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Abord reçut les palmes académiques qu'il n'avait, croyons-nous, ni sollicitées ni désirées? J'ignore le sentiment avec lequel il les accueillit, mais ce qui est certain c'est qu'en regard d'un travail historique de plus de 1,600 pages, achevé depuis quatorze ans, la récompense parut un peu grêle. C'est peut-être dans l'intention de réparer ce qu'elle avait de tardif et de notoirement insuffisant que ces mêmes palmes lui furent de nouveau conférées par arrêté du 8 juin suivant. A cette récidive et quelque conciliant qu'il fût à l'égard des pouvoirs publics, Hippolyte Abord ne put réprimer un léger mouvement d'humeur et d'impatience. La mesure lui semblait un peu dépassée. Il est certain que son Histoire de la Réforme et de la Ligue, sa participation à l'administration du collège, la part prépondérante qu'il avait prise à la fondation de l'Association des anciens élèves lui donnaient droit à quelque distinction d'un ordre plus relevé.

» Quelque allégrement qu'on les supporte, les années ne constituent pas moins un poids avec toute sorte de circonstances aggravantes. Mais le travail, l'accomplissement des devoirs, les joies de la famille croissante font paraître le fardeau plus léger. Par suite de l'union qui règne entre tous les membres, il semble que chacun en prend sa part et qu'on le porte en commun. Notre collègue connut ces joies intérieures et nul plus que lui n'était digne de les goûter pleinement. Là, en effet, au milieu des siens, il avait le bonheur parfait et sans fissure. Ce dernier mot est peut-être de trop. La fissure, hélas! se produisit là où on pouvait le moins la prévoir du côté de sa famille municipale dont, comme un père, il gérait les intérêts depuis trente ans. Il ne pouvait croire à l'ingratitude et cette ingratitude qui se manifesta, à sa dernière heure, avec une cruauté qui ne céda ni devant l'âge ni en présence des services rendus, lui porta un coup mortel. Ses adversaires ne pouvaient-ils faire preuve d'un peu de patience? l'âge, la maladie ne devaient pas leur imposer une bien longue attente. Blessé par le scrutin du 1er mai, achevé par celui du 8, il succombait le 13, moins peut-être à la maladie qu'à la douleur. Cette cruauté, nous le savons, a été regrettée par ses auteurs regrets tardifs et impuissants, qui honorent celui qui en est l'objet sans rendre la faute plus légère.

D

Quelque sujet qu'il ait eu de regretter la vie, Hippolyte

Abord vit sans trouble la mort s'avancer et il l'accueillit avec une fermeté vraiment antique. Dans la généalogie de sa famille, à la fin de l'article consacré à sa vie et à la suite de la mention d'un séjour fait à Toulon-sur-Mer, aux mois de février et de mars précédents, sa main a, d'une écriture ferme et nette, tracé ces deux mots: Ma Mort. Il n'avait voulu laisser à aucun des siens la douleur de les écrire. En même temps qu'il prenait ainsi congé de l'existence, affaires de conscience, affaires d'intérêt, mesures à prendre pour ses obsèques, tout fut arrêté et réglé par lui avec autant de lucidité et de précision que s'il se fût agi d'un autre. Le jour même de sa mort, il envoyait payer ses impôts de l'année, tant il attachait de prix à laisser une situation exempte de toute charge: il ne voulait conserver aucun passif, ni devant Dieu ni devant les hommes.

» Il ne nous a pas oubliés. Assidu à nos réunions, au courant de nos travaux qu'il eût été mieux qualifié que personne pour diriger, après la mort de M. Bulliot, il a tenu à remettre entre nos mains la collection de tous les périodiques autunois, parus depuis 1839, dont plusieurs, d'une durée éphémère, sont absolument introuvables. Cette collection, qu'il avait formée à notre intention, constitue pour notre histoire locale, au dix-neuvième siècle, une source d'information qu'aucune autre ne saurait remplacer. Elle comprend :

L'Éduen, 1839-1847, sept volumes;

Le National, 1848-1851, quatre volumes;

L'Écho de Saône-et-Loire, 1852-1876, vingt-cinq volumes; L'Autunois, 1877-1903, vingt-sept volumes,

Le Morvan, 1870-1871, un volume;

Le Morvan, 1873, un volume;

La République du Morvan, 1877-1897, vingt-un volumes; Le Morvan républicain, 1898-1903, six volumes; L'Indépendant du Morvan, 1898-1903, six volumes;

Le Nouvelliste du Morvan, 1886-1903, dix-huit volumes;

Le Rappel, 1848, un volume;

La Revue d'Autun, 1859-1861, deux volumes;

Le Positif, 1870, un volume;

La Croix d'Autun, 1893-1894, un volume;

La Vraie République, 1902, un volume.

» En tout cent vingt-deux volumes qui s'accroîtront des quatre volumes de l'année courante. On voit qu'Hippolyte Abord a préparé à nos successeurs des matériaux abondants d'information, qui combleront de joie ceux qui auront la tâche d'écrire nos annales du dix-neuvième siècle.

» Son fils a tenu à exécuter de suite cette clause des volontés paternelles. Il a fait plus en demandant à remplacer son père au milieu de nous et à recueillir cette part de l'héritage. Vous le voyez, le déracinement, dont on se plaint comme d'une plaie de notre temps, n'est pas universel; il souffre des exceptions. A côté des nomades, il y a ceux qui restent au gîte héréditaire et qui lui demeurent fidèles ou qui y reviennent après l'accomplissement de la tâche ; ils y trouvent alors la trace laissée par le père, par l'aïeul qui semble les inviter à la poursuivre, et nous avons la confiance qu'elle sera poursuivie.

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Hippolyte Abord n'avait pas attendu sa fin pour enrichir nos archives d'une collection d'anciens imprimés et de factums autunois, à laquelle nous avons avec justice donné le nom de Fonds Abord, en souvenir du donateur. Si, par ses travaux et ses largesses, notre collègue a amplement accompli son devoir envers nous, il nous reste à remplir le nôtre envers lui. Aussi trouverez-vous juste qu'en témoignage de notre reconnaissance Hippolyte Abord soit inscrit sur nos listes comme membre perpétuel. C'est envers sa mémoire, une dette que la Société Éduenne tiendra certainement à honneur d'acquitter. »

Conformément à la proposition de M. le président, la Société a décidé qu'Hippolyte Abord, décédé le 13 mai 1904, serait inscrit à titre de membre perpétuel.

<< Pierre-Alexis RÉROLLE, notaire honoraire, que nous avons eu le regret de perdre le 23 mai dernier, à l'âge de quatre-vingttreize ans, était bien une des figures les plus respectées de notre ville. Le respect universel qui l'environnait, il le devait moins encore à l'âge qu'à l'intégrité du caractère et à la dignité de l'existence. Il était né à Autun, le 12 octobre 1811. Sa première impression fut celle que laissa dans son esprit le passage de Napoléon à Autun, au retour de l'ile d'Elbe, le 15 mars 1815. Ce n'est pas que l'enfant, alors âgé de quatre ans, ait

aperçu l'auteur de la terrible chevauchée qui allait se terminer sur le champ de bataille de Waterloo. Mais l'émotion, causée par sa présence, produisit dans son âme une impression qui ne s'est jamais effacée, tant il semble que Napoléon n'ait pu passer nulle part sans laisser partout une trace profonde et sans ébranler le sol sous ses pas. Une autre impression fut celle qu'il reçut de sa première institutrice, ancienne religieuse sécularisée, que la Révolution avait jetée hors du cloître de son choix, tout en lui laissant au moins la liberté de tenir une petite classe pour subvenir à ses besoins. A l'aube de sa vie, il se trouvait donc en contact avec ces victimes de l'oppression, qu'il devait encore rencontrer à son déclin. En 1822, à l'âge de onze ans, il entra au petit Séminaire d'Autun, où il passa six ans et où il eut pour condisciples le futur maréchal de Mac Mahon et le futur cardinal Pitra génération privilégiée, en vérité, à laquelle la France et l'Église ont dû leurs plus fermes champions. Les petits séminaires n'étant pas autorisés à enseigner la philosophie, Alexis Rérolle fut obligé de quitter Autun, à la fin de 1828, et de se rendre à Paris pour y suivre les cours du collège Stanislas, où il eut pour voisin d'étude Maurice de Guérin. C'est ainsi qu'à chacune des étapes de sa vie, il se rencontrait avec des natures d'élite, propres à faire fructifier ce que la sienne contenait déjà de ferme et d'élevé. Pourvu du diplôme de bachelier ès lettres à la fin de l'année scolaire, Alexis Rérolle passa un an dans sa famille. C'est là que son esprit reçut la première empreinte de cette gravité qui ne le quitta jamais. En même temps qu'il se pénétrait ainsi des traditions familiales, il fréquentait une étude d'avoué, en manière de premier apprentissage, et prenait des leçons de musique, art pour lequel il conserva toujours le plus vif attrait. Après la Révolution de 1830, il retourna à Paris pour commencer ses études de droit. La fermentation produite par la violente secousse de juillet n'était pas encore calmée. Elle trouvait même un regain d'âpreté dans le procès fait aux ministres du régime tombé et dont les phases se déroulaient au milieu des incidents les plus tumultueux. Les circonstances extérieures de ce procès, dont il avait été témoin et qu'il se plaisait à rappeler, étaient restées profondément gravées dans sa mémoire. Paris était alors ce qu'il n'a pas cessé d'être, un mer

veilleux laboratoire pour la formation et le développement de l'intelligence. Pour un jeune homme désireux de s'instruire, tout est matière d'enseignement. On peut dire qu'il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles pour apprendre quelque chose. Le studieux étudiant qu'était Alexis Rérolle n'eut garde de côtoyer une telle source sans y puiser ces éléments d'instruction supérieure, qui ne se rencontrent nulle part ailleurs dans des conditions d'égale abondance et de variété. Le seul jour que les cours à l'école de droit et le stage commencé dans une étude de notaire lui laissaient libre, le dimanche, était fructueusement employé à la visite méthodique des musées et à l'audition des concerts du Conservatoire et des chefs-d'œuvre représentés au Théâtre italien et à l'Opéra. Cette musique des maîtres, interprétée par des maîtres dans l'art de l'exprimer, laissa dans l'esprit du jeune auditeur un souvenir ineffaçable en même temps qu'elle contribua à la formation et à l'affinement de son goût.

» L'instruction professionnelle et l'éducation artistique n'occupaient pas seules son esprit. Toutes les grandes questions, qui passionnaient alors les intelligences, en religion, en politique, en littérature aussi bien qu'en art, trouvaient écho en lui. En 1834, il assista, dans la chapelle du collège Stanislas, en qualité d'ancien élève, aux débuts du jeune abbé Lacordaire, dont l'éloquence naissante produisait déjà, parmi les esprits cultivés, une sensation énorme, la sensation d'une chose nouvelle parole appropriée à l'heure, qui répondait au cri de toute une génération lasse du doute, des petits moyens, des petites habiletés et pour laquelle le juste milieu avait cessé d'être un asile définitif et le dernier mot de la sagesse. De ce séjour à Paris, Alexis Rérolle conserva toujours une chaleur d'âme qui ne s'est jamais refroidie. Il sentait vivement et exprimait sa pensée avec franchise, sans déguisement ni réticence. Après cinq ans de séjour à Paris, Alexis Rérolle occupa la fonction de premier clerc dans une importante étude de Lyon, en 1835. C'était une position d'attente. Il la conserva peu de temps et l'abandonna en 1837 pour devenir notaire à Autun, en remplacement de Me Sauvageot. C'est dans cette fonction, qu'il occupa jusqu'au mois de décembre 1876, soit pendant l'espace de trente-neuf ans, que nous l'avons connu et vu à l'œuvre. Nul ne fut plus que lui l'homme de tous les devoirs.

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