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de doigts aux pieds qu'aux mains, il eût peut-être été fort furpris, en les coinparant, de trouver que cela étoit vrai.

Page 74.

(12) Il ne faut pas confondre l'amour propre & l'amour de foimême; deux paffions très-différentes par leur nature & par leurs effets. L'amour de foi-même eft un fentiment naturel qui porte tout animal à veiller à fa propre confervation, & qui, dirigé dans l'homme par la raifon, & modifié par la pitié, produit l'huma nité & la vertu. L'amour propre n'eft qu'un fentiment relatif, factice, & né dans la fociété, qui porte chaque individu à faire plus de cas de foi que de tout autre, qui infpire aux hommes tous les maux qu'ils fe font mutuellement, & qui eft la véritable fource de 1'honneur.

Ceci bien entendu, je dis que, dans notre état primitif, dans le véritable état de nature, l'amour propre n'existe pas: car chaque homme en particulier fe regardant lui-même comme le feul fpectateur qui l'observe, comme le feul être dans l'univers qui prenne intérêt à lui, comme le feul juge de fon propre mérite, il n'eft pas poffible qu'un fentiment qui prend fa fource dans des comparaifons qu'il n'eft pas à portée de faire puiffe germer dans fon ame; par la même raifon cet homme ne fauroit avoir ni haine ni defir de vengeance, paffions qui ne peuvent naître que de l'opinion de quelque offenfe reçue: & comme c'est le mépris ou l'intention de nuire, & non le mal, qui conftitue l'offenfe, des hommes qui ne favent ni s'apprécier, ni fe comparer, peuvent fe faire beaucoup de violences mutuelles, quand il leur en revient quelque avantage,

fans jamais s'offenfer réciproquement. En un mot, chaque homme ne voyant guere fes femblables que comme il verroit des animaux d'une autre efpece, peut ravir la proie au plus foible, ou céder la fienne au plus fort, fans envisager ces rapines que comme des événements naturels, fans le moindre mouvement d'infolence ou de dépit, & fans autre paffion que la douleur ou la joie d'un bon ou mauvais fuccès.

Page 124.

(13) C'est une chofe extrêmement remarquable que depuis tant d'années que les Européens fe tourmentent pour amener les Sauvages des diverses contrées du monde à leur maniere de vivre, ils n'aient pas pu encore en gagner un feul, non pas même à la faveur du Chriftianifme; car nos Miffionnaires en font quelquefois

,

mais jamais des

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des Chrétiens hommes civilifés. Rien ne peut furmonter l'invincible répugnance qu'ils ont à prendre nos mœurs & vivre à notre maniere. Si ces pauvres Sauvages font auffi malheureux qu'on le prétend, par quelle inconcevable dépravation de jugement refufent-ils conftamment de fe policer à notre imitation, ou d'apprendre à vivre heureux parmi nous; tandis qu'on lit en mille endroits que des François & d'autres Européens fe font réfugiés volontairement parmi ces nations , y ont paffé leur vie entiere, fans pouvoir plus quitter une fi étrange maniere de vivre, & qu'on voit même des Miffionnaires fenfés regretter avec attendriffement les jours calmes & innocents qu'il ont paffés chez ces peuples fi méprifés? Si l'on répond qu'ils n'ont pas affez de lumieres pour juger fainement de leur état & du nôtre, je repliquerai que

l'eftimation du bonheur eft moins l'affaire de la raifon que du fentiment. D'ailleurs cette réponse peut fe rétorquer contre nous avec plus de force encore; car il y a plus loin de nos idées à la difpofition d'efprit où il faudroit être pour concevoir le goût que trouvent les Sauvages à leur maniere de vivre, que des idées des Sauvages à celles qui peuvent leur faire concevoir la nôtre. En effet, après quelques obfervations il leur eft aifé de voir que tous nos travaux fe dirigent fur deux feuls objets; favoir, pour foi les commodités de la vie, & la confidération parmi les autres. Mais le moyen pour nous d'imaginer la forte de plaifir qu'un Sauvage prend à paffer fa vie feul au milieu des bois ou à la pêche, ou à fouffler dans une mauvaise flûte, fans jamais favoir en tirer un feul & fans fe foucier de l'ap

ton,

prendre

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