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deur d'élever fa fortune relative, moins par un véritable befoin que pour fe mettre au- deffus des autres, infpire à tous les hommes un noir penchant à fe nuire mutuellement, une jaloufie fecrete d'autant plus dangereufe que, pour faire fon coup plus en fûreté, elle prend fou. vent le mafque de la bienveillance; en un mot, concurrence & rivalité. d'une part, de l'autre oppofition d'intérêts, & toujours le défir caché de faire fon profit aux dépens d'autrui; tous ces maux font le premier effet de la propriété & le cortége inséparable de l'inégalité naiffante.

AVANT qu'on eût inventé les fignes répréfentatifs des richeffes, elles ne pouvoient gueres confifter qu'en terres & en beftiaux, les feuls biens réels que les hommes puiffent pofféder. Or quand les héritages fe furent accrus en nombre & en étendue au point de couvrir le fol entier & de fe toucher tous, les uns ne purent plus s'aggrandir qu'aux dépens des autres, & les furnuméraires que la foibleffe ou l'indolence avoient empêchés d'en acquerir à leur tour, devenus pauvres fans avoir rien perdu, parce que tout changeant autour d'eux, eux feuls n'avoient point changé, furent obligés de recevoir ou de ravír leur fubfiftance de la main des riches, & de- là commencerent à naître, felon les divers caracteres des uns &

des autres, la domination & la fervitude, ой la violence & les rapines. Les riches de leur côté connurent à peine le plaifir de dominer, qu'ils dédaignerent bientôt tous les autres, & fe fervant de leurs anciens efclaves pour en foumettre de nouveaux, ils ne fongerent qu'à fubjuguer & affervir leurs voi fins; femblables à ces loups affamés qui ayant une fois goûté de la chair humaine rebutent toute autre nourriture, & ne veulent plus que dévorer des hom

mes.

CEST ainfi que les plus puiffans ou les plus miférables, fe faifant de leur force ou de leurs befoins une forte de droit au bien d'autrui, équivalant, felon eux, à celui de propriété, l'égalité rompue fut fuivie du plus affreux defordre: c'est ainsi que les ufurpations des riches, les brigandages des pauvres, les paffions effrénéees de tous étouffant la pitié naturelle & la voix encore foible de la juftice, rendirent les hommes avares, ambitieux, _ & méchans. Il s'élevoit entre le droit du plus fort & le droit du premier occupant un conflict perpétuel qui ne se terminoit que par des (*c.) combats & des meurtres. (* c.) La Société naiffante fit place au plus horrible état de guerre: le Genre- hnmain avili & défolé ne pouvant plus retourner fur fes pas ni renoncer aux acquifitions malheureufes qu'il avoit faites

& ne travaillant qu'à fa honte, par l'abus des facultés qui l'honorent, fe mit lui-même à la veille de fa ruine

Attonitus novitate mali, divefque miferque,

Effugere optat opes, & quæ modò voverat, odit.

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IL n'eft pas poffible que les hommes n'aient fait enfin des réflexions fur une fituation auffi miferable, & fur les calamités dont ils étoient accablés. Les riches fur - tout durent bientôt fentir combien leur étoit defavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faifoient feuls tous les fraix, & dans laquelle le rifque de la vie étoit commun, & celui des biens particulier. D'ailleurs, quelque couleur qu'ils puffent donner à leurs ufurpations, ils fentoient affez qu'elles n'étoient établies que fur un droit précaire & abufif, & que n'ayant été acquifes que par la force, la force pouvoit les leur ôter fans qu'ils euffent raifon de s'en plaindre. Ceux même, que la feule industrie avoit enrichis, ne pouvoient gueres fonder leur propriété fur de meil, leurs titres. Ils avoient beau dire: c'est moi qui ai bâti ce mur, j'ai gagné ce terrain par mon travail. Qui vous a donné les alignemens, leur pouvoit - on répondre, & en vertu de quoi prétendez-vous être payé à nos dépens d'un travail que nous ne vous avons point im

pofé? Ignorez-vous qu'une multitude de vos freres périt ou fouffre du befoin de ce que vous avez de trop, & qu'il vous falloit un confentement exprès & unanime du Genre-humain pour vous approprier fur la fubfiftance commune tout ce qui alloit au delà de la vôtre? Deftitué de raifons valables pour fe juftifier, & de forces fuffifantes pour se défendre; écrafant facilement un particulier, mais écrasé lui-mê-me par des troupes de bandits; feul contre tous, & ne pouvant à caufe des jaloufies mutuelles s'unir avec fes égaux contre des enne-mis unis par l'efpoir commun du pillage, le riche preffé par la néceffité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui foit jamais entré dans l'efprit humain; ce fut d'employer en fa faveur les forces même de ceux qui l'attaquoient, de faire fes défenfeurs de fes adverfaires, de leur infpirer d'autres maximes, & de leur don-ner d'autres inftitutions qui lui fufsent aussi favorables que le droit naturel lui étoit contraire.

DANS cette vue, après avoir exposé à ses voifins l'horreur d'une fituation qui les arinoit tous les uns contre les autres, qui leur rendoit leurs poffeffions auffi onéreufes que leurs be-foins, & où nul ne trouvoit fa fûreté ni dans la pauvreté ni dans la richeffe, il inventa aifément des raifons fpécieufes pour les amener à fon but. Uniffons-nous", leur dit-il,,, pour

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garantir de l'oppreffion les foibles, contenir les ambitieux, & affurer à chacun la poffeffion de ce qui lui appartient; inftituons des réglemens de juftice & de paix auxquels ,, tous foient obligés de fe conformer, qui ne faffent acception de perfonne & qui réparent ,, en quelque forte les caprices de la fortune en foûmettant également le puiffant & le foible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu ,, de tourner nos forces contre nous mêmes, raffemblons les en un pouvoir fuprême qui nous gouverne felon de fages loix, qui pro,, tege & défende tous les membres de l'affociation, repouffe les ennemis communs, & nous maintienne dans une concorde éternélle.

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وف

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IL en fallut beaucoup moins que l'équivalent de ce Difcours pour entraîner des hommes groffiers, faciles à féduire, qui d'ailleurs avoient trop d'affaires à démêler entre eux pour pouvoir fe paffer d'arbitres, & trop d'avarice & d'ambition, pour pouvoir longtems fe paffer de maîtres. Tous coururent au devant de leurs fers, croyant affûrer leur liberté; car avec affez de raison pour fentir les avantages d'un établiffement politique, ils n'avoient pas affez d'expérience pour en prévoir les dangers; les. plus capables de preffentir les abus étoient précifément ceux qui comptoient d'en profiter, &

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