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en effet, ne trouvait plus un mot, sa voix expirait dans son gosier, il sentait ses genoux fléchir, il se mourait de terreur et de honte et se traînait aux pieds de son bourreau. Et puis il se relevait tout à coup : « Je suis à votre merci,» s'écriait-t-il. « Faites ce qu'il vous plaira. Il me reste les juges! Si vous me perdez, je vous perds avec moi. » Marseillette alors de sourire.

Une dénonciation! il ne la craignait pas. Qui aurait apporté les preuves? Une telle menace avait surtout quelque chose de fort plaisant dans la bouche de ses victimes. Que pouvaient-elles contre lui? N'avait-il pas mis les probabilités de son côté? Qui aurait cru ces pauvres gens venant s'excuser du crime de fausse signature, sous le prétexte frivole qu'on les y avait poussés et qu'ils ne l'avaient commis que par force? Un faussaire malgré lui, qu'est-ce que cela? Tous les coupables du monde n'ont-ils pas intérêt à démontrer avec des larmes qu'ils seraient blancs comme agneau si le diable n'était venu leur souffler de mauvaises pensées? Ils le démontrent et l'on rit. Non, non, il pouvait y avoir des compères moins hardis et plus ménagers des formes que ne l'était Marseillette; de plus prudents quant au fond, il n'y en avait point. La seule chose qu'il eût à craindre, c'était les méchants propos des emprunteurs récalcitrants qu'il n'avait pu amener par ses raisonnements et ses caresses au petit contrat accoutumé. Ceux qui avaient échappé aux piéges de Satan Marseillette semblaient, au premier abord, avoir beau jeu encore ne s'y fallait-il point fier. Des preuves! des preuves! Marseillette n'écrivait jamais un mot; les paroles passent, il savait le proverbe. Contre de si légers diseurs il avait l'action en calomnie pour se défendre, et, fort de son droit comme il l'était, il en eût usé. Personne n'ayant parlé jusqu'alors, l'invention prospérait toujours et continuait de porter fruits. Mais il faut apparemment que tôt ou tard le doigt de Dieu se manifeste! Un jour il arriva que l'un des débiteurs de Marseillette, n'ayant pu payer à terme, se brûla la cervelle.

C'était le fils d'une noble famille, médiocrement riche, et qu'il achevait d'appauvrir pour une Laïs à la mode. L'idée ne lui vint pas à l'heure suprême de demander pardon à son père du mal qu'il lui avait fait et de la dernière tache qu'il allait imprimer à son nom : il ne songea qu'à sa maîtresse. Il ne voulut s'excuser que devant ses beaux yeux de l'action infâme qu'ils lui avaient fait commettre et n'adressa d'adieux qu'à elle. Laïs lut cette lettre et s'évanouit, car c'était une occasion de montrer à quelques rivales, qui se trouvaient là, comme elle savait gracieusement tomber par terre; puis, comme elle était fille de cœur, elle jura, quand elle se fut remise, de ne point

prendre un autre amant avant d'avoir vengé celui-là, et, la lettre en main, elle se fit conduire au parquet.

Marseillette, l'heureux Marseillette, était bien loin de se douter qu'un si gros orage fût si près de crever sur sa tête. On lui avait appris la mort de ce jeune homme, et il n'avait pu en croire ses oreilles lui qui se trouvait si bien dans la vie n'aurait jamais imaginé qu'on pût volontairement en sortir. Il ne laissa pas d'abord de prendre quelque souci d'un si fâcheux accident, car il devait craindre, après tout, que cet étourdi qui venait de se tuer n'eût commis quelque sotte indiscrétion avant de mourir. Mais il réfléchit que ce malheureux ne s'étant brûlé la cervelle que pour échapper au châtiment, à la honte, à la malédiction de son père, avait dû finir en silence. Marseillette ne songeait pas à la maîtresse, Marseillette ne connaissait pas le cœur humain. Il calcula d'ailleurs ou crut avoir calculé toutes les conséquences de cette aventure: il en vint à se dire que, le mort même eût-il parlé, ses affirmations n'auraient pas plus de poids que celles d'un vivant, et là encore il se trompait. On n'a plus guère envie de mentir quand on en est à s'appliquer un pistolet sur la tempe; la confession d'un homme qui va se tuer sera toujours prise au sérieux par toutes les justices du monde : voilà ce que l'habile Marseillette ne pesa point. Cette fois les probabilités étaient déplacées, il ne le vit pas.

C'est pourquoi le lendemain, un peu avant midi, comme il n'avait pas reçu ce jour-là beaucoup de visiteurs à sa mystérieuse maisonnette des Batignolles, il se rendit fort tranquillement pour déjeuner à un café célèbre du boulevard des Italiens. Une heure sonnait quand le commissaire de police s'y présenta. Il y avait une grande affluence à la porte du café; on se pressait, on se poussait, on s'interrogeait de cent façons. « Ah! disaient les hommes pitoyables, c'est un homme perdu. » Le magistrat eut peine à percer la foule et s'arrêta sur le seuil. Heureux jusqu'au bout, le grand Marseillette, fort à propos, tout en déjeunant, venait d'être frappé d'apoplexie. Il était mort.

Paix à ses cendres!

Il laissait par testament tout son bien si honorablement acquis, huit cent et quelques mille francs à sa nièce, Madeleine Marseillette, la fille de son frère aîné Louis le soldat.

II

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Louis Marseillette le soldat avait été toute sa vie un fort honnête homme, ce qui ne l'avait pas empêché vraiment de faire quelque chemin dans le monde. Parvenu, après dix campagnes, au grade de major, défiguré, amputé, mal pensionné, content de peu, il avait fini par mourir en brave, des suites de ses blessures, les yeux tournés vers le soleil de la gloire, qui n'avait jamais été pour lui qu'une lanterne sourde. Sa femme, suivant l'usage, avait gardé quelque chose de sa pension, et sa fille Madeleine avait été élevée à la maison royale de Saint-Denis, comme c'était son droit. L'ombre du major n'avait pas lieu d'être inquiète, et son âme vaillante pouvait goûter une éternité tranquille dans le séjour des héros.

Mme Marseillette était donc venue quelque dix ans auparavant conduire sa fille au pensionnat de Saint-Denis. Saint-Denis est une ville noire, traversée par des eaux fétides, entourée de grandes avenues d'arbres, qui ne sauraient embellir le plus vilain coin du monde. L'air y est épais, le sol chétif, la verdure maussade, et le soleil ne pénètre qu'à regret dans ces rues populacières et sur ces tristes boulevards. Mais y étant une fois venue, Mme Marseillette y était restée ; peu lui importait, d'ailleurs, cette résidence ou une autre ; rien qu'à la voir, d'ordinaire si nette et si diligente, toujours en tenue, toujours sur pied, on devinait la veuve du militaire, accoutumée à changer de garnison tous les mois, et à qui tous les lieux de la terre sont indifférents, la plaine comme la montagne, le continent comme les îles. Ce n'était pas elle qui se fût alors embesognée de ces mille petits riens que traînent après soi les autres femmes; elle arrivait, d'un coup. d'œil reconnaissait les nouveaux êtres, d'un tour de main débouclait ses malles; une heure après, elle aurait pu s'en aller à la parade. Elle marchait par grandes enjambées, comme si elle s'était crue précédée par un tambour, et sa toilette eût été d'une simplicité bien plus qu'antique si elle n'avait tant aimé les plumes; elle sortait l'été sans ombrelle et gantait des gants d'homme. C'était une femme tout d'une pièce, raide de corps et ferme de cœur, à la parole dure, aux habitudes sévères, et qui n'entendait point raillerie sur la discipline; aussi n'avait-elle jamais eu de servante, n'ayant jamais su commander qu'à un soldat ou à elle-même. C'est pourquoi, durant les six années que sa fille avait passées au pensionnat de SaintDenis, elle avait stoïquement vécu toute seule, et l'ennui qui savait bien à qui il aurait affaire, n'avait pas même osé frapper à sa porte.

Fidèle à cette constante idée du devoir et à cet implacable amour de l'ordre qui dirigeaient ses moindres actions, la veuve du major mettait tout en œuvre pour le jour où Madeleine rentrerait à la maison; elle lui composait un trousseau, et le composait avec délice, car, par une contradiction singulière, cette honorable virago, qui semblait n'avoir que les qualités d'un homme, se rattachait à son sexe par le goût de l'aiguille. Elle cousait sans relâche auprès de sa croisée, as sise sur une chaise de jonc garnie d'un coussinet de cuir qui rehaussait encore sa grande taille; si bien que les passants surpris s'arrêtaient à la regarder, et que les gamins de la ville en avaient peur. Mais à l'époque où nous sommes arrivés, il y avait depuis longtemps déjà deux chaises dans l'embrâsure de la croisée, et ce n'était plus à la veuve du major toute seule que s'attachaient les regards des passants, car on voyait là une mignonne tête blonde, avec des yeux bleus et des lèvres roses. La patience de la mère avait eu sa récompense, et depuis tantôt quatre années sa fille était revenue au logis : Mile Marseillette venait d'avoir vingt-deux ans.

La naissance de cette petite Madeleine avait été certainement due à quelque jeu de hasard et de nature. Lorsqu'elle n'avait encore que cinq à six ans, Mme la colonelle du régiment où servait Louis Marseillette, regardant un jour ce fin minois sous ces beaux cheveux pâles, s'était avisée de demander au major et à sa femme comment il se faisait qu'ils eussent mis à eux deux une si jolie fillette au monde. En ce temps-là, Madeleine, allant à la promenade entre son père et sa mère, rappelait ces fleurettes intrépides qui croissent et s'épanouissent entre deux rochers. Enfant, elle était petite et menue, fraîche comme une rose de haie, inquiète et vive comme une hirondelle, et, depuis lors, tout cela n'avait guère changé. La fillette était devenue femme, et l'on ne voyait pas moins de sourires qu'autrefois sur cette adorable bouche, qui ressemblait à de la chair de cerise; mais il y avait bien de la sagesse au fond de cette humeur légère, car jamais Madeleine ne se montrait si rieuse que lorsque le chagrin ou la gêne se glissait dans la maison. Alors elle la remplissait de doux éclats et de chansons, elle s'agitait et se multipliait autour de sa mère, en bourdonnant comme une ruche, si bien que la veuve du major finissait par se laisser étourdir à tout ce charmant tapage. La pauvre femme pressait les mains de sa fille dans les siennes, et la contemplait avec ivresse, car elle ne pouvait s'accoutumer à la voir si brave et si jolie; le temps n'y avait rien fait. Elle n'était guère moins étonnée que jadis Mme la colonelle, d'avoir pu former de sa chair et de son sang une si gracieuse créature; elle aurait voulu l'accabler de caresses et de tendres paroles, mais elle ne savait point rencontrer les mignardes expressions de la tendresse maternelle; son

2e s. TOME XXV.

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cœur alors se fondait sous sa rude écorce, et de grosses larmes roulaient le long de ses joues basanées. Hélas! jamais elle n'aurait souhaité d'autre bonheur, si elle avait été plus riche ! Mais elle songeait à l'avenir, calculant que Madeleine avait déjà vingt-deux ans : terrible problème à résoudre que de marier une fille qui n'a rien ! Ces maudites pensées venaient chaque nuit assiéger la mère, et chaque matin la trouvait penchée sur le frais réveil de Madeleine, épiant les secrets de son cœur dans ses rêves, car elle tremblait que la jeune fille ne vînt à s'ennuyer de cette maigre vie, si monotone et si bornée, et que déjà sa gaieté ne fût une feinte héroïque. Mais Madeleine s'éveillait avec son irrésistible sourire. « Elle est heureuse, »> se disait la mère. Pourtant, six cents livres de rente, neuf cents de pension, cela ne faisait en tout que quinze cents livres. Et point d'espérances!

Un matin, les deux femmes ayant mis le ménage en ordre et pris leur ouvrage, Madeleine une broderie, sa mère un tricot, s'étaient assises chacune à leur place accoutumée, devant la fenêtre, lorsque le facteur de la poste s'en vint frapper aux vitres : « une lettre! » Il ne leur restait plus de parents; la pauvreté leur avait laissé si peu d'amis! Qui s'avisait de leur écrire? Ce pli avait un certain air important qui imposa tout de suite à la veuve du major et qui fit battre ce cœur aguerri; elle y flaira comme une vague odeur de bureaux et de ministère; était-ce donc que l'on appréciait enfin à leur valeur les services de feu son mari? Allait-on doubler sa pension? Ce fut sous l'empire de cette folle pensée qu'elle fit sauter le cachet rouge. « Saperlotte ! qu'est ceci? s'écria-t-elle. Veut-on se jouer de nous? Quelque insolent! Mais non..... cela est signé par un notaire. Ah! je sens que mes yeux se voilent! Qu'ai-je donc ? Madeleine, ai-je mal lu? Maman, passez-moi cette lettre. Ce n'est pas une mystification? reprit la mère. On ne. se moque pas de nous, n'est-ce pas? Je ne me suis point méprise, je ne déraisonne pas, je ne suis pas folle?» Et Me Marseillette s'attachait à sa fille et cherchait à lire avec elle. « Maman, dit Madeleine, laissez-moi donc lire jusqu'au bout. Mon Dieu! qu'il vous faut de temps pour achever cette lettre! Vous me faites mourir, méchante fille. Maman! - Hé quoi! Madeleine, cela est donc vrai, nous sommes riches? Je crois que cela est vrai. -Bonté du ciel! donne-moi un verre d'eau ; mon cœur m'étouffe! — Maman, de grâce, calmez-vous, voilà votre verre. Allons! pour un peu d'argent qui nous tombe du ciel, n'allez-vous pas vous trouver mal? Madeleine, soupira la mère, combien avons-nous? Il s'agit de huit cent mille francs. Huit cent mille francs!» répéta Mme Marseillette en fermant les yeux.

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<«< Maman, reprit Madeleine, vous ne m'aviez jamais dit que le

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