Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

qu'elle engendre, qui changent et altèrent ainsi toutes nos inclinations naturelles.

J'ai tâché d'exposer l'origine et le progrès de l'inégalité, l'établissement et l'abus des sociétés politiques, autant que ces choses peuvent se déduire de la nature de l'homme par les seules lumières de la raison, et indépendamment des dogmes sacrés qui donnent à l'autorité souveraine la sanction du droit divin. Il suit de cet exposé que l'inégalité, étant presque nulle dans l'état de nature, tire sa force et son accroissement du développement de nos facultés et des progrès de l'esprit humain, et devient enfin stable et légitime par l'établissement de la propriété et des lois. Il suit encore que l'inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est contraire au droit naturel toutes les fois qu'elle ne concourt pas en même proportion avec l'inégalité physique; distinction qui détermine suffisamment ce qu'on doit penser à cet égard de la sorte d'inégalité qui règne parmi tous les peuples policés, puisqu'il est manifestement contre la loi de nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage, et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire.*

La question mise au concours par l'académie de Dijon, et qui a donné lieu à ce Discours, étoit posée ainsi : Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi

naturelle?

Au reste, il y a à s'étonner que Rousseau qui, daus son Émile, et même dans les notes qui sont jointes à ce Discours, s'appuie

"

souvent du témoignage de Buffon, et qui le cite toujours avec un haut degré d'estime, n'ait pas, soit dans ces notes, soit dans le cours de son Discours, rappelé le passage suivant, qui offre comme la substance de ce discours même. « L'homme sauvage est de tous « les animaux le plus singulier, le moins connu, et le plus difficile « à décrire : mais nous distinguons si peu ce que la nature seule « nous a donné, de ce que l'éducation, l'imitation, l'art et l'exem<< ple nous ont communiqué, ou nous les confondons si bien, qu'il « ne seroit pas étonnant que nous nous méconnussions totalement «< au portrait d'un sauvage, s'il nous étoit présenté avec les vraies couleurs et les seuls traits naturels qui doivent en faire le ca« ractère.

K

"

[ocr errors]

« Un sauvage absolument sauvage.... seroit un spectacle curieux "pour un philosophe ; il pourroit, en observant son sauvage, éva«luer au juste la force des appétits de la nature; il y verroit l'ame « à découvert, il en distingueroit tous les mouvements naturels, et peut-être y reconnoîtroit-il plus de douceur, de tranquillité, et de calme, que dans la sienne; peut-être verroit-il clairement que la a vertu appartient à l'homme sauvage plus qu'à l'homme civilisé, « et que le vice n'a pris naissance que dans la société. » HISTOIRE NATURELLE, Variétés dans l'espèce humaine.

[ocr errors]

"

NOTES

DEDICACE, page 189.

Hérodote raconte qu'après le meurtre du faux Smerdis, les sept libérateurs de la Perse s'étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu'ils donneroient à l'état, Otanès opina fortement pour la république; avis d'autant plus extraordinaire dans la bouche d'un satrape, qu'outre la prétention qu'il pouvoit avoir à l'empire, les grands craignent plus que la mort une sorte de gouvernement qui les force à respecter les hommes. Otanès, comme on peut bien croire, ne fut point écouté; et voyant qu'on alloit procéder à l'élection d'un monarque, lui, qui ne vouloit ni obéir ni commander, céda volontairement aux autres concurrents son droit à la couronne, demandant pour tout dédommagement d'être libre et indépendant, lui et sa postérité; ce qui lui fut accordé. Quand Hérodote ne nous apprendroit pas la restriction qui fut mise à ce privilège, il faudroit nécessairement la supposer*; autrement Otanès, ne reconnoissant aucune sorte de loi, et n'ayant de compte à rendre à personne, auroit été tout puissant dans l'état, et plus puissant que le roi même. Mais il n'y avoit guère d'apparence qu'un homme capable de se contenter, en pareil cas, d'un tel privilège fût capable d'en abuser. En effet, on ne voit pas que ce droit ait janais causé le moindre trouble dans le royaume, ni par le sage Otanès, ni par aucun de ses descendants.

PRÉFACE, page 201.

1 Dès mon premier pas je m'appuie avec confiance sur une de ces autorités respectables pour les philosophes, parcequ'e

* Voyez Hérodote, liv. Î, chap. 83. Montaigne aussi rapporte ce fait, et fait connoître la restriction dont il s'agit, en disant d'Otanès « qu'il quitta « à ses compaignons sen droit d'y pouvoir arriver (à l'empire) par élection ❝ ou par sort, pourveu que lui et les siens vescussent en cet empire hors de << toute subjection et maistrise, sauf celle des lois antiques, et y eussent « toute liberté qui ne porteroit préjudice à icelles, impatient de commander comme d'estre commandé. » Liv. III, chap. 7.

viennent d'une raison solide et sublime qu'eux seuls savent trou

ver et sentir.

"

"

"

Quelque intérêt que nous ayons à nous connoître nousmêmes, je ne sais si nous ne connoissons pas mieux tout ce qui « n'est pas nous. Pourvus par la nature d'organes uniquement « destinés à notre conservation, nous ne les employons qu'à re« cevoir les impressions étrangères; nous ne cherchons qu'à « nous répandre au-dehors, et à exister hors de nous trop occupés à multiplier les fonctions de nos sens et à augmenter l'étendue extérieure de notre être, rarement faisons-nous usage « de ce sens intérieur qui nous réduit à nos vraies dimensions, « et qui sépare de nous tout ce qui n'en est pas. C'est cependant a de ce sens dont il faut nous servir si nous voulons nous con«noître; c'est le seul par lequel nous puissions nous juger. Mais « comment donner à ce sens son activité et toute son étendue? « comment dégager notre ame, dans laquelle il réside, de toutes « les illusions de notre esprit? Nous avons perdu l'habitude de l'employer, elle est demeurée sans exercice au milieu du tu<< multe de nos sensations corporelles, elle s'est desséchée par le «< feu de nos passions; le cœur, l'esprit, les séns, tout a travaillé « contre elle. » HIST. NAT. De la Nature de l'homme.

DISCOURS, page 215.

3 Les changements qu'un long usage de marcher sur deux pieds a pu produire dans la conformation de l'homme, les rapports qu'on observe encore entre ses bras et les jambes antérieures des quadrupèdes, et l'induction tirée de leur manière de marcher, ont pu faire naître des doutes sur celle qui devoit nous être la plus naturelle. Tous les enfants commencent par marcher à quatre pieds, et ont besoin de notre exemple et de nos leçons pour apprendre à se tenir debout. Il y a même des nations sauvages, telles que les Hottentots, qui, négligeant beaucoup les enfants, les laissent marcher sur les mains si long-temps qu'ils ont ensuite bien de la peine à les redresser; autant en font les enfants des Caraïbes des Antilles. Il y a divers exemples d'hommes quadrupedes; et je pourrois entre autres citer celui de cet enfant qui fut trouvé, en 1344, auprès de Hesse, où il avoit été nourri par des loups, et qui disoit depuis, à la cour du prince Henri, que, s'il n'eût tenu qu'à lui, il eût mieux aimé retourner

avec eux que de vivre parmi les hommes. Il avoit tellement pris l'habitude de marcher comme ces animaux, qu'il fallut lui attacher des pièces de bois qui le forçoient à se tenir debout et en équilibre sur ses deux pieds. Il en étoit de méme de l'enfant qu'on trouva, en 1694, dans les forêts de Lithuanie, et qui vivoit parmi les ours. Il ne donnoit, dit M. de Condillac, aucune marque de raison, marchoit sur ses pieds et sur ses mains, n'avoit aucun langage, et formoit des sons qui ne ressembloient en rien à ceux d'un homme. Le petit sauvage d'Hanovre, qu'on mena il y a plusieurs années à la cour d'Angleterre, avoit toutes les peines du monde à s'assujettir à marcher sur deux pieds; et l'on trouva, en 1719, deux autres sauvages dans les Pyrénées, qui couroient par les montagnes à la manière des quadrupèdes. Quant à ce qu'on pourroit objecter que c'est se priver de l'usage des mains dont nous tirons tant d'avantages, outre que l'exemple des singes montre que la main peut fort bien être employée des deux manières, cela prouveroit seulement que l'homme peut donner à ses membres une destination plus commode que celle de la nature, et non que la nature a destiné l'homme à marcher autrement qu'elle ne lui enseigne.

Mais il y a, ce me semble, de beaucoup meilleures raisons à dire pour soutenir que l'homme est un bipède. Premièrement, quand on feroit voir qu'il a pu d'abord être conformé autrement que nous ne le voyons, et cependant deveħir enfin ce qu'il est, ce n'en seroit pas assez pour conclure que cela se soit fait ainsi : car, après avoir montré la possibilité de ces changements, il faudroit encore, avant que de les admettre, en montrer au moins la vraisemblance. De plus, si les bras de l'homme paroissent avoir pu lui servir de jambes au besoin, c'est la seule observation favorable à ce système sur un grand nombre d'autres qui lui sont contraires. Les principales sont, que la manière dont la tête de l'homme est attachée à son corps, au lieu de diriger sa vue horizontalement, comme l'ont tous les autres animaux, et comme il l'a lui-même en marchant debout, lui eût tenu, marchant à quatre pieds, les yeux directement fichés vers la terre, situation très peu favorable à la conservation de l'individu; que la queue qui lui manque, et dont il n'a que faire marchant à deux pieds, est utile aux quadrupedes, et qu'aucun d'eux n'en est privé; que le sein de la femme, très bien situé pour un bi

« ZurückWeiter »