Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

sont point faites pour des peuples asservis qui ignorent tout ce qui les regarde, qui ne savent pas même comment on les gouverne, aux yeux de qui cet ardent amour de la liberté est une passion chimérique, une vertu de roman, qui, ne cherchant que l'amour, ou plutôt la galanterie, aime et idolâtre

D'un cothurne indolent la rampante mollesse,

et qui semble ne pardonner à Corneille, à Racine, à Voltaire, les sublimes chefs-d'œuvre qu'ils ont produits, qu'en faveur des scènes où ils ont été assez faibles pour se prêter à ce mauvais goût. Mais remonte de plusieurs siècles. Imagine-toi que tu vois jouer ton ouvrage à Rome, sur le théâtre de Pompée, devant Chærea, Thraseas, Tacite, les Pline, etc. Vois quels applaudissements, et combien tous les gens de bien se réjouissent d'entendre parler les derniers des Romains. Et pour comble de gloire, Caïus, Domitien, Néron, ces monstres te récompensent par leur honorable haine. Poursuis, fais revivre la tragédie, ne l'amollis jamais, qu'elle soit encore la leçon du genre humain, et ajoute sur notre théâtre une quatrième palme aux trois qui font à notre nation tant d'honneur chez les étrangers et lui en feront tant chez la postérité.

II

A SON PÈRE 1.

Londres, 24 novembre 1789.

Je suis arrivé ici le 19, mon très-cher père, après un voyage qui n'a rien eu de remarquable, et le plus douloureux passage de mer que j'aie encore eu. Je n'ai pas tardé à regretter Paris; car ici les inquiétudes sur nos affaires ne

1 Cette lettre fut publiée pour la première fois dans l'édition de 1862, d'après le manuscrit d'André Chénier. Elle est adressée à M. de Chénier, ancien chargé d'affaires de France à Maroc, rue du Sentier, n 24.

sont pas moindres et sont plus désagréables, parce qu'elles sont plus vagues, et qu'on est plus longtemps à savoir à quoi s'en tenir. Ajoutez que les mauvaises nouvelles sont toujours grossies et exagérées, non-seulement par la mauvaise volonté des Anglais, mais encore plus par la plupart des Français qui sont ici, et qui ne voyent pas que leur odieuse animosité envers leur patrie les rend méprisables et ridicules. Hier on nous a annoncé que des lettres, en date du 19 ou du 20, arrivées par un courrier extraordinaire portaient que ce jour-là même tout Paris était en combustion1, que les tocsins sonnaient de toute part, etc... Je fais tout ce que je peux pour douter de ces funestes nouvelles, et il me tarde bien d'être éclairci. Car ceux qui nous ont annoncé ce soulèvement ne disaient aucun détail, ni ne lui assignaient aucune cause, ni enfin n'ajoutaient rien qui pût donner un objet déterminé aux alarmes qu'ils faisaient naître. Il n'y a ici aucune nouvelle qu'on puisse vous mander. Les affaires de France sont ici comme en France l'objet qui occupe seul les conversations. Adieu, mon très-cher père, je prie ma mère d'agréer l'assurance de mon respect. J'embrasse mes frères de tout mon cœur, et vous prie de compter à jamais sur ma respectueuse tendresse. CHÉNIER DE SAINT-ANDRÉ 2.

III

A SON PÈRE 3.

Londres, 19 janvier 1790.

Les nouvelles qui nous arrivent de France, moitié bonnes, moitié mauvaises, m'inquiètent par rapport à vous, mon très

1 Ces nouvelles étaient fausses; il ne s'était rien passé à Paris, à cette date.

2 La signature est remarquable. Dans la famille, on n'appelait jamais André Chénier que Saint-André. Voyez une note, à ce sujet, au commencement de l'Introduction.

3 Publiée dans l'édition de 1840.

cher père. Je désire savoir ce qui se passe au sujet de votre pension et si vous avez déjà préparé quelque chose à mettre sous les yeux de l'Assemblée nationale, quand il s'agira d'examiner les motifs de toutes les pensions. On a pris sur cet article un parti qui semble bien violent1. Plaise au ciel que les affaires s'arrangent! ce qui ne peut guère avoir lieu que par les finances, qui vont bien lentement. Outre la honte qu'entraînerait une faiblesse, quelles horribles convulsions n'en seraient pas la suite dans Paris! car les provinces s'en ressentiraient moins. Mais il est sûr que Paris serait un enfer pendant quelque temps. Je ne puis songer à cela sans frémissement.

J'apprends que le temps a été fort beau à Paris. Je m'en réjouis; car je m'imagine que cela peut vous entretenir en bonne santé, et c'est toujours cela. L'ouvrage de mon frère2 a toujours un grand succès à ce qu'on me mande. C'est un bien véritable et bien sensible plaisir pour moi. Je viens de lire dans un papier français un interrogatoire de M. de Favras, où je vois que ce Monsieur avait aussi conspirés contre Charles IX. Dites, je vous supplie, à mon frère, que je le supplie de ne pas tarder à m'envoyer cet ouvrage aussitôt qu'il sera imprimé ; et aussi que M. Dutens* désire qu'il le place au rang des souscripteurs pour deux exemplaires. Vous avez lu ou bien je

1 Par son décret du 4 janvier 1790, l'Assemblée nationale avait différé jusqu'au 1er juillet le payement de toutes les pensions à échoir dans le courant de cette année, et nommé un comité de douze membres pour examiner les motifs de toutes les pensions.

2 La tragédie de Charles IX, représentée pour la première fois sur le théâtre de la Nation, le 4 novembre 1789. La vingt-cinquième représentation avait eu lieu le 15 janvier 1790.

Voyez dans le procès la déposition du nommé Tourcaty. A la troisième représentation de Charles IX, le marquis de Favras lui aurait offert de faire tomber la pièce, moyennant 18,000 ou 20,000 livres.

Dutens, littérateur et érudit français, ou du moins né en France; il était protestant, s'expatria et se fixa en Angleterre. Nous avons eu l'occasion de citer dans l'Introduction quelques passages de ses Mémoires d'un voyageur.

us conseille de lire un excellent écrit que le chevalier de ange m'a fait passer, où il traite de la délation et du comité es recherches1. C'est un écrit plein de justice, de noblesse, de ison et d'éloquence, et qui ne peut déplaire qu'au faubourg aint-Antoine.

Adieu, mon très-cher père, je vous embrasse avec la plus espectueuse tendresse, et vous prie de présenter mes respects ma mère, et mes tendres amitiés à tous mes frères et à ma ceur 2, quand vous lui écrirez.

IV

A SA MAJESTÉ STANISLAS-AUGUSTE

ROI DE POLOGNE, GRAND-DUC DE LITHUANIE 3.

Sire,

J'ai reçu des mains de M. Mazzei la médaille dont Votre Majesté m'a destiné l'honorable présent. Il m'a fait connaître aussi avec quelle indulgence elle s'est exprimée sur mon compte 5, en jugeant digne d'une traduction en langue polo

1 Réflexions sur la délation et sur le comité des Recherches, par M. le chevalier de Pange. Paris, 1790, in-8°. Voyez cet écrit dans les OEuvres de François de Pange, p. 41.

2 Sa sœur,

madame de la Tour de Saint-Igest, était fixée à l'île de France. Voyez une note de l'Introduction.

3 Publiée dans l'édition de 1819.

4 M. Mazzeï était envoyé du roi de Pologne auprès de la cour de Versailles. Il avait été chargé de remettre une médaille semblable à Barère pour son journal le Point du jour. Barère l'a décrite dans ses Mémoires, t. II, p. 192. Elle portait d'un côté l'effigie du roi, et de l'autre l'inscription: Bene meritis.

5 Au bas d'une copie autographe de cette lettre, dit l'éditeur de 1840, André Chénier avait transcrit cet extrait de la lettre du roi de Pologne à M. Mazzeï : « Le livre de M. de Chénier m'a paru si modéré, sage, si propre à calmer l'effervescence, et si applicable même à d'autres pays, que je le fais traduire. J'ai pensé que la médaille cijointe serait une marque convenable du cas que je fais de cette production et de l'opinion que j'ai de l'auteur. »

si

1

naise l'Avis aux Français que j'ai publié depuis quelques

mois.

Ma surprise a égalé ma respectueuse reconnaissance; mais, attentif depuis longtemps à tout ce qui se fait sur la terre pour le rétablissement de la raison et l'amélioration de l'espèce humaine, je n'étais pas assez étranger aux affaires de la Pologne pour ne pas connaître le caractère de Votre Majesté, et le prix dont un pareil suffrage doit être aux yeux d'un honnête homme aussi dois-je avouer que l'inscription de la médaille ne peut manquer de m'enorgueillir un peu, car elle me rappelle que c'est uniquement la pureté de principes que j'ai essayé de développer, et le désir ardent que j'ai eu d'être utile, qui m'ont valu l'honneur que je reçois, et qui vous ont fait chercher dans la foule un inconnu pour le prévenir par des marques aussi flatteuses de votre approbation. Vous avez, Sire, applaudi aux souhaits et compati aux chagrins d'un homme pour qui il ne sera point de bonheur s'il ne voit point la France libre et sage; qui soupire après l'instant où tous les hommes connaîtront toute l'étendue de leurs droits et de leurs devoirs; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violents, et qui voudrait enfin qu'on eût raison d'une manière raisonnable.

Si l'ouvrage, quel qu'il soit, que j'ai publié dans ces intentions, survit aux circonstances qui l'ont fait naître (et il n'est pas impossible que le souvenir des distinctions dont Votre Majesté l'a honoré lui assure cet avantage), ce sera, je n'en doute pas, un des traits dont on se servira pour caractériser notre siècle et l'époque où nous vivons, qu'un pareil écrit ait été une recommandation auprès d'une tête couronnée. Mais cette particularité sera à peine remarquable dans l'histoire d'un hommeroi, dont la vie entière, animée du même esprit, n'aura été qu'un enchaînement d'efforts pour rappeler les hommes, ses concitoyens, à des institutions saines, et les élever à la hau

« ZurückWeiter »