LES hommes font plus aveugles que méchans, & il y a plus de foibleffe que de malignité dans leurs vices. Nous nous trompons nous-mêmes avant que de tromper les autres, & nos fautes ne viennent que de nos erreurs; nous n'en commettons guères que parce que nous nous laiffons gagner à des petits intérêts préfens, qui nous font oublier les chofes importantes qui font plus éloignées. Delà toutes les petiteffes qui caractérisent le vulgaire inconftant, légéreté, caprice, fourberie, fanatifme, cruauté : vices qui tous ont leur fource dans la foibleffe de l'ame. Au contraire, tout eft grand & généreux dans une ame forte, parce qu'elle fait difcerner le beau du spécieux, la réalité de l'apparence, & fe fixer à fon objet avec cette fermeté qui écarte les illufions & furmonte les plus grands obftacles. C'EST ainfi qu'un jugement incertain & un cœur facile à féduire rendent les hommes foibles & petits. Pour être grand il ne faut que fe rendre maître de foi. C'eft au-dedans de nous-mêmes que font nos plus redoutables ennemis, & quiconque aura fu les combattre & les vaincre, aura plus fait pour la gloire, au jugement des fages, que s'il eût conquis l'univers. VOILA ce que produit la force de l'ame; c'eft ainsi qu'elle peut éclairer l'efprit, étendre le génie & donner de l'énergie & de la vigueur à toutes les autres vertus : elle peut même suppléer à celles qui nous manquent; car celui qui ne feroit ni courageux, ni jufte, ni fage, ni modéré par inclination, le fera pourtant par raison, fi-tôt qu'ayant furmonté fes paffions & vaincu fes préjugés, il fentira combien il lui eft avantageux de l'être, fi-tôt qu'il fera convaincu qu'il ne peut faire fon bonheur qu'en travaillant à celui des autres. La force eft donc la vertu qui caractérise l'héroïsme, & elle l'eft encore par une autre raison fans replique, que je tire des réflexions d'un grand homme : les autres vertus, dit le Chancelier Bacon, nous délivrent de la domination des vices; la feule force nous garantit de celle de la fortune. APRÈS avoir déterminé cette vertu caractéristique, je devrois parler de ceux qui font parvenus à l'héroïfme fans la pofféder. Mais comment y feroient-ils parvenus fans la partie qui feule conftitue le Héros, & qui lui eft effentielle ? Je n'ai rien à dire là-deffus, & c'eft le triomphe de ma cause. Parmi les hommes célèbres, dont les noms font infcrits au temple de la gloire, les uns ont manqué de fageffe, les autres de modération; il y en a eu de cruels, d'injuftes, d'imprudens, & de perfides; tous ont eu des foibleffes: nul d'entre eux n'a été un homme foible. En un mot, toutes les autres vertus ont pu manquer à quelques grands hommes, mais, fans la force & du génie & de l'ame, il n'y eut jamais de Héros. FIN DU TOME SECON D. 481 TABL E. DISCOURS fur Porigine & les fondemens de l'inégalité parmi les Hommes. Dédicace. Page 1 3 Préface. Avertiffement fur les Notes. Question proposée par l'Académie de Dijon. Seconde Partie. Notes. Du Contrat Social, ou Principe du Droit Politique. LIVRE PREMIER, 32 61 93 Où il recherche comment l'homme paffe de l'état de nature à |
