Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

femme, au moment qu'elle renonce à toi! Combien, fi elles connoiffoient ton empire, elles mettroient de foin à te conferver, finon par honnêteté, du moins par coquetterie ! Mais on ne joue point la Pudeur. Il n'y a point d'artifice plus ridicule que celui qui la veut imiter.

LA

PITIÉ.

A Pitié eft une vertu d'autant plus univerfelle, & d'autant plus utile à l'homme, qu'elle précéde en lui l'usage de toute réflexion, & fi naturelle, que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des fignes fenfibles.

On voit avec plaifir l'Auteur de la Fable des Abeilles, forcé de reconnoître l'homme comme un Être compâtiffant & fenfible, fortir de fon ftyle

froid & fubtile, pour nous offrir la pathétique image d'un homme enfermé qui apperçoit au dehors une bête féroce, arrachant un enfant du fein de fa mere, brifant fous fa dent meurtriere les foibles membres, & déchirant de fes ongles les entrailles palpitantes de cet enfant. Quelle affreufe agitation n'éprouve pas ce témoin d'un événement auquel il ne prend aucun intérêt perfonnel? Quelles angoiffes ne fouffret-il pas à cette vûe, de ne pouvoir porter aucun fècours à la mere évanouie, ni à l'enfant expirant?

Mandeville a bien fenti qu'avec toute leur morale, les hommes n'euffent jamais été que des monftres, fi la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raifon; mais il n'a pas vû que de cette feule qualité découlent toutes les vertus fociales qu'il veut difputer aux hommes. En effet, qu'est-ce que ta

générofité, la clémence, l'humanité, finon la pitié appliquée aux forbles, aux coupables, ou à l'efpéce humaine en général? Ea bienveillance & l'amitié même font, à le bien prendre, des ductions d'une pitié conftante, fixée fur un objet particulier : car défirer què quelqu'un ne fouffre point, qu'eft-ce autre chofe que défirer qu'il foit heu

reux?

pro

La pitié qu'on a du mal d'autrui ne fe mefure pas fur la quantité de ce mal, mais fur le sentiment qu'on prête à ceux qui le fouffrent.

On ne plaint un malheureux qu'autant qu'on croit qu'il fe trouve à plaindre.

Pour empêcher la pitié de dégénérer en foibleffe, il faut la généralifer, & l'étendre fur tout le genre humain. Alors on ne s'y, livre qu'autant qu'elle eft d'accord avec la justice, parce que de toutes

les vertus, la juftice eft celle qui con

court le plus au bien commun des hommes. Il faut par raifon, par amour pour nous, avoir pitié de notre efpéce, encore plus de notre prochain, & c'eft une très-grande cruauté envers les hommes que la pitié pour les méchans.

Pour plaindre le mal d'autrui, fans doute il faut le connoître, mais il ne faut pas le fentir. Quand on a fouffert, ou qu'on craint de fouffrir, on plaint ceux qui fouffrent ; mais tandis qu'on fouffre, on ne plaint que foi. Or si, tous étant affujettis aux miferes de la vie, nul n'accorde aux autres que la fenfibilité dont il n'a pas actuellement befoin pour lui-même, il s'enfuit que la commifération doit être un sentiment très-doux, puifqu'elle dépofe en notre faveur, & qu'au contraire un homme dur eft toujours malheureux, puifque l'état de fon cœur ne lui laiffe aucune

fenfibilité furabondante qu'il puiffe accorder aux peines d'autrui.

Il y a des gens qui ne fçavent être émus que par des cris & des pleurs ; les longs & fourds gémiffemens d'un cœur ferré de détreffe ne leur ont jamais arraché des foupirs; jamais l'afpect d'une contenance abattue, d'un visage have & plombé, d'un œil éteint & qui ne peut plus pleurer, ne les fit pleurer eux-mêmes ; les maux de l'ame ne font rien pour eux; ils font jugés, la leur ne fent rien n'attendez d'eux que rigueur inflexible, endurciffement, cruauté. Ils pourront être integres & juftes, jamais clémens, généreux, pitoyables. Je dis qu'ils pourront être juftes, fi toutefois un homme peut l'être quand il n'eft pas miféricordieux.

La pitié eft douce, parce qu'en fe mettant à la place de celui qui fouffre, en fent pourtant le plaifir de ne pas

« ZurückWeiter »