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>> commandements, et s'exalter en pensant qu'un savetier de >> Rome avait dans sa poche ces belles pièces, ces chefs» d'œuvre monétaires, ces documents historiques, et payait >> avec sa consommation au cabaret!

>> Des médailles nous passons aux livres, et cette fois je >> suis moins complètement incompétent. Je voudrais, me » disait-il, en me montrant tous ces volumes bien alignés, » soigneusement entretenus, je voudrais que chacun de ces » livres puisse prendre une voix pour m'appeler, quand je » ne sais où chercher un texte dont j'ai besoin; mais je les » laisse presque tous bien tranquilles après les avoir feuil>> letés beaucoup autrefois..... Plusieurs ne m'ont pas servi » à grand'chose sur lesquels je comptais beaucoup en les >> achetant, mais voici une Roma subterranea, et il ouvrait » un in-folio, dans lequel je trouve toujours à butiner. Puis >> voici mes beaux classiques dans leurs culottes de Hollande » (il me présentait de belles reliures en parchemin jauni et >> luisant), leur situation plus élevée les a préservés de la >> souillure des eaux de l'Yonne. Il parlait avec tendresse de >> ces livres, surtout de ces vieux livres oubliés aujourd'hui » et qui méritent d'être remis en honneur.

» A propos de livres, voici une anecdote entre toutes celles » dont il a semé notre causerie : « Vers 1803, j'ai reçu visite » d'un personnage chargé par l'empereur de Russie d'acheter >> en France des ouvrages pour former une bibliothèque » publique, et j'ai lu dans les instructions très détaillées >> dont il était porteur : « Acheter tout ce que l'on pourra >> trouver d'ouvrages publiés par Messieurs de Port-Royal. » Il était tout fier de rappeler cette recommandation si flat>>teuse pour l'honneur de sa famille littéraire et ne songeait » même pas à se dire que c'était sans doute quelque lettré » français ayant les mêmes affinités que lui avec Port-Royal » qui l'avait dictée au ministre russe.

» Et la conversation allait son train, à la fois sérieuse et » gaie, joviale même, car le père Chapet ne craint pas la

» note railleuse et la plaisanterie gauloise. Dans un moment » d'expansion, il m'a chanté plusieurs couplets d'une longue >> chanson de sa façon, composés, au siècle dernier, à propos » d'un Francomtois auquel ses confrères de l'Oratoire » avaient persuadé de se rendre à cheval et à petites jour» nées de Paris à Besançon, et de faire, pour cette chevau» chée mémorable, emplette de la monture et d'une légen» daire culotte de peau. J'aurais voulu prendre copie de » cette pièce curieuse, mais le père Chapet a peur de devenir » auteur, il n'écrit rien et confie à sa mémoire ses produc» tions. Heureusement que tout en se plaignant des défail» lances de l'âge, notre vieux maître l'a conservée bien >> entière, et pour preuve ne m'a-t-il pas débité un fragment >> d'un beau compliment en vers latins que ses élèves avaient

composés, pour le jour de sa fête, quand il professait la » rhétorique à Tournon, je ne sais en quelle année, mais » avant 1789. Je ne le soupçonne pas d'avoir eu la coquet>>terie d'apprendre pour moi ce petit morceau, non plus » qu'une diatribe en vers français contre François Rabelais, qu'il m'a débitée avec entrain et dont la composition devait » bien dater aussi d'un demi-siècle. 1

» Je t'assure, mon cher ami, que cette bonhomie expan>>sive et un peu joviale n'enlève rien à la dignité du vieillard, >> tout au contraire elle me laissa profondément touché par >> cette absence complète de raideur et de pédantisme, cette >> aimable familiarité de grand-père s'abandonnant sans con>> trainte aux éclats de sa joyeuse humeur d'autrefois.

» En entendant cet homme doué d'une belle intelligence, >> amoureux de l'étude, content de peu, vivant heureux dans » sa retraite, il me semblait comprendre l'attrait qui avait » entraîné sa jeunesse vers la congrégation de l'Oratoire.

<« Quel sort plus enviable, me disait-il, pour qui aime

1. M. Jourdain qui avait recueilli cette pièce de mémoire et l'a jointe à la collection des lettres du père Chapet, déclare tenir de lui qu'il l'avait composée à l'âge de seize ans.

» vraiment le travail que d'entrer, après de fortes humanités, » dans un de ces collèges où l'on se donnait tout entier, >> pour toute sa vie, à former la jeunesse par devoir, sans » émolument sinon le vivre modeste, le logement austère et » quatre-vingts francs chaque année pour s'acheter une robe. » En entrant dans un de ces asiles de paix qui n'existent » plus, hélas! on ne payait pas trop cher l'affranchissement » total des soucis de fortune, de famille, d'ambition, la pré>> cieuse faculté de pousser toujours plus avant une de ces >> études favorites dont la vie humaine ne voit jamais le bout » et de compléter patiemment, sur ses vieux jours, des séries » de grands ou moyens bronzes commencées au sortir de ses >> classes. » Et sa physionomie s'illuminait à tous ces chers >> souvenirs.

» Il ne me parut disposé à s'assombrir que devant la pensée de l'extinction fatale de cet Oratoire auquel il était >> heureux d'avoir donné toute sa vie. Par forme de consola» tion et sans trop y croire, je l'avoue, je hasardai un mot » sur le rétablissement de l'ordre. « Non, reprit-il vivement, »> non, mon ami, ces asiles ne s'ouvriront plus en faveur des >> jeunes gens aux goûts studieux et modestes. » Puis il garda » un silence attristé, où se devinait aisément le cruel sou>> venir des confrères trop célèbres qui sont devenus des >> proconsuls de la Terreur et ont jeté sur l'ordre entier » comme une lueur sinistre. Le seul d'entre eux qu'il m'ait » nommé c'est Fouché, qu'il se rappelait avoir vu jeune » professeur dans un collège, et il sé vantait même d'avoir » éprouvé de suite pour ce personnage une instinctive et >> invincible répulsion, inspirée tant par sa physionomie bla» farde et féline que par les opinions étrangement para» doxales qu'il se plaisait à soutenir.

» J'eus quelque regret d'avoir réveillé ces douloureux » souvenirs, et, pour faire diversion, je revins à Auxerre où » le père Chapet compte de nombreux amis, bien qu'il pré>> tende n'y connaître personne. Figure-toi que, dans ce milieu

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>> un peu cancanier de la petite ville de province, notre vieux » maître a eu à lutter contre les méfiances et les soupçons provoqués par son attachement à son ordre et sa fidélité » à ses traditions ; il m'en parla sans aucune amertume. -« Dans les premiers temps, depuis mon retour à Auxerre, » j'ai entendu souvent bourdonner autour de moi au sujet » de mon orthodoxie; j'ai dû faire taire les curieux en décla>> rant ceci tout franchement toute ma théologie est celle >> des bonnes femmes. Elle est facile à trouver dans le caté>> chisme; ce n'a jamais été mon métier de démêler la meil>> leure ou la moins mauvaise des opinions controversables.»— » Je crois volontiers que la régularité de sa vie studieuse et peut-être aussi les saillies de sa verve caustique ont dû » promptement réduire les critiques au silence.

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>> Mais en voici bien long sur notre vieux maître et encore » n'ai-je pas tout dit. Tu devines que nous avons longue»ment parlé et en détail des condisciples, mais le père » Chapet les a presque tous perdus de vue et c'est moi qui >> le renseignais. Rien donc à te dire de cette partie de notre >> entretien, sinon que je lui ai fait part de ce que tu m'as » toi-même appris sur L... et C..., et qu'il a appris avec >> plaisir la nouvelle direction donnée à tes efforts.

>> Que deviens-tu dans tes labeurs industriels? A quand » une nouvelle visite? Pourquoi n'en profiterions-nous pas » pour pousser ensemble jusqu'à Auxerre. Le père Chapet » a été ingénieur dans sa jeunesse, et M. l'ingénieur des forges de Longuyon aurait peut-être à apprendre de l'an» cien directeur de la cristallerie du Creusot..... >>

1. Voici comment il parle de soupçons de ce genre dans une de ses lettres : Sa circonspection vis-à-vis de moi me paraît plaisante. Je vois ou je crois voir qu'il a soupçonné que ma qualité d'oratorien pouvait apporter avec elle celle de » janséniste. Il m'a semblé plus d'une fois qu'il me tâtait dans ce sens. J'ai ri tout bas, mais je n'ai pas répondu à la tâte. » (B. Lettre du 8 avril 1833.)

Auxerre, 1er mai 1838.

<<< MON CHER AMI,

» Me voici installé à Auxerre, mais notre vieux maître » que j'y étais venu voir, il y a deux ans, n'est plus. Après » un long séjour à Valence où il a voulu se rendre malgré >> les instances de ses amis qui redoutaient pour lui les fati»gues de ce long voyage, il est tombé malade et est mort » quelques jours avant mon arrivée ici. Tu devines mes >> regrets; moi qui me promettais de voir souvent cet aimable >> et savant homme dans le commerce duquel il y avait tant » à gagner.

» Il s'était révélé à moi sous une face toute nouvelle lors » de la visite que je t'ai contée. A Juilly, malgré toute son » affabilité, c'était le grand préfet, et la sévérité de son rôle >> nous cachait nécessairement le côté d'affectueuse et pater» nelle bonhomie qui m'a si vivement frappé. Au reste, rien >> de touchant comme tout ce que je recueille sur le père

Chapet, car on parle beaucoup de lui en ce moment, et >> ses bons mots, les anecdotes le concernant reviennent >> sans cesse dans la conversation des savants du cru ou de >> ceux qui prétendent à ce titre. Il n'y a pas une note dis»cordante; non seulement chacun loue l'étendue et la » variété de ses connaissances, l'agrément et la justesse de » son esprit, l'aménité de son commerce, mais on sent que >> l'honorabilité de son caractère, l'unité de sa vie, lui ont >> valu les respects de tous. Au milieu de ce concert unanime » de regrets, je ne puis m'empêcher de lui appliquer ces » vers de son Horace :

Incorrupta fides, nudaque veritas,
Quando ullum invenient parem?

» Le père Chapet a vu venir sa fin sans perdre sa séré>> nité; on raconte qu'il a reçu le curé de sa paroisse venant » le préparer à la mort par ces mots : « Eh bien! mon cher

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