Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

ils la prirent quand il n'était plus temps. Ils avaient d'autres griefs qu'ils joignirent à celui-là, et ils en firent la matière de plusieurs représentations tres bien raisonnees, qu'ils éténdirent et renforcèrent à mesure que les durs et rebutants refus du Conseil, qui se sentait soutenu par le ministère de France, leur firent mieux sentir le projet formé de les asservir. Ces altercations produisirent diverses brochures qui ne décidaient rien, jusqu'à ce que parurent tout à coup les Lettres écrites de la campagne, ouvrage écrit en faveur du Conseil avec un art infini, et par lequel le parti représentant, réduit au silence, fut pour un temps écrasé. Cette pièce, monuinent durable des rares talents de son auteur, était du procureur général Tronchin, homme d'esprit, homme éclairé, très versé dans les lois et le gouvernement de la république. Siluit terra.

(1764.) Les représentants, revenus de leur premier abattement, entreprirent une réponse, et s'en tirèrent passablement avec le temps. Mais tous jetèrent les yeux sur moi, comme sur le seul qui pût entrer en lice contre un tel adversaire, âvec espoir de le terrasser. J'avoue que je pensai de meme; et, poussé par mes anciens concitoyens, qui me faisaient un devoir de les aider de ma plume dans un embarras dont javais été l'occasion, j'entrepris la réfutation des Lettres écrites de la campagne, et j'en parodiai le titre par celui de Lettres écrites de la montagne, que je mis aux miennes. Je fis et j'exécutai cette entreprise si secrètement, que, dans un rendezvous que j'eus à Thonon avec le chef des représentants, pour parler de leurs affaires, et où ils me montrèrent l'esquisse de leur réponse, je ne leur dis pas un mot de la mienne, qui était déja faite, craiguant qu'il

ne survînt quelque obstacle à l'impression, s'il en parvenait le moindre vent soit aux magistrats, soit à mes ennemis particuliers. Je n'évitai pourtant pas que cet ouvrage ne fût connu en France avant la publication; mais on aima mieux le laisser paraître que de faire trop comprendre comment on avait découvert mon secret. Je dirai la-dessus ce que j'ai su, qui se borne à très peu de chose; je me tairai sur ce que j'ai conjectaré.

J'avais à Motiers presque autant de visites que j'en avais eu à l'Ermitage et à Montmorency; mais elles étaient la plupart d'une espece fort differente. Ceux qui m'étaient venus voir jusqu'alors étaient des gens qui, ayant avec moi des rapports de talents, de goûts, de maximes, les alléguaient pour cause de leurs visites, et me mettaient d'abord sur des matières dont je pouvais m'entretenir avec eux. A Motiers, ce n'était plus cela, surtout du côté de France. C'étaient des officiers ou d'autres gens qui n'avaient aucun goût pour la littérature, qui même, pour la plupart, n'avaient jamais lu mes ecrits, et qui ne laissaient pas, a ce qu'ils disaient, d'avoir fait trente, quarante soixante, cent lieues pour me venir voir, et admirer l'homme illustre, celebre, très célèbre, le grand homme, etc. Car dès lors on n'a cessé de me jeter grossièrement à la face les plus impudentes flagorneries, dont l'estime de ceux qui m'abordaient m'avait garanti jusqu'alors. Comme la plupart de ces survenants ne daignaient ni se nommer ni me dire leur état, que leurs connaissances et les miennes ne tombaient pas sur les mêmes objets, et qu'ils n'avaient ni lu ni parcouru mes ouvrages, je ne savais de quoi leur parler; j'attendais qu'ils parlassent eux-mêmes, puisque c'était à eux à savoir et à me dire

pourquoi ils me venaient voir. On sent que cela ne faisait pas pour moi des conversations bien interessantes, quoiqu'elles pussent l'être pour eux, selon ce qu'ils voulaient savoir; car, comme j'étais sans défiance, je m'exprimais sans réserve sur toutes les questions qu'ils jugeaient à propos de me faire; et ils s'en retournaient, pour l'ordinaire, aussi savants que moi sur tous les détails de ma situation.

J'eus, par exemple, de cette façon, M de Feins, écuyer de la reine et capitaine de ca valerie dans le régiment de la Reine, lequel eut la constance de passer plusieurs jours à Motiers, et même de me suivre pédestrement jusqu'a La Ferrière, menant son cheval par la bride, sans avoir avec moi d'autre point de réunion, sinon que nous connaissions tous deux mademoiselle Fel, et! que nous jouions l'un et l'autre au bilboquet! J'eus avant et après M. de Feins une autre visite bien plus extraordinaire. Deux hommes arrivent à pied, conduisant chacun un mulet chargé de son petit: bagage, logent à l'auberge, pansent leurs mulets eux-mêmes et demandent à mes venir voir. A l'équipage de ces muletiers,, on: les prit pour des contre bandiers, et la nouvelle courut aussitôt que des contrebandiers venaient me rendre visite. Leur seule façon de m'aborder m'apprit que c'étaient des gens d'une autre étoffe; mais, sans être des contrebandiers, ce pouvait être des aventuriers, et ce doute me tint quelque temps en garde. Ils ne tarderent pas à me tranquilliser. L'un était M. de Montauban, appelé le comte de la Tour-du-Pin, gentil homme du Dauphiné; l'autre était M. Dastier; de Carpentras, ancien militaire, qui avait mis sa croix de Saint Louis dans sa poche, ne pouvant pas l'étaler. Ces messieurs, tous

deux très aimables, avaient tous deux beaucoup d'esprit; leur conversation était agréable et intéressante; leur manière de voyager si bien dans mon goût et si peu dans celui des gentilshommes français, me donna pour eux une sorte d'attachement que leur commerce ne pouvait qu'affermir. Cette connaissance même ne finit pas là, puisqu'elle dure encore, et qu'ils me sont revenus voir diverses fois, non plus à pied cependant, cela était bon pour le début; mais plus j'ai vu ces messieurs, moins j'ai trouvé de rapports entre leurs goûts et les miens, moins j'ai senti que leurs maximes fussent les miennes, que mes écrits leur fussent familiers, qu'il y eût aucune véritable sympathie entre eux et moi. Que me voulaient-ils donc? Pourquoi me venir voir dans cet équipage? Pourquoi rester plusieurs jours? Pourquoi revenir plusieurs fois? Pourquoi désirer si fort de m'avoir pour hôte? Je ne m'avisai pas alors de me faire ces questions. Je me les suis faites quelquefois depuis ce temps-là.

Touché de leurs avances, mon cœur se livrait sans raisonner, surtout M. Dastier, dont l'air plus ouvert me plaisait davantage. Je demeurai même en correspondance avec lui, et quand je voulus faire imprimer les Lettres de la montagne, je songeai à m'adresser à lui pour donner le change à ceux qui attendaient mon paquet sur la route de Hollande. Il m'avait parlé beaucoup, et peut-être à dessein, de la liberté de la presse à Avignon; il m'avait offert ses soins, si j'avais quelque chose à y faire imprimer. Je me prévalus de cette offre, et je lui adressai successivement par la poste mes premiers cahiers. Après les avoir gardés assez longtemps, il me les renvoya en me marquant qu'aucun libraire n'avait osé s'en charger; et je fus contraint de

revenir à Rey, prenant soin de n'envoyer mes cahiers que l'un après l'autre, et de ne lâcher les suivants qu'après avoir eu avis de la réception des premiers. Avant la publication de l'ouvrage, je sus qu'il avait été vu dans les bureaux des ministres; et d'Escherny, de Neuchâtel, me parla d'un livre de l'Homme de la montagne, que d'Holbach lui avait dit être de moi. Je l'assurai, comme il était vrai, n'avoir jamais fait de livre qui eût ce titre. Quand les Lettres parurent, il était furieux, m'accusa de mensonge, quoique je ne lui eusse dit que la vérité. Voilà comment j'eus l'assurance que mon manuscrit était connu. Sûr de la fidélité de Rey, je fus forcé de porter ailleurs mes conjectures, et celle à laquelle j'aimais le mieux m'arrêter fut que mes paquets avaient été ouverts à la poste.

Une autre connaissance à peu près du même temps, mais qui se fit d'abord seulement par lettres, fut celle d'un M. Laliaud, de Nîmes, lequel m'écrivit de Paris pour mé prier de lui envoyer mon profil à la silhouette, dont il avait, disait-il, besoin pour mon buste en marbre qu'il faisait faire par Le Moine, pour le placer dans sa bibliothèque. Si c'était une cajolerie inventée pour m'apprivoiser, elle réussit pleinement. Je jugeai qu'un homme qui voulait avoir mon buste en marbre dans sa bibliothèque était plein de mes ouvrages, par conséquent de mes principes, et qu'il m'aimait parce que son âme était au ton de la mienne. Il était difficile que cette idée ne me séduisît pas. J'ai vu M. Laliaud dans la suite. Je l'ai trouvé très zélé pour me rendre beaucoup de petits services, pour s'entremêler beaucoup dans mes petites affaires. Mais, au reste, je doute qu'aucun de mes écrits aient été du petit nombre de livres qu'il lus en sa vie. J'ignore s'il a une bibliotbe•

« ZurückWeiter »