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une des premieres acquifitions que l'homme ait faites, en s'éloignant de la condition animale.

IL me feroit aifé, fi cela m'étoit néceffaire, d'appuier ce fentiment par les faits, & de faire voir, que chez toutes les Na tions du monde, les progrès de l'Esprit fe font précisement proportionnés aux befoins, que les Peuples avoient reçus de la Nature, ou auxquels les circonftances les avoient affujetis, & par confequent aux paffions, qui les portoient à pourvoir à ces befoins. Je montrerois en Egypte les arts naiffans, & s'étendant avec les debordemens du Nil; Je fuivrois leur progrès chez les Grecs, où l'on les vit germer, croître, & s'élever jusqu'aux Cieux parmi les Sables, & les Rochers de l'Attique, fans pouvoir prendre racine fur les

Bords

Bords fertiles de l'Eurotas; Je remarquerois qu'en général les Peuples du Nord font plus industrieux que ceux du midi, parce qu'ils peuvent moins fe paffer de l'être, comme fi la Nature vouloit ainfi égalifer les chofes, en donnant aux Efprits la fertilité qu'elle refuse à la Terre.

MAIS fans recourir aux témoignages incertains de l'Hiftoire, qui ne voit que tout femble éloigner de l'homme Sauvage la tentation & les moyens de ceffer de l'être? Son imagination ne lui peint rien; fon cœur ne lui demande rien. Ses modiques befoins fe trouvent fi aifément fous fa matin, & il eft fi loin du degré de connoiffances, néceffaires pour défirer d'en acquérir de plus grandes, qu'il ne peut avoir ni prévoyance, ni curiofité. Le fpectacle de la Nature lui devient

indiffé

indifférent, à force de lui devenir familier. C'est toujours le même ordre, ce font toujours les mêmes révolutions; il n'a pas l'efprit de s'étonner des plus grandes merveilles ; & ce n'eft pas chez lui qu'il faut chercher la Philofophie dont l'homme a befoin, pour fa voir obferver une fois ce qu'il a vû tous les jours. Son ame, que rien n'agite, fe livré au feul fentiment de fon existence actuelle,

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fans aucune idée de l'avenir, quelque prochain qu'il puiffe être, & fes projets bornés comme fes vûes, s'étendent à peine jusqu'à la fin de la journée. Tel eft encore aujour d'hui le degré de prévoyance du Caraybe: Il vend le matin fon lit de Coton, & vient pleurer le foir pour le racheter, faute d'avoir prevû qu'il en auroit befoin pour la nuit prochaine.

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PLUS on médite fur ce fujet, plus la diftance des pures fenfations aux plus fimples connoiffances s'aggrandit à nos regards; & il eft impoffible de concevoir comment un homme auroit pû par fes feules forces, fans le fecours de la communication, & fans l'aiguillon de la néceffité, franchir un si grand intervale. Combien de fiécles fe font peutêtre écoulés, avant que les hommes ayent été à portée de voir d'autre feu que celui du Ciel ? Combien ne leur a-t-il pas falu de différens hazards pour apprendre les ufages les plus communs de cet élement? Combien de fois ne l'ont ils pas laiffé éteindre, avant que d'avoir acquis l'art de le reproduire? Et combien de fois peut-être chacun de ces fecrets n'eft il pas mort avec celui qui l'avoit découvert? Que dirons nous de l'agriculture,

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art qui demande tant de travail & de prévoyance; qui tient à d'autres arts, qui très évidemment n'est pratiquable que dans une fociété au moins commencée, & qui ne nous fert pas tant à tirer de la Terre des alimens qu'elle fourniroit bien fans cela, qu'à la forcer aux préférences, qui font le plus de notre goût? Mais fuppofons que les hommes euffent tellement multiplié, que les productions naturelles n'euffent plus fuffi pour les nourrir; fuppofition qui, pour le dire en paffant, montreroit un grand avantage pour l'Efpéce humaine dans cette maniére de vi-. vre; Suppofons que fans forges, & fans Atteliers, les inftrumens du Labourage fussent tombés du Ciel entre les mains des Sauvages; que ces hommes euffent vaincu la haîne mortelle qu'ils ont tous pour un travail continu; qu'ils

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