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appris à prévoir de fi loin leurs befoins, qu'ils euffent deviné comment il faut cultiver la ter

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femer les grains, & planter les arbres; qu'ils euffent trouvé l'art de moudre le bled, & de mettre le raifin en fermentation; toutes chofes qu'il leur a fallu faire enfeigner par les Dieux, faute de concevoir comment ils les auroient apprises d'eux-mê mes quel feroit après cela P'homme affez infenfe pour fe tourmenter à la culture d'un champ qui fera dépouillé par le premier venu homme ou bête indifféremment, à qui cette moiffon conviendra ? & comment chacun pourra-t-il fe réfoudre à paffer fa vie à un travail pénible, dont il eft d'autant plus fûr de ne pas recueillir le prix, qu'il lui fera plus néceffaire? En un mot

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comment cette

fituation pourra-t-elle porter les hommes à cultiver la terre, tant qu'elle ne fera point partagée entr'eux, c'est-à-dire, tant que l'état de nature ne fera point anéanti ?

Quand nous voudrions fuppofer un homme fauvage auffi habile dans l'art de penfer que nous le font nos Philofophes ; quand nous en ferions, à leur exemple, un Philofophe lui-même, découvrant feul les plus fublimes vérités, fe faifant, par des fuites de raifonnements trèsabftraits, des maximes de justice & de raifon tirées de l'amour de l'ordre en général, ou de la volonté connue de fon Créateur; en un mot, quand nous lui fuppoferions dans l'efprit autant d'intelligence & de lumieres, qu'il doit avoir & qu'on lui rouve en effet de pefanteur &

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de stupidité, quelle utilité retireroit l'efpece de toute cette Métaphyfique, qui ne pourroit fe communiquer, & qui périroit avec l'individu qui l'auroit inventée? Quel progrès pourroit faire le genre humain épars dans les bois parmi les animaux ? Et jufqu'à quel point pourroient fe perfectionner, & s'éclairer mutuellement, des hommes qui n'ayant ni domicile fixe ni aucun befoin l'un de l'autre, fe rencontreroient peut-être à peine deux fois en leur vie, fans fe connoître, & fans fe parler?

Qu'on fonge de combien d'idées nous fommes redevables à P'ufage de la parole; combien la Grammaire exerce & facilite les opérations de l'efprit ; & qu'on penfe aux peines inconcevables & au temps infini qu'a dû coûter la premiere invention

des langues; qu'on joigne ces réflexions aux précédentes, & P'on jugera combien il eût fallu de milliers de fiecles pour développer fucceffivement dans l'efprit humain les opérations dont il étoit capable.

Qu'il me foit permis de confidérer un inftant les embarras de l'origine des langues. Je pour rois me contenter de citer ou de répéter ici les recherches que Mr. l'Abbé de Condillac à fai tes fur cette matiere, qui toutes confirment pleinement mon fentiment, & qui peut-être m'en ont donné la premiere idée. Mais la maniere dont ce Philofophe réfout les difficultés qu'il fe fait à lui-même fur l'origine des fignes inftitués montrant qu'il a fuppofé ce que je mets en queftion, favoir une forte de fociété déjà établie entre les inventeurs

du langage; je crois, en renvoyant à fes réflexions, devoir y joindre les miennes, pour exposer les mêmes difficultés dans le jour qui convient à mon fujet. La premiere qui fe préfente eft d'imaginer comment elles purent devenir néceffaires; car les hommes n'ayant nulle correfpondance entr'eux ni aucun besoin d'en avoir, on ne conçoit ni la néceffité de cette invention, ni fa poffibilité, fi elle ne fut pas indifpenfable. Je dirois bien comme beaucoup d'autres, que les langues font nées dans le commerce domeftique des peres, des meres, & des enfants: mais outre que cela ne réfoudroit point les objections, ce feroit commettre la faute de ceux qui raifonnant fur l'état de nature, y tranfportent les idées prifes dans la fociété, voient toujours la

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