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PREMIÈRE PARTIE.

Dieu seul, chrétiens, est le Père des lumières; et une créature ne peut être véritablement éclairée, qu'autant qu'elle s'approche de Dieu, et que Dieu se communique à elle. Tel fut aussi le grand principe de l'éminente sagesse qui parut dans la conduite de l'illustre et glorieuse Geneviève; c'étoit une simple fille, il est vrai; mais par un merveilleux effet de la grâce, cette simple fille trouva le moyen de s'unir à Dieu, dès l'instant qu'elle fut capable de le connoître, et Dieu réciproquement prit plaisir à répandre sur elle la plénitude de ses dons et de son esprit : voilà ce qui a relevé sa simplicité, et ce qui lui a donné dans l'opinion même des hommes, cet ascendant admirable au-dessus de toute la prudence du siècle.

Il falloit bien que Geneviève, tout ignorante et toute grossière qu'elle étoit d'ailleurs, eût de hautes idées de Dieu, puisque dès sa première jeunesse elle se dévoua à lui de la manière la plus parfaite. Ce fut peu pour elle de dépendre de Dieu comme sujette; elle voulut lui appartenir comme épouse. Comprenant que celui qu'elle servoit étoit un pur esprit, pour contracter avec lui une sainte alliance, elle fit un divorce éternel avec la chair: sachant que par un amour spécial de la virginité, il s'étoit fait le fils d'une vierge, elle forma, pour le concevoir dans son cœur, le dessein de demeurer vierge; et pour l'être avec plus de mérite, elle voulut l'être par engagement, par vou, par une profession solennelle; car elle étoit dès-lors instruite et bien persuadée de cette théologie de saint Paul, que quiconque se lie à Dieu, devient un même esprit avec lui ; et elle n'ignoroit pas qu'une vierge dans le christianisme, je dis une vierge par choix et par état, est autant élevée au-dessus du reste des fidèles, qu'une épouse de Dieu l'est au-des

sus des serviteurs, ou, pour m'exprimer encore comme l'Apôtre, au-dessus des domestiques de Dieu. C'est dans ces sentimens que Geneviève voue à Dieu sa virginité, et qu'elle lui fait tout à la fois le sacrifice de son corps et de son ame; ne voulant plus disposer de l'un ni de l'autre, même légitimement; renonçant avec joie à sa liberté, dans une chose où elle trouve un souverain bonheur à n'avoir plus de liberté ; et ajoutant aux obligations communes de son baptême celle qui devoit lui tenir lieu de second baptême, puisque selon saint Cyprien, l'obligation des vierges est une espèce de sacrement qui met dans elles le comble et la perfection au sacrement de la foi.

Mais admirons, mes chers auditeurs, l'ordre qu'elle observe en tout cela. Le Saint-Esprit, dans les Proverbes, dit que la simplicité des justes est la règle sûre et infaillible dont Dieu les a pourvus, pour les diriger dans leurs entreprises et dans leurs actions. Or c'est ici que vous allez voir l'accomplissement de ces paroles de l'Ecriture: Justorum simplicitas dirigetillos (1). Geneviève formoit un dessein dont les suites étoient à craindre, non-seulement pour tout le cours de sa vie, mais pour son salut et sa prédestination. Que fait-elle? parce qu'elle est humble, elle ne s'en fie pas à elle-même ; et parce qu'elle est docile, elle évite cet écueil dangereux du propre sens et de l'amour-propre, qui fait faire tous les jours aux sages du monde tant de fausses démarches, et qui détourne si souvent de la voie du ciel ceux qui croient la bien connoître et y marcher. Pour ne pas s'engager même à Dieu par un autre mouvement que celui de Dieu, Geneviève consulte les oracles par qui Dieu s'explique; elle traite avec les prélats de l'Eglise, qui sont les interprètes de Dieu et de ses volontés; deux grands évêques qui vivoient alors, celui d'Auxerre et

(1) Prov. 11.

celui de Troyes, passant par Nanterre, sa patrie et le lieu de sa demeure, elle va se jeter à leurs pieds, elle leur ouvre son cœur, elle écoute leurs avis; et parce qu'elle reconnoît que c'est Dieu qui l'appelle, elle s'oblige à suivre une si sainte vocation: non-seulement elle s'y oblige, mais elle accomplit fidèlement ce qu'elle a promis; et quelques années d'épreuve écoulées, elle fait entre les mains de l'évêque de Chartres, ce qu'elle avoit déjà fait dans l'intérieur de son ame, je veux dire le sacré vœu d'une perpétuelle virginité : n'agissant que par conseil, que par esprit d'obéissance, que par ce principe de soumission qui faisoit souhaiter à saint Bernard d'avoir cent pasteurs pour veiller sur lui, bien loin d'affecter, comme on l'affecte souvent dans le monde, de n'en avoir aucun; belle leçon, chrétiens, qui nous apprend à chercher et à discerner les voies de Dieu, surtout quand il s'agit de vocation et d'état, où tous les égaremens ont des conséquences si terribles, et en quelque manière si irréparables pour le salut: instruction nécessaire pour notre siècle, où l'esprit de direction abonde, quoiqu'en même temps il soit si rare; où tant de gens s'ingèrent d'en donner des règles, et où si peu de personnes les veulent recevoir; où chacun a le talent de gouverner et de conduire, et où l'on en voit si peu qui aient le talent de se soumettre et d'obéir. Mais exemple plus important encore de cet attachement inviolable que nous devons avoir à la conduite de l'Eglise, hors de laquelle, comme disoit saint Jérôme, nos vertus même ne sont plus des vertus, la virginité n'est qu'un fantôme, le zèle qu'une illusion, et tout ce que nous faisons pour Dieu se trouve perdu et dissipé.

L'élément des vierges et des ames dévouécs à JésusChrist en qualité de ses épouses, c'est la retraite et la séparation du monde. Aussi est-ce le parti que Geneviève choisit; car d'aimer à voir le monde et à en être

vu, et prétendre cependant pouvoir répondre à Dieu de soi-même ; vouloir être de l'intrigue, entrer dans les divertissemens, avoir part aux belles conversations; et quelque idée de piété que l'on se propose, se réserver toujours le droit d'un certain commerce avec le monde; en user, dis-je, de la sorte, et croire alors pouvoir garder ce trésor que nous portons dans nos corps, comme dans des vases de terre, j'entends le trésor d'une pureté sans tache, c'est ce que la prudence du siècle a de tout temps présumé de faire, mais c'est ce que la simplicité de Geneviève, plus clair voyante et plus pénétrante, traita d'espérance chimérique, et ce qui ne lui parut pas possible. Dès le moment qu'elle fit son vou, elle se couvrit du saint voile qui distinguoit ces prédestinées et ces élues que saint Cyprien appelle la plus noble portion du troupeau de Jésus-Christ. Il ne lui fallut point de prédicateurs pour renoncer à tous ces vains ornemens qui corrompent l'innocence des filles du siècle, et qui servent d'amorce à la cupidité et à la passion. Sans étude et sans lecture, elle connut qu'elle devoit faire le sacrifice de toutes les vanités humaines. Une croix apportée du ciel par le ministère d'un ange, et qui lui fut présentée par saint Germain, lui tint lieu désormais de tout ce que l'envie de paroître lui eût fait ambitionner si c'eût été une fille mondaine : et la manière simple dont elle traitoit avec Dieu, sans disputer ses droits contre lui, et sans raisonner inutilement sur la rigueur du précepte, lui fit prendre des décisions plus exactes que celles de la théologie la plus sévère. Or si nous agissions, chrétiens, dans le même esprit, c'est ainsi que nous ferions voir en nous les fruits d'une sincère et véritable réformation de mœurs; car si les prédicateurs de l'évangile gagnent si peu à vous remontrer ces vérités si importantes; si, malgré tous leurs discours, vous demeurez encore aussi attachés à

je

je ne sais combien d'amusemens et de bagatelles du monde corrompu; si, par exemple, on peut dire, à la honte de notre religion, que les dames chrétiennes sont maintenant plus païennes que les païennes même en ce qui regarde l'immodestie et le luxe de leurs habits; si la licence et le désordre sur mille autres points croissent tous les jours, ce n'est, mes chers auditeurs, que parce que nous voulons nous persuader qu'il y a làdessus un devoir du monde qui nous autorise; ce n'est que parce que nous nous flattons de savoir bien accorder des choses que tous les saints ont jugées incompatibles, et sauver l'essentiel du christianisme au milieu de tout ce qui le détruit; enfin ce n'est que parce que nous devenons ingénieux à nous aveugler nous-mêmes, et qu'au lieu de nous étudier à cette bienheureuse simplicité, qui fut toute la science de Geneviève, nous opposons à l'esprit de Dieu les fausses maximes d'un esprit mondain qui nous perd.

Que fait de plus cette sainte fille? apprenez-le. Pour conserver le mérite de sa virginité, elle s'engage par état et par profession de vie, aux emplois les plus bas de la charité et de l'humilité. Car d'être vierge et d'être superbe, elle sait que c'est un monstre aux yeux de Dieu : elle sait, sans que saint Augustin le lui ait appris, qu'autant qu'une vierge humble est préférable, se on l'évangile, à une femme honnête dans le mariage, autant une femme humble dans le mariage mérite-t-elle la préférence sur une vierge orgueilleuse. C'est pour cela qu'elle s'humilie ; et que, par un rare excmple de sagesse, elle se réduit à la condition de servante; c'est pour cela qu'elle s'attache à une maîtresse fâcheuse dont elle supporte les mauvais traitemens, et à qui elle obéit avec une patience et une douceur digne de l'admiration des anges; et c'est par là même aussi qu'elle évite le reproche que saint Augustin faisoit à une vierge chré

TOME XII.

II

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