avoir d'injure, où il n'y a point de propriété.

MAIS il faut remarquer que la Société commencée & les relations déjà établies entre les hommes, éxigeoient en eux des qualités différentes de celles qu'ils tenoient de leur conftitution primitive; que la moralité commençant à s'introduire dans les Actions humaines, & chacun avant les Loix étant feul juge & vengeur des offenfes qu'il avoit reçues, la bonté convenable au pur état de Nature n'étoit plus celle qui convenoit à la Société naiffante; qu'il faloit que les punitions devinffent plus févéres à mefure que les occafions d'offenfer devenoient plus fréquentes, & que c'étoit à la terreur des vengeances de tenir lieu du frein des Loix. Ainfi quoique les hommes fuffent devenus moins endurans, & que la pitié naturelle eût déja fouffert quelque alté

ra

ration, ce période du developpement des fa cultés humaines, tenant un jufte milieu entre l'indolence de l'état primitif & la pétulante activité de nôtre amour propre, dut être l'époque la plus heureufe, & la plus durable. Plus on y réflechit, plus on trouve

que cet état étoit le moins fujet aux révolu (*13.)tions, lé meilleur à l'homme, (* 13.) & qu'il n'en a du fortir que par quelque funefte ha zard qui pour l'utilité commune eût dû ne jamais arriver. L'exemple des Sauvages qu'on a presque tous trouvés à ce point femble confirmer que le Genre-humain étoit fait pour y refter toujours, que cet état est la véritable jeunesse du Monde, & que tous les progrès ulterieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l'individu, & en effet vers la décrépitude de l'efpéce.

TANT

TANT que les hommes fe contentérent de leurs cabanes ruftiques, tant qu'ils fe bornérent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arrêtes, à fe parer de plumes & de coquillages, à fe peindre le corps de diverfes couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs & leurs fleches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques Canots de pêcheurs ou quelques groffiers inftrumens de Mufique; En un mot tant qu'ils ne s'appliquérent qu'à des ouvrages qu'un feul pouvoit faire, & qu'à des arts qui n'avoient pas be foin du concours de plufieurs mains, ils vécurent libres, fains, bons, & heureux autant qu'ils pouvoient l'être par leur Nature, & continuérent à joüir entre eux des douceurs d'un commerce independant: mais dès l'inftant qu'un homme eut befoin du fecours

d'un

d'un autre; dès qu'on s'apperçut qu'il étoit utile à un feul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité difparut, la propriété s'introduifit, Le travail dévint néceffaire & les vastes forêts fe changérent en des Campagnes riantes qu'il falut arrofer de la fueur des hommes, & dans lesquelles on vit bientôt l'ef clavage & la mifére germer & croître avec les moiffons.

LA Métallurgie & l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produifit cette grande révolution. Pour le Poëte, c'est l'or & l'argent, mais pour le Philofophe ce font le fer & le bled qui ont civilifé les hommes, & perdu le Genre-humain; auffi l'un & l'autre étoient ils inconnus aux Sauvages de l'Amérique qui pour cela font toujours demeurés tels; les autres Peuples femblent mê

me

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